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extraits
Livre I
La mort du Roi
Le 30 juin 1559, à Paris, près de l'actuelle place
des Vosges, le roi Henri II affrontait en tournoi le capitaine
de sa garde écossaise, Gabriel de Montgomery. Sur leurs
destriers, et devant toute la cour, les deux hommes s'élancèrent
l'un contre l'autre : la lance de Montgomery se brisa et se ficha
dans la visière du roi, qui mourut après dix jours
d'une douloureuse agonie.
Son épouse, la florentine Catherine de Médicis,
d'abord régente, fit ensuite monter sur le trône
son fils âgé de 15 ans, qui prit le nom de François
II.
La France entrait dans une des périodes les plus sombres
de son histoire qu'on appellerait " Les guerres de religion
".
Au même moment, au pied du Vercors
Le même jour, dans le village de Bouvante, au pied du Vercors,
Anthoyne Vigne avait 17 ans. C'était un jeune homme de
grande taille, puissant et énergique. Ses yeux bleus et
son épaisse chevelure brune avaient déjà
attiré les regards des jeunes filles, mais on ne lui avait
encore attribué aucune conquête.
Ni brutal, ni effacé, c'était un garçon calme
et enjoué aimant surtout la nature et la vie de famille.
La vie lui semblait douce, entre la protection des Chartreux,
son père, sa mère, ses jeunes frères et ses
surs qui aidaient leur mère à élever
vaches, cochons, brebis et poules, pour le compte du monastère.
Anthoyne devait se souvenir longtemps de ce matin de décembre.
Il était parti avec son père François à
la ville de Pont, dans la plaine du Royans.
Ils avaient attelé la mule à une charrette qui transportait
une vingtaine de peaux de mouton, et deux charges du vin produit
à la ferme.
Le samedi était jour de marché à Pont-en-Royans,
et ils pensaient en tirer un bon prix.
L'ensemble du trajet durait près de quatre heures. Ils
étaient partis à cinq heures du matin, à
la pointe de l'aube.
Ils s'arrêtèrent à Saint-Laurent pour le casse-croûte
que Tiphaine, la mère d'Anthoyne, leur avait préparé
et ils arrivèrent un peu avant neuf heures à la
ville, où le marché battait son plein.
Sur la place de la Halle, devant l'église, se tenaient
plusieurs échoppes, et la plupart des marchands avaient
étalé leur marchandise sur le sol, attendant les
propositions.
Les deux charges de vin n'étaient pas encore débarquées
qu'elles étaient déjà achetées par
un marchand de Livron.
Les peaux mirent plus longtemps à trouver acquéreur,
et ce fut finalement un tanneur de Pont, un homme rougeaud, assez
bavard, qui acheta le tout après une âpre négociation.
Il était accompagné de son fils, un garçon
assez réservé qui se nommait Armand Borrel. Il avait
dix-huit ans, et quoique plus âgé qu'Anthoyne, il
semblait du même âge, car il était plus fluet
et paraissait plus fragile.
La vente des peaux se conclut devant un verre de vin à
l'auberge du Pont Picard, dans une salle animée où
la plupart des marchands se retrouvaient pour déjeuner.
Tandis que leurs pères trinquaient, les deux garçons
restèrent dehors, à faire connaissance.
Armand aidait son père à la tannerie familiale.
Il avait aussi une sur, qui ne sortait guère de la
maison.
En passant devant le portail ouvert de l'église, Anthoyne
se signa, et remarqua qu'Armand détournait la tête.
Il nota la chose, sans plus y penser, et se contenta de parler
pêche et pose de collets, ce qui semblait intéresser
Armand au plus haut point.
Le jeune homme se montrait fasciné par les connaissances
du piégeage d'Anthoyne, et ils promirent de se retrouver
dans la forêt de Lente.
Rendez-vous fut pris pour la semaine suivante.
Sur ces entrefaites, François sortit de l'auberge avec
le père d'Armand. On rebâta la mule et après
avoir pris congé, père et fils se remirent en route
pour Bouvante. , Ils arrivèrent au moment où plus
haut, dans la montagne, la cloche du monastère du Val Sainte-Marie
sonnait l'heure de Complies (18h45).
Anthoyne était loin de penser que toute sa vie allait se
dérouler avec les personnes qu'il venait de croiser, et
qu'il leur devrait même un jour, son salut.
La fondation du monastère
Deux siècles et demi plus tôt, le dimanche 2 avril
de l'an de grâce 1144, une foule nombreuse se pressait dans
la combe de Bouvante, baptisée le " Val Sainte-Marie
" par les Chartreux de Grenoble.
L'air embaumait le parfum amer des buis printaniers.
Une foule de paysans de St-Jean, St-Martin-le-Colonel et Oriol,
bordait l'étroit chemin.
Hommes, femmes et enfants, pauvrement vêtus, attendaient
l'arrivée des représentants de la Grande Chartreuse
qui venaient consacrer le nouveau monastère, quatorzième
de l'Ordre fondé par Bruno de Cologne 64 ans plus tôt.
On entendait hennir les chevaux et résonner le fer des
sabots sur les pierres du chemin. Plus bas, une grande animation
régnait dans la cour de la Courrerie où se préparait
une réception.
Beaucoup plus haut, sur le chemin du monastère, à
l'endroit dit " le portail des roches ", les invités
de marque avaient pris place sous un dais : les seigneurs des
environs et leurs familles. Au premier rang, le Seigneur de Sassenage,
représentant du Dauphin, qui avait largement doté
le jeune monastère de vastes terres, champs et forêts.
Ensuite, les Seigneurs de la Baume d'Hostun, de Roche-chinard,
et, derrière eux, les consuls de Bouvante, de Pont-en-Royans,
de St Jean et d'Oriol. L'abbé de Léoncel bavardait
avec l'évêque de Die.
Ils étaient entourés d'un aréopage de prélats
en chasubles dorées, et derrière eux, les prêtres
locaux, vêtus de bure, à distance respectueuse.
Tous commentaient les années de travail acharné
qu'il avait fallu pour construire le monastère et la Courrerie,
où les frères convers travaillaient à la
subsistance des pères cloîtrés.
Sous la direction du père architecte envoyé par
la Grande Chartreuse, et pendant plus de dix ans, les frères
convers s'étaient consacrés à la taille des
pierres de tuf, extraites des torrents voisins, à leur
acheminement, à la préparation du terrain, à
l'arrachage des arbres, au nivèlement des sols, à
l'abattage et l'équarrissage des troncs pour les charpentes.
Pendant des années, le vallon avait retenti du fracas des
forges, des cris des charretiers, et du rugissement du four à
chaux.
Le silence y régnait à présent.
Deux ensembles de bâtiments s'élevaient : la Courrerie,
avec ses 17 frères convers, et le monastère du Val
Sainte- Marie, avec son église, ses deux cloîtres,
et les douze cellules d'ermites pour chacun des pères chartreux
qui s'y consacreraient à Dieu en silence, jusqu'à
leur mort.
Un frémissement parcourut la foule. Les têtes se
tournèrent vers le bas du chemin : un cortège montait
sur la route de St Jean. Plusieurs dizaines de moines en capuche,
leur longue robe blanche serrée à la taille par
une ceinture de cuir, mar-chaient lentement, précédant
une charrette tirée par des che-vaux, et où deux
prieurs âgés avaient pris place.
Arrivée au bas du chemin menant au portail des roches,
la charrette s'arrêta et les deux moines en descendirent,
sans demander d'aide.
Le Seigneur de Sassenage s'était avancé à
leur rencontre, à la tête des notables et ils entourèrent
le petit groupe. Tout se passa rien qu'en échangeant des
regards et sans prononcer un mot. Les seuls murmures venaient
de la double haie des paysans, et de leurs femmes, qui bavardaient
à voix basse. Les enfants, impressionnés, se taisaient.
Le petit groupe s'arrêta d'abord à la Courrerie,
devant la nouvelle église: un bâtiment austère
surmonté d'un clocheton carré, dont le tintement
allait rythmer la vie quotidienne des convers.
Le moine le plus âgé s'arrêta devant le portail
sud, et prononça une courte allocution en latin pour bénir
les lieux.
Toute la délégation s'avança ensuite dans
l'église et y resta le temps d'une courte prière.
La cloche sonna l'heure de sexte (10h 30). Le groupe fit demi-tour
et reprit le chemin qui grimpait vers le monastère, à
quelques centaines de mètres.
Ils y arrivèrent vers midi.
Ils franchirent le portail des roches. Les femmes et les paysans
n'allèrent pas plus loin. Le portail marquait l'entrée
du " désert de chartreuse ", réservé
aux religieux et interdit aux profanes, en particulier aux femmes.
Aujourd'hui, exception-nellement, les seigneurs locaux avaient
le droit d'y pénétrer.
À pas lents, les hommes déambulèrent le long
du haut mur qui ceinturait le premier étage des jardins.
Le chemin caillouteux longeait l'imposante fortification.
Les moines ne disaient mot. Les notables échangeaient des
regards impressionnés par l'aspect massif de l'ensemble.
À droite de la pente, plusieurs mètres plus bas,
on entendait gronder le torrent. Après une centaine de
mètres de marche fatigante, ils arrivèrent devant
un modeste portail de pierre grise, surmonté d'une niche
abritant une statuette de la Vierge à l'Enfant, qui fixait
les visiteurs de ses yeux de pierre.
Les battants étaient grand ouverts.
Les visiteurs entrèrent dans les couloirs dallés,
éclairés par les étroites ouvertures des
fenêtres romanes. Ils longèrent les bâtiments
de réception, les locaux de cuisine, et arrivèrent
devant le parvis de l'église.
De nombreux cierges projetaient une clarté tremblante dans
la pénombre de la nef.
Le prieur du monastère s'effaça, laissant le représentant
de l'Ordre des Chartreux s'avancer seul vers l'autel.
Les moines entrèrent dans le chur et prirent place
debout à leur stalle. Les plus âgés se reposèrent
discrètement sur la " miséricorde ", qui
leur permettait de rester debout sans effort. Les invités
d'honneur prirent place au parvis, dans l'espace laissé
libre entre les stalles et la porte d'entrée.
Le représentant de l'Ordre commença une messe très
simple, suivie d'une communion, et termina en prononçant
en latin les formules de consécration des lieux.
Le monastère du Val Sainte-Marie entamait une histoire
qui allait durer 646 ans.
L'or du Dauphin
Un siècle et demi après, un soir d'octobre 1306,
le soleil se couchait derrière la montagne de Musan, lançant
des ondes pourpres qui embrasaient, en face, les parois abruptes
du Val Sainte-Marie.
À la Courrerie, caché derrière le mur du
jardin, un jeune garçon épiait deux biches descendues
brouter l'herbe de la plaine. Soudain, l'une d'elles releva vivement
la tête, les oreilles aux aguets, aussitôt imitée
par l'autre. Un cliquetis de sabots montait du chemin de St Jean,
annonçant l'approche de cava-liers. Les animaux bondirent
aussitôt vers la forêt toute proche.
Pierre se retourna. Trois cavaliers entraient dans la cour de
la ferme. Il reconnut deux hommes d'armes, avec leur casque de
cuir et les longues épées droites qui pendaient
à leur ceinture.
Un peu en arrière, le troisième, plus âgé,
portait un long manteau bleu, avec un col d'hermine, et un large
bonnet de feutre noir, ce qui dénotait une personne de
haut rang.
Pierre se précipita vers Guilhaume, son père, qui
avait franchi la porte et s'avançait vers le groupe. Les
cavaliers s'arrêtèrent.
Guilhaume fit alors une chose étrange, que Pierre lui voyait
faire pour la première fois : il se mit à genoux,
ôta son bonnet, joignit les mains et dit :
- Soyez le bienvenu, Monseigneur, que Dieu vous protège.
Cette maison est la vôtre.
Sans répondre, le personnage au manteau fit signe aux hommes
d'armes et mit, comme eux, pied à terre.
Il s'avança vers Guilhaume :
- Es-tu le grangier ?
- Oui, Monseigneur, pour vous servir.
- Où sont les moines qui habitent céans ?
- Ils sont encore aux champs, Monseigneur, et devraient arriver
d'un instant à l'autre. Ils ne vous attendaient que demain,
mais tout est prêt pour votre arrivée.
- Montre-moi donc ma chambre, fais donner à manger à
ces hommes et indique leur où se reposer !
- Certainement, Monseigneur. Votre chambre est prête et
nous vous avons aussi préparé un repas
L'homme le coupa du geste :
- Je n'en ai nul besoin. Sers mes hommes et demain, dès
l'aube, tu me conduiras chez le prieur du Val.
- Certainement, Monseigneur.
Guilhaume s'adressa à Pierre :
- Conduis les hommes à la paille et occupe-toi des chevaux
!
Il pria ensuite l'inconnu au manteau de le suivre et ils entrèrent
dans l'immense bâtiment de pierre qui leur faisait face.
Pierre était surpris. Son père, un robuste paysan,
n'avait jamais montré la moindre trace de servilité
devant personne, même pas devant les pères chartreux
leurs seigneurs, et voilà qu'il se mettait à genoux
devant un personnage inconnu. Qui pouvait-il bien être ?
Il prit les chevaux par la bride, et les dirigea vers l'écurie
où il les attacha.
Il alla ensuite montrer aux deux soldats les paillasses qu'on
leur avait préparées, le pain, les victuailles et
la cruche de vin que sa mère avait déposée
à côté des couchettes.
Il retourna ensuite à l'écurie pour desseller et
brosser les chevaux. Après quoi, il leur donna à
boire, et remplit leurs mangeoires.
Il achevait son travail, quand une haute silhouette s'encadra
dans la porte de l'écurie.
- Ainsi, Monseigneur le Dauphin est arrivé plus tôt
que prévu !
C'était le père Claude, procureur du Monastère,
qui dirigeait les sept frères convers de la ferme. Derrière,
on voyait d'autres silhouettes, en robe, hésiter devant
l'entrée de l'écurie.
Le Dauphin ! Pierre eut l'impression que la foudre tombait à
ses pieds. Le Dauphin ! Le Prince le plus important après
le Roi de France ! Sa dynastie avait fondé le monastère!
Tout s'éclairait ! Mais pourquoi son père ne lui
avait-il rien dit ? Et que venait faire le monarque dans ce coin
perdu de ses Etats ?
- Où est Monseigneur le Dauphin ? demanda le Procureur.
- Dans la maison, mon Père.
- Conduis-moi donc à lui !
Pierre conduisit le Procureur auprès du Dauphin et les
laissa ensemble. Il alla ensuite rejoindre sa mère, qui
préparait le repas du soir. L'obscurité commençait
à tomber.
Le lendemain, à l'aube, comme la cloche de la Courrerie
sonnait l'heure du lever (6h 30), le Dauphin et le Procureur étaient
prêts à partir.
Le Dauphin avait pris congé des soldats, après les
avoir remerciés.
Pierre avait préparé et sellé le cheval,
mais le Dauphin se contenta de charger un gros sac apparemment
bien lourd et, menant l'animal par la bride, il partit à
pied avec le Procureur sur l'étroit sentier qui conduisait,
dans la montagne, au monastère du Val Sainte-Marie.
Le sentier montait fortement, et le cheval trébucha plusieurs
fois sur les pierres. Ils franchirent un étroit défilé,
longèrent un torrent impétueux, dont le tumulte
emplissait tout le vallon. L'air embaumait l'humus et les odeurs
d'automne. Un chardonneret gazouillait à tue-tête,
sans distraire les hommes, perdus dans leurs pensées.
Le haut mur d'enceinte du monastère apparut, sombre masse
dominant la nature environnante. Ils longèrent le mur sur
une centaine de mètres et s'arrêtèrent devant
le portail de pierre.
Le Dauphin ôta le sac de cuir du dos du cheval et attacha
celui-ci par la bride à un anneau scellé dans le
mur.
- Vous reprendrez le cheval en partant, et en ferez usage utile,
dit-il au père procureur.
Celui-ci opina du chef et tira une chaînette qui pendait
sur le côté du portail. On entendit une clochette
tinter à l'intérieur.
Au bout de quelques minutes, le grincement d'un verrou fit résonner
la porte de chêne qui s'entrouvrit, laissant le passage
au père portier, un moine de haute taille, qui dévisagea
le procureur d'abord, et le visiteur ensuite, sans dire un mot.
Le portier invita du geste les deux visiteurs à entrer
et referma le verrou derrière eux. Il les conduisit dans
un appartement à proximité de l'entrée, lieu
dédié à l'accueil des arrivants, et les invita
de la main à s'asseoir sur un banc adossé au mur.
Il se retira ensuite. Les deux hommes restèrent seuls.
La pièce n'était meublée que d'un banc et
d'un gros meuble de noyer aux portes sculptées. Dans un
coin, une statue en bois de la vierge était posée
sur une colonne carrée, également en bois. Un crucifix
était fixé au-dessus de la porte.
Ils entendirent le tintement de la cloche de l'église,
qui appelait à l'office de Prime (7h00).
Peu de temps après le dernier son de cloche, un autre moine,
de petite taille et sans signe distinctif, vint ouvrir la porte
et entra.
Les deux visiteurs se levèrent.
Le moine prit la parole :
- Bonjour, je suis Dom Guigues, prieur de cette commu-nauté.
Bienvenue au Val Sainte-Marie.
Il se tourna ensuite vers le procureur et, d'un geste discret,
lui fit comprendre de quitter la pièce.
S'adressant alors au Dauphin :
- Comme vous le savez, nous suivons la règle du silence.
Toutefois, les nécessités de l'accueil nous autorisent
à enfreindre cette règle pendant le temps nécessaire.
Je vais vous conduire à votre cellule.
Ils traversèrent le cloître désert et s'arrêtèrent
devant une porte fermée. Le Prieur sortit une grosse clé
du trousseau qu'il tenait à la main et fit grincer la serrure.
Il commença par lui montrer, à côté
de la porte, l'ouverture d'un passe-plat traversant le mur.
- Vous recevrez votre repas chaque jour à cet endroit !
La porte donnait accès à une vraie maison privée,
que le Prieur appelait un " ermitage ". Ils empruntèrent
un escalier intérieur qui menait à l'étage.
Là, une autre porte, également munie d'une serrure
donnait accès à un Prie-Dieu, face à une
statue de la Vierge, devant laquelle le Prieur s'agenouilla et
se signa, puis une chambre avec un petit poêle à
bois, un bureau, un lit-armoire fermé sur trois côtés,
un oratoire, deux tables et deux chaises. La chambre communiquait
avec une pièce adjacente, où une réserve
de bois sec voisinait avec une bibliothèque imposante et
de nombreux rayonnages. Un escalier extérieur conduisait
au rez-de-chaussée, où il y avait un bûcher,
une hache et une scie. Un atelier complet de menuisier avec tous
ses outils meublait la dernière pièce. Dehors, un
petit jardin cultivé de fleurs et de quelques légumes
commençait à recevoir les premiers rayons du soleil.
Dom Guigues et le Dauphin revinrent à l'étage.
Le Prieur montra le lit sur lequel étaient pliés
une robe de bure, un scapulaire, une grosse ceinture et des sandales
de cuir.
- À midi, le cuisinier vous apportera votre repas. Ceci
est votre premier jour, que vous pouvez passer en cellule, ou
en vous promenant à l'intérieur des murs, à
l'église, dans le cloître, ou au jardin. Quand vous
croiserez un autre moine, vous ne lui adresserez pas la parole.
Demain commencera votre nouvelle vie. La cloche vous appellera
à huit heures pour la messe.
Le Prieur hésita avant de poursuivre :
- Hors de ces murs, vous êtes un grand de ce monde. Ici,
vous êtes un moine et le serviteur de Dieu. Vous serez Frère
Jean, et votre nom profane ne sera plus jamais prononcé.
Lorsque je sortirai de cette cellule, vous quitterez vos vête-ments
et ne porterez plus désormais que ces habits religieux.
Vous rendrez vos vêtements au frère qui viendra vous
raser tout à l'heure. Ils seront remis à votre famille.
À partir de ce moment vous ne posséderez plus rien
à l'intérieur de ce monastère, ni au-dehors.
Un silence suivit.
- Si vous avez quelque chose à dire, dites-le maintenant
! dites le.
Le Dauphin réfléchit, puis ramassant le sac qu'il
avait apporté, il en sortit un coffret de fer qu'il posa
sur la table.
- Mon Père, voici quelques objets que je désire
laisser à cette communauté. Prenez-les et faites-en
l'usage le plus juste et le meilleur possible.
Un autre silence s'installa.
- Qu'y a-t-il dans ce coffret ?, demanda le Prieur, avec un air
contrarié.
- Des biens de ce monde auquel j'ai renoncé, dit le Sou-verain.
- Je ne puis rien accepter, dit le Prieur. Aucun métal
ne peut souiller ce lieu consacré à Dieu.
Le Dauphin, vieux meneur d'hommes, s'attendait à cette
réponse, aussi, après avoir soupesé ses mots,
il ajouta :
- Je vous comprends, mon Père, et je désire moins
faire un don que me débarrasser de quelque chose qui me
pèse. N'en prenez pas possession, mais placez-le hors de
ma vue, pour qu'il ne me hante plus, et qu'il ne suscite point
de convoitises inopportunes.
Le Prieur réfléchit :
- Soit, mais alors, nous conviendrons que quel que soit le contenu,
il vous sera remis dès que vous le réclamerez.
- Cela me convient. Je ne veux plus me soucier que des biens spirituels
et du salut de mon âme.
- Soit, alors, il en sera fait ainsi, dit le moine.
Il posa le trousseau de clés sur la table, prit le lourd
coffret à deux mains, et sortit.
Le Dauphin se retrouva seul. Il commença par allumer le
feu, avec des brindilles et le briquet d'amadou qui se trouvait
sur la table. Il rajouta des branchettes, puis des branches, jusqu'à
faire ronfler le feu qui commença par fumer, mais répandit
ensuite une douce chaleur dans la pièce. .
Il ôta cape, houppelande, tunique, braies, bonnet et ses
chaussures à la poulaine, qu'il jeta sur le lit. Il retira
ses bagues, collier et bijoux et les déposa sur la table.
Il revêtit la sous-robe de toile, la robe de bure, le scapulaire
avec sa capuche, et chaussa les sandales de cuir, qu'il trouva
étonnamment souples et agréables.
Il était absorbé dans la découverte des livres
de sa bibliothèque quand on vint frapper à la porte.
C'était un autre moine, porteur d'une bassine d'eau chaude
et d'un rasoir. Sans dire un mot, il indiqua la chaise à
celui qui était désormais Frère Jean et commença
à le raser entièrement, barbe et cheveux. Quand
toute la chevelure grise du vieil homme fut tombée sur
le sol, il reprit son attirail et repartit silencieusement sans
un mot.
Entre-temps Dom Guigues était arrivé dans sa cellule.
Il ferma la porte à clé et posa le coffret sur la
table.
Une clé tenait par une chaînette à la poignée
du couvercle. Le Prieur l'introduisit dans la serrure et tourna.
Le pêne céda sans difficulté.
Le coffret n'était pas plein. Des pièces d'étoffe
enve-loppaient les objets. Il les déballa. Il y avait plusieurs
bagues en or, dont plusieurs en forme de dauphin, et ornées
de rubis. Deux boucles de ceinture en or, serties de pierres,
un collier fait de minuscules mailles d'or pur, d'où pendait
un dauphin d'or délicatement ouvragé, avec un rubis
enchâssé à l'endroit de l'il. Chaque
pièce était enveloppée dans un tissu de velours
bleu.
Il les posa délicatement sur la table.
Sous ces objets, il y avait une mince plaque de noyer, fine-ment
ajustée. En-dessous, plusieurs rouleaux de pièces
tapissaient le fond, également séparés par
des bandes de tissu bleu.
Des centaines d'écus d'or, des ducats, des pistoles, quelques
thalers, reflet du commerce du Dauphiné à cette
époque.
Un véritable trésor, qui devait bien représenter
dix années de revenus de son monastère.
Pensivement, le Prieur contempla les bijoux étalés
sur la table, puis il les replaça soigneusement un par
un dans le coffret, qu'il referma à clé.
Il s'assit ensuite et se mit à réfléchir.
Pouvait-il accepter d'être le dépositaire de ce trésor
qu'il n'avait pas sollicité ?
Lorsque le Dauphin avait exprimé le désir de se
retirer en chartreuse, pour y expier ses fautes et y finir ses
jours dans la prière, et il en avait fait part au Prieur
Général de la Grande Chartreuse de Grenoble.
Le Prieur Général de l'Ordre, savait que c'était
un risque important vis-à-vis de l'autorité papale,
car Humbert Ier avait été excommunié à
trois reprises, pour la brutalité de ses guerres avec le
Comte de Savoie.
Le Prieur Général était toutefois passé
outre. Il avait choisi le monastère du Val Sainte-Marie
et avait ordonné à Dom Guigues d'accepter, sans
condition, cet immense honneur.
Le vieux Prieur n'avait même pas pensé à une
quelconque compensation financière.
Le monastère du Val Sainte-Marie n'était-il pas
déjà un don déjà ancien des Dauphins
de Viennois ? Ils étaient en quelque sorte ici chez eux.
Le bénéfice moral de ce choix pour dépas-sait
largement toutes les considérations matérielles.
Ensuite, le monastère vivait bien, avec dix pères
cloîtrés et quinze frères convers qui travaillaient
avec les paysans, à la subsistance de la communauté,
dans les " granges " du monas-tère.
Les dîmes, le commerce des peaux, la vente de la laine sur
les marchés des environs, les revenus des fours et des
moulins et surtout, les forges de la vallée assuraient
au couvent un revenu annuel confortable, dont une part était
prélevée chaque année pour les besoins de
l'Ordre.
Alors, ne fallait-il pas précisément renvoyer ce
cadeau encombrant à l'Ordre, pour que le Prieur Général
s'en occupe ?
À cette pensée, Dom Guigues soupira car agir de
la sorte, c'était aussi envoyer ces richesses dans un puits
sans fond, sans plus jamais savoir ce qu'elles allaient devenir.
Les besoins de l'Ordre étaient immenses. N'était-on
pas encore en train de reconstruire les dégâts du
dernier grand incendie ?
Tout garder, au contraire, n'était-ce pas introduire l'esprit
de lucre dans une communauté qui avait vécu paisiblement
jusqu'alors ? Qu'adviendrait-il si quelqu'un l'apprenait ?
Que penserait par exemple le père Claude, son procureur,
qui avait en charge les aspects matériels de la communauté
? Il rêverait sans doute à des plans d'agrandissement,
à des achats de nouvelles terres, de nouveaux pâturages,
et ce seraient de nouveaux actes notariés, des allées
et venues de clercs, d'hommes de loi, bref, de nouvelles tensions
inopportunes.
Or Guigues V, créateur des coutumes de chartreux, les
" Con-suetudines cartusiensis ", texte fondateur de
l'Ordre, avait clairement recommandé que " les préoccupations
matérielles ne prennent le pas sur les préoccupations
spirituelles ".
Après l'office de nuit, Dom Guigues avait pris sa décision.
Il attendit que tous les moines soient rentrés dans leur
cellule, en pleine nuit, dans le silence des couloirs déserts.
À ce moment, muni du coffret et d'un petit sac de sable,
il se rendit à l'église, où seule brillait
la petite flamme rouge au fond du chur.
Il entra par la porte sud, s'agenouilla brièvement devant
l'autel et se dirigea vers le pilier droit du parvis.
À côté de la base, les bâtisseurs primitifs
avaient ménagé une assez large anfractuosité
qui se dévoilait en descellant une dalle du sol : une cachette
que les prieurs se communiquaient quand ils prenaient leur fonction.
Il y installa le coffret, replaça avec peine la lourde
dalle dans son logement et versa sur les joints le contenu du
petit sac de sable qu'il avait emporté. Une fois l'opération
terminée, la cachette était indécelable.
Quand son travail fut fini, Dom Guigues était épuisé.
L'heure tardive, le travail intense pour son grand âge,
l'importance de l'objet, les événements du jour,
tout cela l'avait considérablement fatigué. Il rejoignit
en chancelant sa chambre et se mit au lit pour deux courtes heures
de sommeil avant le lever de 6 heures.
Le lendemain matin, le monastère avait repris sa routine.
Lever de prime, à 6 heures, messe conventuelle à
8 heures, offices de tierce et de sexte, repas dans la solitude
de la cellule, office de none, travail manuel, Vêpres, Angelus,
Complies, coucher, Matines et Laudes de minuit à deux heures
et coucher à nouveau jusqu'au lever.
Frère Jean n'était plus qu'une capuche parmi les
autres, déambulant dans le cloître, accomplissant
d'humbles travaux : scier le bois, le fendre en bûches,
recopier des manuscrits à la bibliothèque.
Les journées étaient bien remplies, des travaux
manuels aux offices chantés à l'église. À
lui seul, l'entretien du poêle réclamait son lot
de bûches et de petit bois plusieurs fois par jour. Tout
se passait en silence.
Quand il croisait un autre moine, Frère Jean gardait le
regard baissé. Un regard, un sourire, a fortiori un mot,
étaient in-con-venants, afin de ne pas troubler la pensée
ou les méditations.
Heureusement, il y avait le spaciement hebdomadaire.
Une fois par semaine, les lundis après-midi, le couvent
se mettait en récréation. Tous les moines partaient
se promener dans la campagne. Ils allaient par petits groupes,
parlant de la semaine écoulée ou des événements
du monde. Chacun y allait de son anecdote amusante ou des critiques
de la nourriture.
La bonne humeur était générale. Lorsqu'il
faisait trop mauvais, ils descendaient à la Courrerie,
où le Père Procureur avait fait allumer du feu dans
la cheminée monumentale du réfectoire.
Des groupes se formaient dans la pièce, autour de la grande
table des frères convers.
Ils allaient parfois visiter les écuries, voir les brebis,
et les agneaux nouveau-nés, ou, en saison, ramasser les
champignons qui poussaient autour de la grange.
Puis, à la fin de la journée, les petits groupes
regagnaient le monastère, pour les Vêpres, l'Angelus
en cellule et le coucher.
Pour Frère Jean, le plus pénible au début
avait été l'office chanté de matines qui
commençait vers minuit et durait deux bonnes heures. L'ancien
Dauphin était âgé, usé par une vie
de guerres et d'intrigues de palais.
C'était, donc pour lui, au début, un effort considérable
de se lever au son de la cloche, après quatre petites heures
de sommeil, se rhabiller, remettre quelques bûches sur le
feu, traverser le cloître sombre et glacial avec les autres
silhouettes qui trottinaient dans l'obscurité vers l'entrée
de l'église, dans le seul bruit des sandales glissant sur
les dalles de pierre.
Lorsqu'enfin, après les psaumes et le Notre Père
final, le Prieur entonnait le dernier " Deo Gratias ",
c'était une véritable délivrance de retourner
dans sa cellule encore tiède et de se glisser dans les
couvertures jusqu'au lever de 6 heures.
Après quelques semaines, la routine s'était installée
et il prenait même plaisir à prier et chanter ainsi
dans l'obscurité, avec pour seule lumière la petite
flamme rouge qui brillait dans le chur, symbolisant la présence
du Très-Haut.
C'est pendant un de ces offices de nuit que l'ex-Dauphin fit un
rêve étrange.
Au cours d'un instant de méditation il s'était légèrement
assoupi et, dans son demi-sommeil, il vit un aigle survoler son
palais de Beauvoir-en-Royans. L'aigle portait dans son bec une
énorme branche qu'il laissa choir. La branche tomba sur
le chien du Dauphin, qui eut la tête écrasée,
mais qui se releva et vint expirer, décapité, au
pied de son maître.
Le lendemain, encore troublé par ce mauvais songe, Frère
Jean aperçut dans les couloirs un messager à la
silhouette fami-lière qui tendait un rouleau de parchemin
au Prieur. Quelques minutes après, Dom Guigues le fit appeler.
Il lui apprit que son fils aîné était mort
au combat et enterré.
Le message disait que le prince avait eu la tête écrasée
d'un coup de masse d'armes.
Frère Jean chancela.
- Qui était donc ce messager, qui venait de ma maison ?
demanda-t-il.
- Il disait se nommer Aquila, répondit Ponce. Il est redescendu
à la Courrerie.
Aquila ! Le porteur d'enseigne, La constellation de l'aigle! Comme
dans le rêve !
Effondré, l'esprit vide, l'ex-Dauphin retourna vers sa
cham-bre en marchant comme un somnambule. Il se mit au lit, le
cur battant la chamade. Au bout de quelques minutes, il
ressentit une violente douleur dans la poitrine. Au-dessus de
son lit, pendait un fil de métal qui agitait une sonnette
dans le cloître. Il le tira compulsivement.
Au bout de quelques minutes, le Frère Gaspard, le cuisinier,
vint frapper à la porte. Comme il n'obtenait pas de réponse,
il ouvrit et découvrit Frère Jean râlant sur
le pavement.
Il courut avertir Dom Guigues qui, arrivé, dut constater
que le Dauphin avait rendu le dernier soupir.
C'était le 12 avril 1307.
Le monarque fut enterré selon les coutumes des Chartreux.
Le corps fut veillé nuit et jour par des moines en prière,
et trois messes furent dites.
Plusieurs membres de sa famille et des seigneurs de sa vassalité,
des hommes uniquement, furent accueillis dans l'é-glise
du monastère pour la dernière messe chantée
avant que le corps soit enterré, sous une dalle du chur.
Au grand étonnement du Prieur, aucun membre de la famille
ne fit allusion à un don, ni à une somme apportée
par le Dauphin. Dom Guigues en déduisit que le cadeau avait
été fait en cachette, et qu'il n'y avait aucun témoin
de ce don particulier.
La vie reprit au monastère du Val Sainte-Marie. Peu après
la mort du Dauphin, un matin de juin 1307, au cours de la messe
conventuelle de 8 heures, Dom Guigues s'effondra sur le sol au
moment où il se levait pour prononcer la Lectio Divina
(lecture d'un passage de la Bible). On le releva à demi-conscient.
Les moines le portèrent dans sa cellule, où le cuisinier
lui fit boire quelques gouttes de cordial qui lui ramenèrent
un peu de couleur aux joues.
Au bout de quelques heures, il avait rouvert les yeux, mais le
côté gauche de son visage était étonnamment
figé. Il balbutiait des mots incompréhensibles,
et son bras gauche pendait, inerte.
Les Pères se succédèrent à son chevet
pendant une semaine, priant à tour de rôle pour son
rétablissement, mais le Père Guigues perdit définitivement
connaissance. Il se mit à respirer de plus en plus lentement,
les yeux fermés. Parfois, après une expiration,
le souffle s'arrêtait pendant de longues secondes, puis
une inspiration spasmodique reprenait.
Autour de lui, les Pères priaient à genoux, et ce
murmure faisait comme un bruit de fond sur les halètements
du vieil homme. Soudain, l'inspiration ne se fit pas et son visage
devint gris d'un seul coup.
Dom Guigues avait rendu l'esprit.
Le murmure des prières devint plus fort. Le père
procureur se releva et s'inclina longuement devant le corps.
- Continuons à prier pour le repos de l'âme de notre
Frère, dit-il, et il s'agenouilla à nouveau au milieu
des moines.
Pendant ce temps le trésor du Dauphin dormait sous une
dalle de l'église, ignoré de tous.
................
Annexes : personnages, lieux,
armes, chronologie
1. Les personnages cités dans le texte.
Humbert Ier, Dauphin.
Après un règne marqué par ses guerres contre
Amédée de Savoie, il se retirera au Val Sainte-Marie
où il décédera en 1306. Il sera enterré
sous le chur.
Sur l'origine du mot " Dauphin "
Guy VIII, dit Gui le Gras, mort en 1143, était un grand
homme de guerre. Il choisit un dauphin comme timbre de son casque.
Il en décora son armure et le mit en figure sur la houppe
de son cheval. Il se fit remarquer par son adresse et sa valeur
et de là il fut appelé Comte du Dauphin, et "
Comte Dauphin ". Après ce prince, le dauphin devint
la devise de cette illustre maison. Après le rachat du
Dauphiné par le roi de France, le titre de Dauphin désignait
traditionnellement l'héritier de la Couronne.
Anthoyne Vigne, Consul de Bouvante
Anthoyne Vigne est né à Bouvante. En 1588, il est
consul de Bouvante, et héros de l'expédition de
récupération du bétail à Die, où
il affronte avec succès le redoutable Capitaine Chabanas.
Albert Faure (Albertus Forti)
À la mort de son prédécesseur, Dom Jehan
Mulet en 1561, Albert Faure est désigné comme Recteur
par sa communauté. Le Chapitre Général de
la Grande Chartreuse le confirme ensuite dans la position de Prieur
du Val Sainte-Marie.
Albert Faure remet sa démission au Chapitre Général
en 1584. Cette année-là, il est remplacé
à sa demande par Jehan Dagonneau, son Vicaire. Il décède
deux ans plus tard. Les textes ne mentionnent rien d'autre sur
cet homme de devoir qui a tenu bon dans la tourmente, avec simplicité
et dévouement.
Jehan Dagonneau
Jehan Dagonneau est un érudit, profès de la Chartreuse
de Paris, qui écrit, à la mode de la Renaissance,
en latin comme en français. Il est sans doute originaire
d'une riche famille dijonnaise. D'abord Vicaire, puis nommé
Prieur en rempla-cement d'Albert Faure, il sera déchu de
sa fonction par la Grande Chartreuse, pour " désobéissance
". Le motif officiel est qu'il aurait écrit au roi
Henri IV en 1592, pour lui demander le rétablissement des
droits et privilèges des Chartreux du Val Sainte-Marie,
ce qui lui aurait été accordé. Mais, à
cette époque, Henri IV, quoiqu'ayant abjuré le protestantisme,
n'était pas encore considéré comme "
bon catholique " par les Chartreux qui ne l'incluront dans
leurs prières que plus tard. Pour avoir sollicité
un souverain hérétique sans l'autorisation de sa
maison mère, il sera considéré comme "
désobéissant " et " rebelle " (la
désobéissance est une faute quasi-démoniaque,
dans la tradition cartusienne). Déchu de son titre, puis
emprisonné à la Courrerie de la Grande Chartreuse,
il y restera " en pénitence " jusqu'à
la fin de ses jours en 1618.
Laurent de Maugiron,
(Né à Vienne en 1528 - mort en septembre 1588) comte
de Mauléans, est nommé à 34 ans lieutenant-général
du Dauphiné. Son intransigeance lui fait perdre son poste
en 1568 au profit de Bertrand de Gordes. Il retrouve son poste
en 1578 après la mort de Monsieur de Gordes après
l'intervention de son fils, Louis, un des " mignons "
d'Henri III.
Jacques Rambaud, sire de Furmeyer
(Né vers 1525, château d'Ancelle - mort le 25 juillet
1594) est un capitaine huguenot qui participe aux guerres de religion
dans le Dauphiné.
Jacques Rambaud embrasse le protestantisme en 15613. Le 20 avril
1562, les ecclésiastiques le chassent pour incapacité
et hérésie. Il rejoint alors le parti protestant.
Il combattra aux côtés de ses frères, de leur
cousin François de Bonne de Lesdiguières et du baron
des Adrets.
Bertrand de Simiane de Gordes
Bertrand Rambaud de Simiane VI, né le 18 octobre 1513 en
Dauphiné et mort le 20 février 1578 vers 17h00 à
Montélimar, baron de Gordes et de Caseneuve,
Lieutenant général du Dauphiné de 1568 à
1578, il s'empara de plusieurs places fortes des Protestants.
Il se rendit célèbre en refusant l'ordre du Roi
Charles IX qui lui ordonnait de massacrer tous les protestants
du Dauphiné après la St Barthé-lemy. Il défit
Charles Dupuy de Montbrun, célèbre capitaine protestant,
en juin 1575. Il le fit juger et décapiter à Grenoble
le mois d'août suivant.
François de Beaumont, Baron des Adrets
Né au château de la Frette, près de Grenoble.
Participe aux guerres d'Italie de François Ier, et Henri
II. Il embrasse ensuite le protestantisme.
Connu pour sa fulgurante campagne de mois d'avril 1562 à
janvier 1563, où il attaque et soumet d'une façon
barbare presque toutes les villes du Lyonnais, du Dauphiné
et de Provence. Passe dans le camp catholique après 1563
et fait encore diverses campagnes moins sanglantes à leurs
côtés.
Prend sa retraite et meurt dans son lit au château de la
Frette en 1587.
Jean V de Parthenay, sieur de Soubise,
Né en 1512 et mort le 1er septembre 1566, est un noble
français protestant, combattant et ambassadeur d'Henri
II pendant les dernières guerres d'Italie. Converti officiellement
au calvinisme en 1562, après le massacre de Wassy, il devient
pendant la première guerre de religion l'un des plus ardents
soutiens de Condé, et du parti huguenot.
Son gouvernement de la ville de Lyon (1563) épargne néanmoins
aux catholiques les cruautés du baron des Adrets ; et,
jusqu'à sa mort en 1566, ses efforts contribuent à
maintenir la paix entre les factions ennemies. (Wikipedia)
Capitaine Besson
Le Capitaine Besson dirige les 20 hommes de garnison au "
fort de la Courrerie " du Val Sainte-Marie pendant 5 ans,
de 1570 à 1575.
Charles de la Combe-Maloc
Procureur du Roi à St Marcellin en 1562. Assassiné
par les troupes du baron des Adrets. Une place de St Marcellin
porte son nom.
Marguerite Vigne
Habitante de Bouvante, condamnée au bûcher par le
juge de St Jean, pour sorcellerie en 1608. Fit appel de la sentence,
mais finalement exécutée à Bouvante, au mont
Péfort.
Nicolas Molin
Envoyé par le Chapitre Général des Chartreux,
comme commissaire " contre le prieur " Reconstitua le
cadastre des possessions des Chartreux pour pallier à la
disparition des " terriers " pendant les guerres.
Joachim de Brézenhault
Premier successeur du Dagonneau après sa révocation.
Catherine de Villeneuve
(1533- 161 ?) : 14ème Abbesse de l'abbaye cistercienne
de St Just-de-Claix, après le décès de Françoise
de St Chamond en 1575, elle déplaça le couvent à
Romans chez le chanoine Séverin Borel, rue de la Fontaine
Couverte, pour échapper aux guerres. Elle détenait
apparemment des documents, et des titres importants appartenant
aux Chartreux du Val St Marie, et a refusé de les rendre
au prieur Dagonneau, qui lui a fait un procès auprès
du Parlement de Grenoble, sans succès.
Capitaine Chabanas
Le capitaine Chabanas, de Die est un de ces petits chefs de guerre,
comme il y en eut tant pendant les guerres de religion. Cruel,
avide, sans moralité, il prit le parti protestant et fut
surtout préoccupé de s'enrichir sans vergogne.
Aymé de Glane, seigneur de Cugie
Un des principaux " chefs de guerre " des guerres de
religion. Gouverneur de Pont-en-Royans en 1587-88.
Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes.
Participe grandement à la victoire de Renty, après
laquelle Henri II lui décerne le collier de l'ordre de
Saint-Michel sur le champ de bataille. Lieutenant-Général
de Bourgogne jusqu'en novembre 1570.
Pendant les guerres de religion, il manifeste un grand zèle
contre les protestants dans son gouvernement de Bourgogne et dans
le Lyonnais. Il est à l'origine de la création en
Bourgogne de la confrérie du Saint-Esprit, l'une des premières
associations ayant pour vocation la croisade contre le protestantisme.
Donné pour mentor au jeune duc d'Anjou (futur Henri III),
il sauve l'armée du roi près de Pamproux en Poitou
et prend une grande part aux victoires de Jarnac (13 mars 1569)
et de Moncontour (3 septembre 1569). En récompense de ses
succès, le roi le fait maréchal de France le 28
novembre 1570.
2. Notes sur lieux du récit
Monastère du Val Sainte-Marie
Monastère chartreux, fondé dans la vallée
de Bouvante en 1144 par les successeurs de Bruno de Cologne ;
c'est la quatorzième maison de l'Ordre. Cinq de ses moines
fondent la chartreuse de Paris à la demande de St Louis.
Le Dauphin Humbert Ier vient s'y retirer, et y mourir en 1307.
Le Val Sainte-Marie connaît une existence paisible jusqu'aux
guerres de religion du XVIème siècle.
Il connaît une dernière période de prospérité
entre 1600 et 1792, date à laquelle les moines sont expulsés
et les bâtiments vendus comme biens nationaux.
Courrerie du Monastère
Située à quelques centaines de mètres en
contrebas de la " Maison Haute " où les moines
de chur prient en silence, la Courrerie, ou " Maison
Basse " est un second monastère " opératif
", où les frères convers travaillent à
la subsistance de la communauté. Il sont en contact avec
les villageois et pratiquent tous le métiers utiles à
l'exploitation du domaine.
Bouvante
Située dans le département de la Drôme, Bouvante
est aujourd'hui une commune de 250 habitants.
Elle a compté près de 1000 habitants au XVIIIème
siècle et sans doute autant à l'époque des
guerres de religion.
3. Notes sur les armes à feu mentionnées dans
le texte
Arquebuse : l'arquebuse à mèche est la plus fréquente
dans la première moitié du XVIe siècle. C'est
une mèche combustible, allumée en permanence qui
met le feu à la poudre. Elle subsistera longtemps, et sera
concurrencée progres-sivement par l'arquebuse à
rouet, où un mécanisme d'horlogerie est à
la base des étincelles qui mettent le feu au bassinet,
le rendant moins sensible à l'humidité.
Pistolet : principalement arme des cavaliers, il présente le désavantage de ne pouvoir être rechargé rapidement dans le feu de l'action. Il sera progressivement doté du mécanisme à rouet.
Canon : calibre de 168mm ; tire des boulets de 33 livres. Le canon est le plus souvent en fer. Son explosion est fréquente. Canons et couleuvrines demandent à être tractées par des attelages de chevaux parfois très importants, allant de quatre à vingt-trois chevaux.
Couleuvrine : (les couleuvrines de bronze ont été préférées aux canons de fer car, le bronze se déformant au lieu d'éclater, elles étaient moins sujettes à explosion)
- couleuvrine : calibre 130 mm ; tire des boulets de 16 livres
- couleuvrine bâtarde : calibre 100 mm ; tire des boulets
de 7,5 livres
- couleuvrine moyenne : calibre 80 mm, tire de boulets de 3 livres
- fauconneau : calibre 48 mm ; tire des boulets d'une livre
Chronologie sommaire
1144 Fondation du monastère du Val Sainte-Marie à
Bouvante
1257 Fondation de la Chartreuse de Paris par cinq moines de Bouvante
1307 Mort du Dauphin Humbert Ier au Val Sainte-Marie
1559 Mort accidentelle du roi Henri II, en tournoi à Paris
Avril 1562 Assassinat du Lieutenant-Général La Motte-Gondrin
à Valence. Séquestre et expulsion des Chartreux
du Val Sainte-Marie.
Avril 1562-Janvier 1563 Chevauchée sauvage de François
de Beaumont, Baron des Adrets, jusqu'à son arrestation
et son emprisonnement à Nîmes.
Mars 1563 Edit de Pacification d'Amboise. Restitution des biens
confisqués des ecclésiastiques et retour des Chartreux
à Bouvante en juillet 1563
1567 Soulèvement général des protestants
en France
1570 Le Lieutenant-Général Bertrand de Gordes met
une garnison à la Courrerie
1572 St Barthélemy à Paris
1574 Pillage du Val Sainte-Marie par les Huguenots. Plusieurs
moines blessés ou assassinés
1584 Démission du Prieur Albert Faure. Nomination de Jehan
Dagonneau
1586-1588 Incursions violentes à Bouvantes des Huguenots
de Die
1594 Arrestation et " mise en pénitence " du
Prieur Jehan Dagonneau
1598 Edit de tolérance de Nantes
1618 Mort de Jehan Dagonneau
1528 Prise de la Rochelle par Richelieu et fin des résistances
armées des protestants.
1529 Dernière guerre : prise d'Alès et fin des guerres
de religion en France
Table des matières
Préface et remerciements 7
Livre I 9
La mort du Roi 9
Au même moment, au pied du Vercors 10
La fondation du monastère 12
L'or du Dauphin 16
L'enfance d'Anthoyne 30
Avant les guerres 39
Le feu aux poudres 48
Chez Monsieur de Maugiron 68
Suite de la campagne d'Anthoyne 106
Enfin, la paix ! 130
Livre II 134
L'accalmie 134
Fin de la trève 149
Le fort de la Courrerie 156
L'abbaye de Malgouverne 161
Les dernières destructions 175
Dix ans plus tard 188
Le temps des désillusions 200
Cinq ans après
en 1623 233
Annexes : personnages, lieux, armes, chronologie 234
Table des matières 242