Le Français, lOrient & lArménien au XIXe siècle LES IMAGES DES ARMÉNIENS DANS LES RÉCITS DES VOYAGEURS FRANÇAIS DU XIXe SIÈCLE (1796-1895) Tirage à 350 exemplaires. |
Comment Lamartine, Théophile Gautier ou Alexandre Dumas percevaient-ils les Arméniens ? Quels regards un modeste botaniste comme Rémy Aucher-Eloy, un éminent archéologue à linstar de Georges Perrot ou un missionnaire jésuite tel le Révérend Père Amédée de Damas, jetaient-ils sur ce peuple éclaté entre les empires ottoman, perse et russe ? Quelles étaient les images des Arméniens véhiculées par les voyageurs français du XIX e siècle ?
Cette double aventure du voyage et de lécriture, aux temps du romantisme, du positivisme et de lorientalisme, a engendré un imaginaire à la fois pittoresque et colonialiste. Au sein de cet univers façonné par lesprit et lâme française de lépoque, « lArménien réel » et « lArménien rêvé », se nourrissent lun de lautre, sopposent et se contredisent parfois.
Des stéréotypes, des clichés des a priori se figent ; une société, des mystères, des scènes de vie se dévoilent. LArménien du XIXe siècle se découvre ainsi au gré des périples, au gré des récits de voyage. Mais est-ce la réalité ? Est- ce limaginaire ?
Préface de Raymond H. Kévorkian
Le reporter-photographe des temps modernes est à bien des égards le lointain successeur de ces
voyageurs français qui parcouraient le monde au temps de Louis XIV. Calepin et crayon à la main, ils
partaient le plus souvent à la quête de cet Orient mythique qui ils le savaient leur avait transmis les
fondements culturels de leur civilisation. Les moyens de transport du temps, bateaux et caravanes
terrestres, permettaient à des Tavernier, Chardin et autres Tournefort de découvrir à leur rythme ce Levant
aux allures de conservatoire de lAntiquité, constellé de traces des civilisations qui sy développèrent. Le
regard de ces hommes portait déjà les acquis de cet Occident triomphant, assoiffé de connaissances,
partant à la conquête du monde, désireux de comprendre. Par certains aspects, leur regard sapparentait à
celui des Grecs de lAntiquité décrivant les murs des peuples barbares , mais fascinés par le faste des
cours orientales. LArménie ne manquait alors pas dattirer leur curiosité, attisée par limage biblique de ce
pays, où larche de Noé aurait échoué, et par les descriptions du pays de lArarat laissées par les auteurs
classiques dont ils sétaient nourris en faisant leurs humanités. Ils comprenaient, avec les instruments
intellectuels du temps, que le Plateau arménien portait encore en lui lhéritage des civilisations assyro-
babyloniennes et quils étaient là en présence dune antique communauté chrétienne, dont le rite archaïque
était resté intact. Cest le livre imprimé, les Récits de voyages, quelques fois agrémentés de gravures, qui
véhiculait alors dans le public ce regard.
Cet univers antique et rural a laissé place, au cours du XIXe siècle, à un monde arménien multiple, ouvert
à luniversalité, avec notamment cette présence arménienne aux quatre coins de lEmpire ottoman, où
précisément la plupart des cent trente-quatre récits de voyageurs français décortiqués par David Vinson ont
pu observer ces réalités arméniennes.
Si lobjet de ces récits est bien lArménie ou le monde arménien et si ces voyageurs fournissent à bien
des égards des informations parfois originales, comme limage fixe dune réalité momentanée, il nen
demeure pas moins que leur regard est avant tout celui de Français. En dautres termes, leurs récits
procurent finalement plus dindications sur les valeurs que portent les auteurs, sur leur manière dobserver
lautre, létranger, que sur les réalités arméniennes.
Or, ce regard occidental était largement partagé par la classe politique française qui a été amenée à
intervenir dans les affaires ottomanes lorsque le traitement infligé par les sultans passait les limites du
supportable. Il ne fait donc guère de doute que les images véhiculées par les voyageurs aient eu leur
incidence sur le traitement politique de la Question arménienne, dautant quelles ont aussi contribué à
façonner une opinion publique qui a souvent, lorsquelle exprimait son indignation face aux violences subies
par les Arméniens ottomans, fortement pesé sur lattitude des hommes politiques.
Au vrai, parmi les nombreux passeurs traités dans louvrage de David Vinson, le modèle arménien
développé par les cercles missionnaires, qui travaillaient en Arménie, a sans doute été le plus déterminant.
Il sen dégage un modèle idéal , que lauteur fait remarquablement bien ressortir, celui de lArménien
catholique et francophone, idéal pour constituer une clientèle toute dévouée à la France. Autrement dit,
les Missions françaises ont, David Vinson le souligne fort bien, puissamment contribué à la politique
coloniale de notre pays, soccupant notamment déduquer ces autochtones .
Mais à côté du monde rural arménien, patriarcal, émerge aussi limage dArméniens urbains, éduqués,
aisés, qui fascinent le voyageur, car ils sont en quelque sorte bâtis sur le même modèle queux.
Limportance de la présence arménienne dans des lieux aussi importants que les Lieux-saints, que
Jérusalem en déconcerte dautres, car ils simaginent difficilement quune nation soumise puisse détenir un
tiers de ces fameux Lieux-saints aux côtés des catholiques et des orthodoxes.
De fait, les questions religieuses, confessionnelles sont souvent au cur de ces récits et un des
éléments déterminant leurs discours. Lanalyse diachronique de ces textes que nous présente David Vinson
dans ce beau volume permet justement de dégager léventail des centres dintérêts que ces voyageurs ont.
Un peu ethnologue, un peu historien, parfois observateur perspicace, ils sont une illustration vivante de
lévolution des mentalités dans la France du XIXe siècle.
À travers ces aventuriers, cest finalement limage des Arméniens qui sest construit dans lopinion
publique française, et qui perdure jusquà nos jours, même si elle a, depuis, été un peu plus précisée par la
présence, depuis les années 1920, dune importante population arménienne sur laxe Marseille-Valence-
Lyon-Paris.
350 pages. 50 euros