dans la Drôme Provençale des produits du terroir & des métiers de bouche d'autrefois |
Mise en bouche
En 1859, Alexis Espanet, médecin homéopathe de Mon-télimar
de grande renommée, donnait volontiers des conseils de
longue vie à ses patients aussi bien citadins que campagnards
:
- manger pour vivre, par conséquent manger peu, car il
faut peu pour vivre ;
- éveiller le désir par la privation et l'appétit
par l'abstinence ;
- la sensation de réplétion de l'estomac une fois
acquise, il faut l'arrêter court. Au-delà est le
besoin factice, et avec lui l'indigestion, les douleurs et les
maladies ;
- vêtements modérément chauds ;
- habitation aérée ;
- exercice du corps ;
- et pratique de la vertu.
Pour avoir appliqué ces conseils à la lettre, l'écrivain
Fontenelle mourut centenaire en 1757, ce qui à cette époque
de mortalité prématurée était un véritable
exploit.
Pour vivre vieux, le naturaliste suédois Charles de Linné
ajoutait qu'il fallait ne point trop manger et mener une vie saine
et régulière. Ne disait-il pas : Lever à
six, dîner à dix, souper à six font vivre
quatre-vingt-dix. Son conseil ne réussit pas à tout
le monde, à commencer par lui, puisqu'il mourut en 1778
à l'âge de soixante et onze ans.
Tous les peuples, selon le docteur Espanet, ont débuté
par la frugalité alliée à une grande sévérité
de moeurs. Ces deux vertus en faisaient des peuples forts. Ainsi
les Gaulois vivaient de peu. Leurs institutions faisaient une
loi de la frugalité. Ils allaient même jusqu'à
punir l'embonpoint chez les jeunes gens parce qu'ils l'attribuaient
à deux vices, l'oisiveté et la bonne chère.
Chez les Perses, les enfants subissaient pendant dix ans la fatigue,
la faim et la soif. Leur nourriture était si frugale qu'ils
ne prenaient que du pain, du cresson et des légumes avec
de l'eau. Il en fut de même chez les Spartiates et les Vandales.
Nous avons dans la société, c'est Diderot qui parle,
deux ordres de personnes, les médecins et les cuisiniers.
Les uns travaillent sans cesse à conserver notre santé
et les autres à la détruire, avec cette différence
que les derniers sont plus sûrs de leur fait que les premiers.
L'art culinaire, tant qu'il s'exerce à améliorer
l'aliment, à le rendre plus digestible, n'est pas meurtrier.
On lui passerait encore de rendre les mets plus savoureux, si
l'on savait n'en prendre que le nécessaire. Mais de combien
d'excès n'est-il pas la cause !
Ainsi, pour bien des sommités médicales et littéraires,
manger serait une nécessité, bien manger un péché
et trop manger un vice. Cet ouvrage sur les nourritures terrestres
et les boissons alcoolisées ou non n'adhère pas
à cet excessif point de vue. Il se contente de relater
et d'analyser des faits en abordant souvent avec bonne humeur
quasiment toutes les facettes de la gastronomie du XIXe siècle
et du début du XXe, époques de grande bouffe, mais
aussi de misère alimentaire, tant les pauvres y étaient
en cohortes. Les banquets et les disettes n'y furent jamais aussi
nombreux, tout comme les chaleureuses auberges et les austères
soupes populaires. Dans ce quotidien impitoyable, les bourgeois
potelés exhibant leur ventre et leur argent y côtoyaient
sans vergogne les mendiants décharnés tendant leur
sébile pour manger chichement. C'était ce qu'il
est convenu d'appeler un univers paradoxal.
Mais trêve de bavardage ! Lecteur, tu dois avoir faim et
soif. Alors, à table !
Roland Brolles
INDEX ALPHABÉTIQUE
Aiguebelle,86, 180
Aleyrac,39, 72, 137, 171
Allan,37, 39, 180, 190, 206, 220
Ancône,154, 157, 158, 164
Arnayon,73
Bellecombe-Tarendol,179
Bouchet,73, 76, 184
Bourdeaux,198, 202
Bourg-de-Péage,147
Buis-les-Baronnies,27, 59, 86, 107, 173
Carpentras,67, 151
Cayenne,78, 147, 206
Chamaret,60, 87, 174
Chantemerle-les-Grignan,62
Charols,92, 96, 100, 192, 207, 230
Châteauneuf-de-Bordette,140
Châteauneuf-de-Mazenc,72, 100, 154, 211
Châteauneuf-du-Rhône,63, 77
Clansayes,111
Colonzelle,62, 94
Colonzelles,96
Comps,220
Cornillac,73
Cornillon-sur-l'Oule,73
Dieulefit,18, 28, 33, 38, 65, 66, 67, 68, 72, 86, 95, 100, 113,
114, 120, 148, 155, 174, 181, 183, 184, 188, 198, 199, 200, 202,
203, 207, 220
Donzère,21, 49, 51, 52, 64, 73, 101, 141, 155, 216, 222
Espeluche,18, 79, 136
Establet,73
Eyzahut,82, 211
Granges-les-Valence,74
Graveyron,198
Grenoble,143, 152
Grignan,29, 39, 52, 60, 61, 73, 97, 103, 117, 133, 213, 219
Grignan-les-Adhémar,60
Jabron,65, 96, 105, 154, 155, 208
l'Homme-d'Armes,37
La Charce,73
La Coucourde,53, 155, 206, 211
La Garde-Adhémar,86, 120
La Laupie,130, 190, 206, 215
La Touche,39, 58, 59, 88, 105, 220, 230
La-Bâtie-Rolland,26, 72, 144, 145
La-Baume-de-Transit,59
La-Bégude-de-Mazenc,37, 95, 134, 137
La-Garde-Adhémar,119
La-Motte-Chalancon,73, 74
La-Roche-sur-le-Buis,107
Livron-sur-Drôme,72
Loriol,36, 152
Lus-la-Croix-Haute,35
Malataverne,20, 21, 63, 104
Marsanne,19, 42, 73, 79, 111, 131, 165, 214, 215, 220
Montauban-sur-Ouvèze,92
Montaulieu,220
Montboucher-sur-Jabron,72, 105, 137, 172, 199
Montbrison-sur-Lez,60, 73
Montéléger,138
Montélimar,6, 11, 16, 17, 18, 19, 22, 24, 25, 26, 27, 29,
32, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 49, 51,
52, 53, 54, 56, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 70, 71, 72, 73,
74, 75, 76, 77, 78, 79, 81, 82, 84, 85, 87, 88, 89, 92, 95, 96,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 108, 109, 110, 112, 113, 117, 120,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 133, 134, 136, 138, 140, 141, 144,
145, 146, 148, 149, 152, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 164, 165,
168, 176, 178, 180, 182, 184, 189, 192, 193, 195, 196, 197, 198,
199, 200, 202, 206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 216,
219, 225, 230
Montjoux,212
Montjoyer,168
Montségur-sur-Lauzon,19, 79, 98, 192
Notre-Dame-d'Aiguebelle,51
Nyons,27, 28, 56, 60, 73, 83, 84, 85, 90, 92, 96, 100, 139, 144,
171, 172, 173, 179, 224
Orcinas,66
Paillette,202
Piégon,82
Pierrelatte,17, 29, 63, 71, 80, 88, 98, 107, 108, 137, 139, 155,
194, 195, 208
Poët-Laval,58, 106, 172
Pommerol,107
Pont-de-Barret,96, 147
Pont-Saint-Esprit,94
Portes-en-Valdaine,35, 38, 59, 189, 206
Propiac-les-Bains,33
Puygiron,16, 59
Puy-Saint-Martin,120, 130, 211
Rambouillet,22, 23, 24, 129
Réauville,37, 60
Rémuzat,33, 171
Rochebaudin,94
Rochefort-en-Valdaine,24, 33, 86, 174
Rochegude,29, 51, 61, 73, 74, 118, 147
Roche-Saint-Secret,66
Romans,147
Rottier,73
Roussas,40
Rousset-les-Vignes,73, 76, 125
Saillans,183
Saint-Auban-sur-Ouvèze,94
Sainte-Jalle,82, 90
Saint-Gervais-sur-Roubion,35, 88, 134
Saint-Marcel-les-Sauzet,73, 77
Saint-Maurice-sur-Eygues,73
Saint-Pantaléon-les-Vignes,33, 73
Saint-Paul-Trois-Châteaux,50, 60, 62, 79, 86, 100, 101,
108, 147, 169, 170, 175
Saint-Restitut,51, 149, 151, 152, 175
Salettes,111, 136
Salles-sous-Bois,220
Saoû,90, 220
Sauzet,25, 79, 87, 130, 167, 168, 177
Savasse,37
Séderon,39
Solérieux,64, 81
Soyans,192
Suze-la-Rousse,62, 73, 75, 118, 152, 176
Taulignan,25, 39, 73, 82, 96, 144, 148, 170, 172
Teyssières,148
Tonils,104
Tournon-sur-Rhône,178
Tricastin,58, 60
Tulette,73, 82
Valence,37, 55, 56, 152, 206, 211, 230
Valouse,38
Valréas,66, 104, 148
Venterol,76, 82, 220
Vermenon,96
Vesc,114, 198, 202
Villeperdrix,62
Vinsobres,73, 206
TABLE DES MATIÈRES
Mise en bouche 11
LE GIBIER 15
Les rois du braconnage 16
Les tableaux de chasse du Président 22
Petites histoires de gibier 24
LES SUCRERIES 31
Confitures, gelées et compotes 32
Les glaces 35
Le miel 37
Le nougat 39
Les pâtisseries 45
Le sucre 49
Le chocolat 50
Les dragées et bonbons 52
Les treize desserts 56
LES TRUFFES 57
Truffes en vrac 58
Les voleurs de truffes 61
LES BOISSONS 69
Le café 70
Le vin 72
Les alcools 83
Les escargots, grenouilles & écrevisses 91
Les escargots 92
Les grenouilles 95
Les écrevisses 96
LA VIANDE 99
Viandes malades et avariées 100
Les bouchers au quotidien 102
Bouchers et SPA, le combat 107
Sa majesté le cochon 111
La basse-cour 117
LES BANQUETS 123
Gargantuesque ! 124
Les banquets d'Emile Loubet 131
LE PAIN 135
La flamme du boulanger 136
La mie des pauvres 138
Une affaire scatologique 141
Une pointilleuse réglementation n'empêche pas les
boulangers de tricher 143
Les voleurs de pain 148
Une athlétique boulangère 149
LES POISSONS 153
Les poissons du péché 154
Une bourriche de poissons 157
Un lac poissonneux, mais interdit 159
LES FRUITS & LEGUMES 163
Une corbeille de fruits 164
Quelques kilos de légumes 174
UFS, LAIT, BEURRE & FROMAGES 187
Les ufs 188
Le lait 192
Le beurre 197
Les fromages 199
LES AUBERGISTES 205
Une profession de sinistre réputation 206
Des cuisiniers d'exception 207
Quand les aubergistes se font avoir 210
NOURRITURES DIVERSES & VARIEES 217
Soupes et potages 218
Un cambrioleur repu 220
Version gastronomique de la Marseillaise 222
Le véritable réveillon de Noël 222
Une mauvaise pâte 224
Ce qu'on mangera en l'an 2000 225
INDEX ALPHABÉTIQUE 227
REMERCIEMENTS 230
TABLE DES MATIÈRES 231
Catalogue éditeur 234
Extrait
chapitre 1
LE GIBIER
A l'automne suivant, les bécasses passèrent
en masse et, comme ma goutte me laissait un peu de répit,
je me traînai jusqu'à la forêt.
Guy de Maupassant
Les contes de la bécasse
Les rois du braconnage
En 1877, notre belle France comptait cent cinquante mille permis
de chasse pour quatre cent cinquante mille braconniers, soit une
perte sèche pour l'Etat et les communes de quarante millions
de francs. La Drôme Provençale entrait dans cette
moyenne bien que certains villages battaient des records en matière
de braconnage.
C'était le cas en 1903 de Puygiron, village auquel on accédait
difficilement par de véritables chemins de chèvres.
Pour les Puygironnais, un permis de chasse était une chose
tout à fait inutile. Ainsi chaque jour, quelle que fût
la saison, ils partaient le plus tranquillement du monde, fusil
en bandoulière et carnier au côté, chercher
un lièvre aux carrières. Les braconniers étaient
très organisés. A tour de rôle, il en était
qui restaient au village, et du plus loin qu'ils apercevaient
la maréchaussée de Montélimar, ils la saluaient
à grand renfort de clairons. Avertis par cette bruyante
et joyeuse fanfare, les chasseurs se métamorphosaient.
Fusils et carniers étaient placés en lieu sûr,
et les disciples de Saint-Hubert redevenaient de paisibles paysans
se livrant à leurs bucoliques occupations. Et nos braves
gendarmes, l'âme tranquille, doucement bercés par
leurs montures, avec, au cur, la satisfaction du devoir
noble-ment, mais vainement accompli, retournaient bredouilles
à leur caserne, cependant que les Puygironnais reprenaient
leurs pétoires pour aller chasser lièvres, perdreaux
et lapins dans leurs collines odorantes.
Le braconnage était alors une véritable institution
pour améliorer les menus quotidiens ou pour vendre le gibier
aux aubergistes peu regardants sur l'origine des animaux tués.
Tous les petits gibiers étaient braconnés, même
les moineaux. Ainsi à Pierrelatte en avril 1888, un honorable
ecclésiastique, l'abbé Benjamin Blanc, tua avec
une canne à feu quelques dizaines de moineaux qu'il mangea
rôtis avec une barde de lard autour. Ce petit délit,
ne devrait-on pas dire petit péché de gourmandise,
lui valut tout de même une amende de cinquante francs et
la confiscation de son arme.
On chassa également les petits oiseaux sur la place du
Marché enneigée à Montélimar durant
le glacial hiver de 1895 où il faisait si froid que le
lac du jardin public servit de patinoire à des sportifs
improvisés. La chasse fut si intense que le maire dut dresser
de multiples procès-verbaux pour non respect de l'arrêté
préfectoral faisant défense de chasser, détruire,
vendre et colporter les hirondelles, les mésanges, les
oiseaux insectivores ainsi que les petits oiseaux dont la taille
était inférieure à celle de la caille, de
la grive ou du merle, sauf l'ortolan, l'alouette lulu, le becfigue
et le motteux ou cul-blanc, dont la chasse était autorisée.
Crevant de faim, les familles les plus pauvres en furent fort
contrariées car, en ces temps difficiles, elles se nourrissaient
quotidiennement de petits oiseaux. Heureusement, grâce à
l'effort collectif de l'assistance publique et de la charité
privée, on parvint à conjurer les effets néfastes
des rigueurs hivernales. Les passereaux de Montélimar purent
ainsi voler en toute quiétude.
En décembre 1878 aux Granges-Gontardes, alors que le sol
était recouvert de neige, le sieur Valentin, braconnier
sans foi ni loi, ramassa dans une seule journée quatre-vingt-dix-huit
douzaines d'alouettes et d'autres petits oiseaux qu'il avait tués
avec des grains de maïs empoisonnés à l'aide
de noix vomique, ce qui n'empêchait pas le gibier d'être
comestible. Un véritable massacre qui lui valut quinze
jours de prison, cent francs d'amende et la privation de son permis
de chasse pendant deux ans. Ce n'était pas gênant
pour lui dans la mesure où il n'avait jamais acheté
un permis de chasse !
Les sentences pour braconnage pouvaient aller jusqu'à la
prison, mais rien ne pouvait empêcher les chasseurs d'uvrer
dans la plus complète illégalité. Même
pas une condamnation au bagne. Le 12 octobre 1879, Meyrand, repris
de justice dan-gereux, vola un fusil et de la poudre aux époux
Chastan d'Espeluche pour aller chasser sans permis sur les terres
de Montélimar où il se fit prendre en train de ramasser
un lièvre qu'il avait abattu dans le but de le vendre à
une auberge. Déjà condamné six fois pour
vols et abus de confiance, et malgré la belle plaidoirie
de son avocat Me Fontanille, Meyrand fut condamné en janvier
1880 par les assises de la Drôme à huit ans de travaux
forcés et vingt ans de surveillance de la haute police.
Le chasseur de gibier devint ainsi gibier de potence.
Pour un faisan rôti, des cailles au chasseur, un lapin de
garenne en saupiquet ou un salmis de bécasse, les nemrods
clandestins ne reculaient devant rien, tirant au fusil ou posant
des pièges les plus divers même dans les endroits
les plus exposés. Le gibier qui avait le plus leurs faveurs
était sans contestation possible le lièvre. Ah !
Un bon civet ou un lièvre à la broche, de quoi vous
inciter à prendre tous les risques dans les collines et
plaines de la Drôme Provençale. Mais si certains
réussissaient dans leur entreprise, d'autres, dans les
prés et les forêts, n'avaient pas rendez-vous avec
la chance.
En avril 1888, le tribunal correctionnel de Montélimar
condamna à une amende de cinquante francs le sieur Rochas,
fabricant de poteries à Dieulefit, surpris par le gendarme
Rey-naud, porteur d'un superbe lièvre qu'il s'efforçait
de cacher dans un paquet soigneusement ficelé. La bête
fut remise à Mathilde Morin, présidente du comité
du bureau de bien-faisance. Ce jour-là, les pauvres de
Dieulefit durent bien se régaler.
Le sieur Bourbousson de Montségur-sur-Lauzon, ainsi qu'en
témoignait son éloquent sommier judiciaire, était
un redoutable braconnier. En mai 1888, ayant tué un beau
lièvre par temps prohibé, il s'empressa de le faire
loter dans les auberges de son village, en clair d'en faire un
prix pour une loterie. Finaud comme un vieux renard, Bourbousson,
qui connaissait par cur les lois et arrêtés
régissant la chasse, se garda bien de se mettre en évidence.
Il trouva un conscrit nommé Layme pour se charger de vendre
les numéros et d'exhiber le fameux lièvre aux incrédules,
sans penser qu'en tant qu'homme de paille, il était tout
aussi coupable que le délinquant. Les gendarmes découvrirent
le stratagème et dressèrent procès-verbal
à Layme qui se hâta de dénoncer le véritable
auteur du délit. Bour-bousson écopa d'une amende
salée de cent francs. De quoi le calmer pour quelques temps.
D'autres braconniers étaient plus ingénus. Ainsi,
en mars 1900, le sieur Baume de Roynac, égaré dans
la plaine de Marsanne, saluait joyeusement de feux de salve tous
les oisil-lons qui passaient à portée de son tromblon,
sans se préoccuper de l'arrêté préfectoral
n'autorisant que la chasse au gibier de passage. Au président
Roux, juge au tribunal correctionnel de Montélimar, Baume
avoua qu'il était sorti avec son fusil, histoire de se
balancer les jambes à l'air libre. Insensible à
cette romantique promenade, le président le condamna à
cinquante francs d'amende, ce qui faisait cher l'alouette.
Excédés d'être ridiculisés et de voir
sans cesse plus de gibier clandestin servi dans les auberges,
les gendarmes accrurent leurs contrôles en collaboration
avec le service des Eaux et Forêts. Leurs efforts portèrent
leurs fruits surtout dans la com-mune de Malataverne où
les braconniers passèrent de mauvais quarts d'heure. En
témoignent ces deux affaires.
Le 18 novembre 1905, comparurent devant les juges mon-tiliens
Croze, dit le Manchot, inculpé de chasse sans permis avec
engin prohibé et Bouillanne, inculpé en plus de
délit d'outrage par paroles au garde forestier Quenin.
Le président s'adressa à Croze :
- Vous avez déjà été condamné
à sept reprises pour braconnage.
- Je suis un honnête homme, mon Président. J'ai six
enfants à élever et il faut bien que je leur donne
à manger.
- Ce n'est pas une raison pour braconner.
- Mais je ne braconne jamais.
-Comment ? Le garde Quenin vous a aperçus tous les deux,
vous avec un panier et Bouillanne avec un fusil et un sac près
de Mala-taverne. Vous avez refusé d'ouvrir panier et sac.
Etait-ce des lapins ?
- Non, seulement une tête d'agneau pour aller pêcher
les écrevisses.
- Et vous pensez que je vais vous croire. Voyons ce que votre
complice a à nous dire.
Bouillanne répondait au prénom illustre de Rubens.
C'était un solide gaillard qui passait le plus clair de
son temps à prendre des lapins de garenne au collet. Et
le président de reprendre :
- Vous avez menacé de mort le garde Quenin en lui disant
que vous alliez lui brûler la cervelle, fût-ce dans
dix ans, et même s'il se réfugiait au fin fond de
l'Afrique.
- Je n'ai pas dit ça et puis il n'avait pas à me
bousculer en me demandant d'ouvrir mon sac. Il n'y avait pas de
lapins puisque nous venions de la pêche aux écrevisses.
- Et vous pêchez les écrevisses avec un fusil ! Dites-nous
plutôt ce qu'il y avait dans votre sac.
- Du pain, du gratelon, du picodon et une tête d'agneau
pour les écrevisses.
- Je n'en crois pas un mot et je vous condamne pour outrage par
paroles à quinze jours de prison dans le château
des Adhémar. Quant à Croze, il est acquitté.
Autre affaire de braconnier à Malataverne en décembre
1905 avec Auguste Milon qui fut surpris par le gendarme Chabert
de Donzère avec deux lapins encore chauds autour de sa
taille bien planqués sous sa chemise. Le gibier avait à
coup sûr été pris au collet car l'empreinte
du fil de fer était encore visible à leur cou. Aux
juges, Milon avoua qu'il avait un rhume de poitrine et que les
lapins qu'il avait achetés à un inconnu (!) peu
de temps avant son contrôle par le gendarme lui tenaient
bien chaud au ventre par ce temps glacial. Ce à quoi le
président Dutour répliqua que quand on était
malade, il fallait garder le lit et non pas sortir en forêt.
La sanction tomba rapidement : soixante-quinze francs d'amende
que Milon allait sans doute acquitter en vendant sous le manteau
des lapins pris au collet dans les bois de Malataverne. Incorrigible
!
Et comment ces braconniers pouvaient-ils manger tous ces lièvres
qu'ils attrapaient ? Et comment les aubergistes d'alors pouvaient-ils
les cuisiner ? En sauté ? En émincé aux champignons
? En salmis ? En croquettes ? Et pourquoi pas en terrine ? Pour
ce faire, désossez un lièvre très frais et
prenez une livre de rouelle de veau, une livre de porc frais maigre
et un peu de gras de buf, thym, laurier, persil et ciboule.
Hachez le tout très fin, poivrez, salez et ajoutez un clou
de girofle. Prenez ensuite une terrine à pâté,
garnissez-la de bardes de lard. Mettez votre hachis par lits et
chaque lit séparé par des bandes de lard coupées
minces. Arrosez le tout avec un verre d'eau-de-vie. Recouvrez
de bardes de lard. Placez le couvercle que vous fermez avec des
bandes de pâte et faites cuire au four pendant quatre ou
cinq heures (recette extraite de La véritable cuisine de
famille de Tante Marie, 1901).
Les tableaux de chasse du Président
En 1899, Emile Loubet, alors maire de Montélimar, devint
président de la République. Il était un excellent
chasseur, parfois brocardé pour sa passion dévorante.
Selon les chroni-queurs humoristiques de l'époque, il aurait
pu en apprendre à Nemrod pour le pied, le coup d'il
et le flair. Placé sous le vent, il dépistait un
lapin à cent pas de distance et il savait tenir l'arrêt
comme un braque devant une perdrix. Des chasses présidentielles
de Rambouillet, il ne rentrait jamais bredouille. Ses tableaux
de chasse étaient impressionnants.
En 1900, le chroniqueur Bourron du Journal de Montélimar
écrivait avec humour que même si des grèves
éclataient, même si des émeutes grondaient
dans la rue, même si le budget de la Nation était
en déficit, Emile Loubet chassait quand même, par
tous les temps et même en temps prohibé. Le fruit
défendu n'était pas fait pour lui. C'était
le privilège du puissant.
Il chassait en chapeau mou, portait toujours un veston de gros
drap bleu, des guêtres en cuir verni et des souliers ferrés
et se servait de deux fusils calibre douze. Ses cartouches ne
ressemblaient en rien à celles du commun des chasseurs.
C'étaient des cartouches spéciales, ni à
broche, ni à percussion centrale, des cartouches faites
uniquement pour lui avec ses initiales surmontées des lettres
RF pour République Française.
Egalement pour la poudre, une poudre qu'on avait inventée
à son intention, une poudre autrement pénétrante
que la poudre commune bonne seulement pour les moineaux.
Et le plomb ? Sachez qu'il ne se servait que du numéro
six. Pendant un temps, les armuriers de l'Etat voulurent lui fabri-quer
un plomb numéro six et demi, mais il refusa ce privilège.
Il ne fallait pas grever outre mesure les dépenses de la
Nation. Sage décision.
Une fois sur le terrain, le président Loubet grillait cent
cin-quante cartouches par jour, quand Félix Faure, son
prédéces-seur à l'Elysée, en brûlait
près de quatre cents. Mais lui c'était un gaspilleur
tandis que le président Loubet ne tirait qu'à coup
sûr, souvent d'ailleurs parce qu'il tirait à bout
portant le gibier ramené à lui par des dizaines
de rabatteurs. On était chef de l'Etat ou on ne l'était
pas.
A Rambouillet, Emile Loubet ne chassait pas à courre (il
n'aimait pas le gros gibier) mais il montait à cheval.
Ce n'était pas un passionné de ce sport mais il
était solide cavalier, sans aucune inélégance,
malgré sa petite taille et ses jambes courtes.
En septembre 1901, un journaliste parisien, confirmant ce que
tout le monde savait, décrivit le président comme
un excellent chasseur. Ses ratés étaient extrêmement
rares. Il tirait sans viser et envoyait très rarement ses
deux coups l'un sur l'autre. Son gibier préféré
était le perdreau qu'il mangeait rôti avec quelques
notables de Rambouillet dont le maire M. Gautherin, le sous-préfet
de Linière et le colonel de Lastours qui commandait ici
le régiment de chasseurs.
Il mangeait une petite partie de ce qu'il tuait. Quant au reste
du gibier abattu, il le donnait aux uvres caritatives de
Rambouillet et parfois même à l'hospice de Montélimar
qui eut, un jour de 1900, la surprise de recevoir par train dix
lapins et trente faisans de son bienfaiteur de président
qui n'oubliait jamais sa province natale.
Voici l'une de ses recettes favorites, le perdreau rôti.
Plumez, videz et flambez un perdreau pour trois personnes. Lorsque
votre perdreau est bridé, ayez une barde de lard gras et
mince que vous placez sur l'estomac de votre perdreau et que vous
fixez avec un peu de fil faisant deux ou trois fois le tour. Faites
ensuite deux ou trois incisions sur le lard. Embrochez votre perdreau
et mettez-le à feu vif. Une demi-heure de cuisson suffit.
Trop cuit, le perdreau n'aurait plus autant de saveur. Débrochez
et ôtez la ficelle que vous avez mise pour le brider. Laissez
la barde, mais enlevez le fil qui la retient et servez sur un
plat, avec le jus de la cuisson, auquel vous avez ajouté
une ou deux cuillerées d'eau ou de bouillon et une pincée
de sel (recette extraite de La véritable cuisine de famille
de Tante Marie, 1901).
Petites histoires de gibier
Si vous aimez la viande sauvage rôtie à point à
la broche, rendez-vous durant l'été à la
fête gauloise de Rochefort-en-Valdaine où plusieurs
sangliers tués par les chasseurs du village vous attendent
sous le berceau de chênes verdoyants.
Autrefois, les battues au gros gibier, comme le sanglier et le
chevreuil, n'existaient pratiquement pas. Les chasseurs se contentaient
des petits gibiers. Et ils étaient nombreux. En 1894, il
se vendit entre autres sur le marché de Montélimar
six cent soixante-trois lièvres, mille cent une perdrix,
quatre-vingt-huit pièces de gibier d'eau et soixante-dix-neuf
faisans ou coqs de bruyère. Mais il y avait bien d'autres
gibiers.
En décembre 1879, les migrations des oiseaux du nord étaient
très nombreuses à tel point qu'un chasseur de Sauzet
dont l'histoire n'a malheureusement pas retenu le nom, tua d'un
seul coup de fusil trois magnifiques oies sauvages. De quoi cuisiner
une bonne oie rôtie, truffée ou en daube. Mais des
abattis d'oie aux navets se laissaient aussi facilement manger.
En novembre 1896, le préfet de la Drôme prit un arrêté
spécial relatif à la chasse à l'alouette
de passage, dite lulu. La chasse de cet oiseau était autorisée
exclusivement au moyen de filets, dits nattes, avec des mailles
de vingt-deux millimètres d'un nud à l'autre.
Bardée de lard, l'alouette faisait le régal des
gourmets. Et pas besoin d'une cuisine élaborée comme
l'écrivait si bien George Sand dans La mare au diable,
son inoubliable roman : Est-ce que vous n'avez jamais attrapé
d'alouettes dans les champs et que vous ne les avez pas fait cuire
entre deux pierres ? Le bonheur était certes parfois dans
le pré, mais il était aussi chez le traiteur comme
chez celui de Montélimar, rue de la Commune, qui en janvier
1902 vendait des alouettes farcies aux truffes, mais aussi divers
gibiers en galantine et en salmis. Miam !
Une tradition d'autrefois perdure encore chez les chasseurs de
la Drôme Provençale. Celui qui tue un lièvre
doit inviter ses confrères de chasse à venir le
manger avec et chez lui. Ce rituel tourna au scandale en avril
1888 à Taulignan lorsque le géomètre, tueur
du lièvre, invita ses amis à le déguster
à l'auberge du village pendant l'office religieux du Vendredi
Saint. Il y avait là le quincaillier, un maître maçon,
le scieur de long, un cordonnier, le sculpteur et le teinturier,
tous de joyeux drilles qui, tout au long du repas, forcèrent
sur la dive bouteille pour faire glisser une poivrade de lièvre.
Et de parler fort, et de crier, et de chanter ! Jiousé,
correspondant du Journal de Montélimar, les traita de bâtards
de Marianne, d'allobroges en guenilles, de voyous et de fauteurs
de désordres. Et Jiousé d'ajouter d'une plume trempée
dans l'encrier de l'indignation : La loi est-elle donc un vain
mot ? Ou n'est-elle existante que pour opprimer l'honnêteté
et l'honneur ? Nous croyons l'un et l'autre car, pendant qu'un
millier de fidèles sont réunis dans l'église,
écoutant la parole de Dieu avec piété et
dévotion, il n'est pas un représentant de la loi
pour sévir avec vigueur contre des voyous tapageant à
qui mieux mieux dans l'enceinte sacrée d'une église
ou à la porte d'un saint lieu de réunion. Et tandis
qu'une bande d'ours mal léchés cherche à
porter atteinte, par une conduite barbare, à la liberté
du culte, tournant la religion en ridicule, se graissent le palais
de rognons de lièvre sous la protection toute fraternelle
d'un homme qui devrait comprendre d'une tout autre manière
la mission dont il est investi. Voilà comment une poivrade
de lièvre mit le feu au village de Taulignan et faillit
déclarer une nouvelle guerre de religion entre catholiques
et mécréants.
Autre histoire de lièvre à La-Bâtie-Rolland
en avril 1876. Une bonne femme, ayant trouvé sous une touffe
d'herbes et près de périr un levreau, le nourrit
du lait de sa chèvre et l'éleva en liberté
dans son habitation. L'animal sut reconnaître les bienfaits
que la paysanne avait eus pour lui, en se familiarisant comme
l'aurait fait le chien le plus fidèle. A l'appel de sa
maîtresse, le lièvre venait embrasser et caresser
la brave fem-me. Un véritable animal savant qui, n'en doutons
pas, n'avait pas dû finir en civet!
Evoquons maintenant la bartavelle, gibier mythique qui aujourd'hui
a totalement disparu de la Drôme Provençale. Les
bartavelles ont fait la gloire du père de Marcel Pagnol
mais elles ont également fait la gloire de nombreux chasseurs
du XIXe siècle qui étaient en adoration devant cette
grosse perdrix de la taille d'une poule. En mars 1865, le journal
le Pontias de Nyons fit l'éloge des grosses bartavelles
du pays de Buis-les-Baronnies, bien plus fines à manger
que la perdrix rouge ordinaire dite la montagnarde. Et le journaliste
d'ajouter : La bartavelle passe avec raison pour le meilleur des
gibiers. Du chef-lieu des Baronnies, elles étaient expédiées
vivantes pour aller peupler le parc de Choisy-le-Roi. De même,
les consuls de Montélimar avaient pris l'habitude dès
le XVe siècle d'en offrir à leurs visiteurs illustres.
Une époque révolue.
La perdrix ordinaire n'était pas pour autant délaissée
par les cuisiniers d'alors. Pour certains, c'était l'éternel
désespoir des petits chasseurs, pour d'autres, c'était
la suprême consolation du bon tireur, pour tous, c'était
la délectation des dames et des fins gourmets. Toussenel,
l'auteur de l'Esprit des bêtes, le confirmait en écrivant
: La perdrix est la joie des champs, le salut des moissons et
la poésie des festins. N'en déplaise à l'oiseau
royal qu'est le faisan, le perdreau à pattes encore jaunes,
bardé de lard fin, rôti à point, légère
goutte de sang sous l'aile, sera toujours un gibier de haute gastronomie.
La grive, quant à elle, avait ses partisans. A Montélimar,
en février 1896, le sieur Moulin du faubourg Saint-James
fit fortune avec ses pâtés froids à la grive
à deux francs cinquante centimes le kilo, qu'il livrait
même à domicile. La cité des Adhémar
était bel et bien spécialisée dans la cuisine
de la grive puisque l'année précédente, en
février 1895, le Montilien François Quézel
avait obtenu une médaille d'or à un salon gastronomique
pour sa terrine de grives au genièvre. Certainement un
vrai régal.
Venons-en à présent au merle car, à défaut
de grive, on mange des merles. A condition qu'ils soient comestibles.
Et ils ne l'étaient pas toujours. La preuve, en avril 1888,
lorsque le gendarme Renevier de Dieulefit saisit chez le restaurateur
Tailleu des merles avariés prêts à passer
à la casserole. L'aubergiste jura sur ses grands dieux
qu'il les avait achetés avant la fermeture de la chasse.
Ce qui était peut-être vrai, mais ce qu'on lui reprochait
c'était d'avoir dans son garde-manger du gibier faisandé.
Il écopa d'une amende de cinquante francs et les merles
furent remis à l'hospice de Dieulefit, certainement pour
être cuisinés à l'attention des petits vieux.
Une façon comme une autre de résorber la surpopulation
en maison de retraite !
Un autre merle était en bien meilleure santé que
ses confrères dieulefitois. Le 9 mai 1887, le sieur Lionnard,
très en colère, écrivit au maire de Nyons
: J'ai l'honneur de vous exposer que je suis, ainsi que toute
ma famille, entièrement incommodé par le merle du
cafetier Guintrand dont la cage se trouve juste en face de nos
chambres à coucher et qui nous réveille tous les
matins à la pointe du jour par ses sifflements aigus et
persistants. J'ajoute que, pendant la journée, il dérange
à chaque instant les employés de la recette des
finances. En un mot, il trouble constamment notre tranquillité.
Je viens m'adres-ser à votre obligeance pour que vous vouliez
bien invi-ter le sieur Guintrand à mettre son merle ailleurs,
et dans le cas où il ne voudrait pas me donner cette satisfaction,
prendre telles mesures qui vous paraissent convenables pour faire
cesser cet état de choses vraiment insupportable.
Dès réception de la missive, le maire intervint
auprès du mastroquet nyonsais mais n'obtint que cette réponse
: L'éducation de cette bête charmante, vulgairement
appelée merle, qui, par son sifflet démocratique
est trouvé ennuyeux, ne sera enlevé du balcon du
cercle radical qu'après contravention. Devant pareille
obstination, le maire avertit alors le commissaire de police qui,
le 3 juin 1887, se déplaça chez Guintrand de qui
il obtint le déplacement du merle. A compter de ce jour,
on ne vit plus l'oiseau. Certains envisagèrent même
le pire. Peut-être avait-il été passé
à la casserole ? Quoiqu'il en fût, le voisinage avait
retrouvé sa sérénité.
Abordons enfin un ultime gibier, les cailles que le maire de Pierrelatte
autorisa à chasser aux filets par arrêté du
13 germinal de l'an neuf. Ce procédé était
très efficace car la caille s'élevait rarement plus
d'un mètre de terre, filant toujours droit et allant se
poser d'ordinaire à très peu de distance. Manger
des cailles était un plaisir infini, à tel point
que certains n'hésitaient pas alors à se battre
pour la possession de ces précieux volatiles. La preuve
En novembre 1906, les deux beaux-frères Orange et Méry
de Rochegude se tirèrent dessus à coups de fusils
pour deux cailles, le dernier étant condamné à
un mois d'emprisonnement à Montélimar. L'histoire
ne dit pas si l'un d'entre eux les a mangées ou pas. Et
si oui, comment ? Grimod de la Reynière, l'auteur en 1899
de l'Almanach des gourmands, les plumait lui-même, et après
les avoir enveloppées dans une feuille de vigne, les faisait
rôtir instantanément au feu clair et pétillant
des sarments de vigne. Un festin de rois !
Au XVIIe siècle, madame de Sévigné, quant
à elle, les mangeait différemment. Dans une lettre
écrite à Grignan, elle le confirma : Ces perdreaux
sont tous nourris de thym, de marjolaine et de tout ce qui fait
le parfum de nos sachets ; il n'y a point à choisir. J'en
dis autant de nos cailles grasses dont il faut que la cuisse se
sépare du corps à la première semonce, et
des tourterelles, toutes parfaites aussi. Pour la belle marquise
qui ne devait pas souvent se mettre elle-même en cuisine,
voici la recette des cailles au chasseur.
Plumez, videz et flambez deux cailles. Bridez-les et mettez-les
dans la casserole avec un morceau de beurre, du persil et des
échalotes hachés, une feuille de laurier, sel, poivre
et épices. Lorsque les cailles ont pris couleur, saupoudrez
avec une cuillère de farine et mouillez avec un demi-verre
d'eau et un demi-verre de vin blanc. Laissez cuire une demi-heure.
Servez sur un plat creux en arrosant avec la sauce de la cuisson
et ajoutez un jus de citron. Retirez ensuite la feuille de laurier
et mettez autour du plat quelques croûtons passés
au beurre (recette extraite de La véritable cuisine de
famille de Tante Marie, 1901).