La Bouquinerie

Aide / Help Accueil / Home Nous / Us Livres anciens / Old books Editions / Publisher Galerie / Gallery Liens / Links Ecrire / E-mail Commander / Order



CLAUDE FERRIEUX
Bourbonnais pris au piège
Les nouvelles aventures du commissaire

Entre deux séjours à Vichy, une promotion comme commissaire principal a envoyé Jean-Claude Bourbonnais en poste à Clermont-Ferrand. L'histoire se situe donc dans les années 90. Plusieurs intrigues s'entremêlent, se déplacent entre Auvergne, Bourbonnais et Berry. Une série de ambriolages à Vichy, Gannat, Clermont, amènent leurs auteurs à une prise d'otage. Le commissaire croit en reconnaître l'instigateur. Mais lui-même, un peu trop ami avec des gens douteux, risque de se retrouver compromis. Par ailleurs, un couple âgé a disparu. Pris dans le tourbillon des enquêtes, Bourbonnais ne voit pas venir les menaces qui pèsent sur lui personnellement. Cependant, confronté aux épreuves, il saura réagir fermement dans un épisode final situé dans son pays natal de Varennes. Un roman régional qui, parti de l'agglomération clermontoise, visite Moulins, Montluçon, Vichy, Bourges et le Haut-Berry.
Claude Ferrieux est originaire de Varennes-sur-Allier. Ses études l'ont conduit successivement à Moulins et Clermont-Ferrand. Ancien professeur agrégé d'italien, il a exercé en Sicile, en Corse, dans le Sud-ouest et la Drôme où il vit maintenant. Il est l'auteur de romans historiques, de récits, de polars, ayant pour cadre son Bourbonnais natal, Clermont et le Berry de ses aïeux, les pays méditerranéens, et sa région actuelle.
APRÈS « COMMISSAIRE BOURBONNAIS » ET « BOURBONNAIS SE DÉCHAÎNE »,
UN POLICIER PALPITANT, RENÉ SAINT-ALBAN.

2018. Editions & Régions. Isbn : 9782847941814

180 pages. 13 euros

 

 

Bulletin de commande
Nom : .............................................................................. Prénom : ........................................................
Adresse : ..........................................................................................
.........................................................
Code Postal : ..................... Ville : ........................................................
.....................................................
Souscription de ........................... exemplaires de Bourbonnais pris au piège
au prix de 19 euros franco pièce.
Soit un chèque de .......... euros, à l'ordre des
EDITIONS DE LA BOUQUINERIE,
encaissé à l'expédition.
Commande à adresser à : EDITIONS DE LA BOUQUINERIE.., 77 av. des Baumes, 26 000 VALENCE

 

extraits : 4 premiers chapitres

 

1
Commissaire Principal Limowitz
Clermont-Ferrand, 1996
Nom : Limowitz
Prénom : Jean-Claude
Lassé d'exiger des autres qu'ils déclinent leur identité alors que je masque la mienne, la véritable, je me présente en toute sincérité au lecteur, auquel j'entends raconter quelques pans de ma vie actuelle. Le nom d'emprunt : Bourbonnais, pris par mon père juste avant la Seconde Guerre mondiale se justifiait par la crainte de voir les Nazis ou leurs dévoués serviteurs pétainistes, saisir le prétexte de ce nom d'origine juive ukrainienne, perdu dans la nuit des temps, pour nous rafler. Il est vrai qu'au Canada où nous avions émigré, nous ne ris-quions plus grand-chose. Mais l'époque a changé. À l'appro-che de la fin du second millénaire, on peut estimer que la société française a trouvé un certain équilibre. Moi, je ne fréquente pas la synagogue, ni un quelconque autre temple. Je me revendique athée. Tiraillé à l'époque de ma tendre enfance, entre deux grand-mères très pieuses, l'une qui pensait incarner la filiation juive, l'autre, pure bourbonnaise, ne cessant de s'effrayer et s'indigner à la simple idée que je puisse fréquenter un lieu de culte non catholique, à l'instar de mon père, je suis devenu laïc convaincu.
Je suis installé depuis plusieurs années à Clermont, suite à une promotion, et nous louons, mon épouse Jeannine et moi, une maison perchée sur les premiers contreforts volca-niques dominant l'agglomération. Certains amis me taqui-nent à propos de Durtol : " Ah, oui, là où les poules ont des crampons ! " Il est vrai que mon enclos est abrupt. Tondre les parcelles de gazon relève du numéro d'équilibriste. S'il existe une petite terrasse parking au niveau de la rue, l'entrée de la maison plonge immédiatement vers l'étage inférieur où se trouvent les chambres et la salle de bain. Il convient de descendre encore d'un étage pour atteindre notre séjour qui s'étale sur une plate-forme miraculeusement laissée par la lave. Depuis les larges baies vitrées qui reçoivent la clarté du levant, on embrasse toute l'agglomération clermontoise hérissée des flèches sombres de la cathédrale. Je m'y trouve bien. Ici, mon esprit s'élève à tous les égards et je respire.
Car, là-bas, dans le centre historique, les ruelles sombres qui montent à la cathédrale ou sinuent à son pied, m'appa-raissent insalubres et hostiles. Ce n'est peut-être pas tant lié à ma fonction, qui ne me conduit pas très souvent sur le terrain, qu'à des raisons personnelles qui seront l'objet essentiel de ce récit.
Enfermé le plus souvent dans mon bureau du commis-sariat de la rue des Liondards, je ne suis que rarement en contact avec les malfrats, criminels, et autres humains emportés par de noires passions. Nous avons plus de probabilités de voir arriver dans nos bureaux les proches d'un accidenté de la circulation pour porter plainte contre un automobiliste imprudent ou même inconscient qui, en rase campagne, se serait sans doute courageusement éclip-sé. Ou encore : la victime d'un cambriolage, d'un incendie de poubelle, d'une altercation entre automo-bilistes. Et pourtant, notre chef-lieu auvergnat, même s'il ne fait pas la une des médias en matière de grand banditisme et de criminalité, n'est pas à l'abri de ces fléaux.
On pourra estimer que je porte une part de respon-sabilité dans la suite des événements qui me sont arrivés, et sans doute est-ce vrai, mais bien malins ceux qui peuvent juger et croire que, dans l'urgence, ils auraient été capables de réactions plus appropriées.

2
Au Clermont Université Club
Me voici donc à peine installé au commissariat, en tant que commissaire principal, sous mon nom d'emprunt Bour-bonnais, on est en septembre 1992, et je me trouve entraîné dans un cycle de rencontres et d'enchaînement de faits aux-quels je ne m'attendais pas.
Le meilleur moyen de rompre l'isolement, lorsqu'on s'installe dans une ville nouvelle, est de s'inscrire dans un club sportif. Si l'on est un adepte passionné et qu' en outre, on pratique l'activité à un certain niveau de qualité, l'intégration est immédiate. Vous serez courtisé, recherché et rapidement incorporé à une équipe. J'avais la chance, à l'époque, d'être dans ce cas.
Je m'étais tout de suite rapproché de la section escrime du Clermont Université Club, dont l'activité se déroulait pas très loin de mon commissariat, au pied du viaduc Saint-Jacques. Ayant beaucoup pratiqué ce sport à un assez haut niveau durant ma jeunesse, il me restait une bonne technique et, même si je n'avais plus tout à fait le même allant, j'étais capable de titiller les meilleurs tireurs de cette association. Elle était fréquentée, comme il se doit, par de nombreux étudiants, mais aussi par des personnes de tout âge et de tous horizons. J'avais caché mon véritable métier, car le fait d'annoncer un poste important dans la police glace les velléités d'amitié. Fonctionnaire, telle est la réponse que l'on formule dans ces cas-là. C'est bien vague, aussi les gens, en général, imaginent que l'on occupe un emploi modeste et ne cherchent pas plus loin. Du moins au début, car tout finit par se savoir. On ne vient cependant pas à la salle d'escrime pour faire étalage de ce qu'on est dans la société ; en ces lieux, cela n'intéresse personne. Non pas que l'on soit tous égaux, nivelés par le sport, loin de là, mais on entre dans un autre monde, très hiérarchisé, dont les critères sont autres. Chaque activité, que ce soit tireur, coach, arbitre, ou dirigeant, a ses barons qui ne considèrent le menu fretin des catégories inférieures, qu'avec une condescendance à peine voilée. Si vous possédez le niveau adéquat, votre com-pagnie sera recherchée, votre conversation appréciée. Dans le cas contraire, la solitude rendra dur et inconfortable le banc des vestiaires. Je ne sais, lorsqu'il me vient l'envie de juger ces comportements, s'il s'agit de vanité, d'orgueil ou au contraire de saine émulation dictée à l'origine par l'instinct de survie. Moi, je suis un peu à part. J'appartiens toujours à la catégorie reine des tireurs, encore que mon fleuret fasse un peu pâle figure en comparaison des sabres et des épées plus endurants de mes partenaires. J'en suis réduit à un niveau inférieur à celui des meilleurs, mais je vante un palmarès qu'eux n'atteindront jamais.
Je me trouve donc rapidement intégré et redevenu prati-quant assidu. Grâce à la compréhension de mon épouse Jeannine, je me rends plusieurs fois par semaine pour combattre l'embonpoint d'une vie sédentaire de commissaire principal, plus souvent en réunion ou scotché à son fauteuil de bureau, qu'essoufflé à poursuivre un malfrat, comme le suggérerait une série américaine ; je me suis intégré à la vie du club. Après avoir transpiré, on prend la douche, et, histoire de décompresser, on discute un peu. Parfois, à l'occasion d'une victoire à fêter, d'un anniversaire ou d'une naissance, un partenaire apporte une bouteille et régale à la ronde. Plus rarement, on se rend au centre ville dans un bar ou un club. Cela concerne en général de petits groupes au sein desquels des sympathies plus appuyées se sont révélées, et puis, il faut bien le reconnaître, on limite un peu les frais. Commissaire principal, je ne vais pas pleurer misère, mais, avec une fille étudiante, un gros loyer à assumer, j'ai moins de ressources que les délinquants que je croise dans les couloirs de mon commissariat.
L'escrime est un sport assez huppé. Comme le tennis peut-être, moins que le golf assurément. Réservé à certaines catégories sociales. Non pas que le matériel ou l'inscription au club soient hors de portée financière, car, si l'on excepte la combinaison blanche, tout le reste, armes, masques, est fourni. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une tradition culturelle. L'escri-meur se situe dans la droite lignée chevaleresque venue de la nuit des temps. Sport individuel, il convient d'y faire montre d'intelligence tactique, de modestie, de persévérance. Les gros bras forts en gueule se font vite remettre à ras de terre d'un petit estoc bien décoché.
Dans un tel milieu, il est inimaginable que l'on puisse glisser insensiblement vers des pentes savonneuses. À l'épo-que, j'étais hyper confiant, sûr à deux cents pour cent de me trouver à l'abri de ce genre de dérapage. Je ne faisais pas partie des naïfs, des novices. On n'apprend pas aux vieux singes à faire la grimace. Et pourtant...
3
Invité dans le quartier sombre
du vieux Clermont
Je suis donc membre d'un groupe dans lequel je rencon-tre des gens, en principe venus de tous horizons, mais, quand même marqué d'une forte présence de notables. De temps à autre, après la douche on discute dans le vestiaire, puis, lorsqu'un concierge vous chasse, sur un trottoir. La conversation, engagée sur les sujets sportifs, dérive, s'enrichit, prend un tour plus personnel. Les vies privées, néanmoins, restent secrètes. Cela devient une habitude, et, un jour où la saison froidit, on se réfugie dans un bar voisin. Peu à peu, on se prend à l'engrenage : on m'a régalé, je me sens obligé de payer une bonne bière à mon tour. Jamais, cependant, je n'ai reçu la moindre invitation au domicile d'un de mes nouveaux amis. Ils m'ont toujours amené chez des tiers ou dans des lieux neutres. Au début, cela m'étonnait un peu, car, moi j'avais fait l'effort de réception at home d'un petit groupe autour d'une bouteille de champagne sous prétexte de fêter mon arrivée au club et, plus largement, mon installation dans le chef-lieu auvergnat. Je mettais ce fait au compte du tempérament montagnard que j'imaginais plus froid, plus distant, mais j'aurais vraiment dû rester sur mes gardes. Le vice et le crime s'étalaient sous mes yeux durant la journée, mais, le soir, ils ne franchissaient pas la porte du gymnase ; j'entrais dans un monde que j'imaginais pur, chevaleresque, aux valeurs affirmées, héritées d'une longue tradition, où seul le mérite permet d'avancer, dans le respect de l'autre, même si le but final du combat est bien d'annihiler l'adversaire.
Un soir, je suis convié à finir la soirée chez un homme de loi. Sur le moment, je n'ai pas très bien compris en quoi consistait exactement son activité. Pas avocat, peut-être avoué, ou bien huissier. J'imagine plutôt qu'il pouvait exercer une profession en rapport avec l'art, commissaire priseur ou galeriste expert, car le prétexte à notre rencontre concernait la civilisation italienne, et en particulier, mon goût pour l'architecture et la peinture qu'il partageait.
Il avait fallu laisser nos véhicules place de la cathédrale. En infraction, il faut bien l'avouer.
- Tu nous feras sauter les contredanses, avait plaisanté le camarade, prénommé Romain, qui m'avait entraîné à participer à cette fin de soirée.
Mon secret avait été vite percé, et j'avais beau protester de mon incompétence en matière de police municipale, l'affaire était considérée par les autres comme entendue.
Romain, un peu plus jeune que moi, devait friser la quarantaine. Un physique athlétique servi par son visage jovial aux traits réguliers, sa voix forte, chaleureuse, lui donnaient le charisme du personnage qui, en société, ne passe jamais inaperçu.
Il nous avait entraînés par un dédale de ruelles sombres, jusqu'à une porte cochère imposante, en bois sculpté qui avait conservé depuis l'époque des voitures hippomobiles, deux arcs de cercle métalliques protecteurs, fichés dans la pierre à droite et à gauche, au ras du sol. Après quelques mètres de couloir pavé assimilable à un tunnel, je me retrouvai confronté à un luxe, une élégance architecturale, inimaginables de l'extérieur. Ce vénérable hôtel particulier paraissait dater du dix-septième siècle.
Je me suis attardé un instant pour observer l'élégance solide de l'édifice, les fenêtres ouvragées, au linteau sculpté en forme de fronton dans la lave sombre, ce qui, pour une cour intérieure, m'apparut remarquable, mais Romain se montra impatient, en me regardant moi, froidement.
Je discernais bien le caractère artificiel de notre relation qui ne s'apparentait que de loin à une véritable amitié. Mais l'atmosphère enjouée, dynamique, issue du milieu sportif, m'entraînait.
Nous pénétrâmes dans l'immeuble, puis montâmes jusqu'à l'appartement, à l'étage. Le vestibule, tapissé chaudement, présentait au premier regard, sous un éclairage tamisé, un cadre à moulures dorées contenant La Joconde. Aussi vraie que l'original. Le maître de maison m'accueillit par une poi-gnée de main se voulant chaleureuse, longue, qui parut accompagner mon regard en direction du tableau.
- Vous aimez ? demanda-t-il
- Magnifique, très belle copie.
- Ce n'est pas une copie, dit l'homme sans sourire le moins du monde.
Je me sentis en capacité d'ajouter, croyant détendre l'atmosphère :
- Vous êtes un fameux pince-sans-rire.
Et l'autre :
- Vous vous trompez. C'est une question de volonté, de désir. J'avais celui d'une œuvre originale sur un sujet classique, et je l'ai. C'est peut-être au Louvre qu'est la copie.
Cet homme grand et sec, aux cheveux bruns soigneu-sement peignés en arrière, un sourire métallique parcou-rant ses lèvres, m'attira vers l'intérieur du logis, et je n'insistai pas. Le salon où il nous fit pénétrer était cossu et je pus m'installer dans un fauteuil très confortable. Mon humeur en fut positivement stimulée.
Nous nous trouvâmes donc assis, discutant autour d'un verre. Je n'avais pas osé reprendre le sujet Joconde mais nous étions partis sur la voie de l'art italien. J'appris plus tard par Romain que notre hôte, prénommé Marc, avait fait réaliser par un artiste transalpin, non pas une copie du chef d'œuvre, mais une interprétation : le portrait à l'identique baignait dans un environnement différent, aquatique, sombre, que l'on ne remarquait pas au premier abord. Marc possédait une réelle culture picturale. J'emploie ce verbe à dessein car le discours dérivait souvent des considérations esthétiques aux estima-tions matérielles du genre :
- Pour me l'offrir, celui-là, il me faudrait un improbable gain au Loto, à moins que je trouve un " arrangement " - le mot était prononcé accompagné d'un petit sourire de complicité en direction de Romain -, lors d'une enchère.
Il avait tout visité : académie vénitienne, galerie floren-tine, Rome, Milan, etc. Et même des expositions de peintres régionaux inconnus du grand public. Il me cita ainsi le passage à Florence d'un florilège de peintres méridionaux qui faisaient flamboyer sur la toile une nature incan-descente.
Je lui dis que j'avais eu l'occasion de découvrir en d'autres lieux ce type d'œuvres et je lui fis remarquer que ces visions fortes s'imprimaient dans le premier regard, certes, mais j'émis certaines réserves quant au manque de nuances qui heurtait ma sensibilité.
- À chacun ses goûts, remarqua-t-il un peu sèchement.
J'évoquai alors une expérience récente que j'avais vécue lors de la visite d'une exposition. Elle se situait en Italie également, à Aoste. Croyant pénétrer dans un bâtiment introduisant aux fouilles d'une église paléochrétienne, je m'étais trouvé face à une multitude de tableaux de différentes formes, accrochés aux parois claires d'une vaste salle. Portraits, paysages figuratifs, le style de l'exposition, d'abord très classique, bifurquait vers l'art moderne dans une grande diversité. Pourtant, le même nom figurait sous chaque tableau et, de prime abord, j'ai cru que c'était peut-être un label, ou la mention d'un propriétaire. Puis je m'aperçus qu'il s'agissait en fait du même peintre. Un autoportrait, dans un moment de légère euphorie, m'apparut être digne de Rembrandt ; des paysages clairement situés dans l'environnement alpin, tout à coup, se décomposaient en des lignes désordonnées aux couleurs vives, comme bousculés par un souffle de folie ; des portraits d'artistes connus s'étiraient en hauteur, déformés comme une ébauche de photo numérique mal cadrée ; cette variété éblouissait et son humour m'avait séduit.
Mon interlocuteur m'avait écouté poliment, mais nous n'avions pas de véritable échange. Romain, de son côté, réagissait de manière un peu superficielle, par des plai-santeries pas toujours opportunes. On sentait clairement qu'il tentait de tisser les liens d'une empathie qui n'avait pas été spontanée.
Instinctivement, je m'interrogeai à propos de la relation existant entre les deux hommes. Marc appartenait visiblement à un milieu aisé : du fric et un niveau culturel, en apparence étendu, mais qui restait très superficiel. Quant à Romain, je ne parvenais pas vraiment à savoir quelles étaient ses moti-vations. Je lui reconnaissais peu d'affinités avec Marc, et pourtant, je décelais leur complicité. Je n'avais guère de doute à ce sujet. Pourquoi Romain m'entraînait-il à fréquenter cet homme ? Je me suis interrogé, sans plus, car, sorti des noir-ceurs de mon commissariat, je n'étais pas naïf, mais tout simple-ment enclin à me laisser aller, à oublier la méfiance, les suspicions, qui constituent mon quotidien.
Peut-être Romain croyait-il tout simplement me faire plaisir. Je ne savais pas de façon claire ce qu'il faisait dans la vie. Il faut dire que je ne posais pas de questions, me contentant de ce qu'on voulait bien me dire, qui suffisait amplement à la pratique de mon activité.
J'avais cru comprendre qu'il avait reçu une formation d'éducateur et travaillait dans une fondation privée pour handicapés. Je me demandais s'il y était toujours car il restait dans le vague à ce sujet, et quand nous préparions nos déplacements pour une compétition, il paraissait être moins libre que par le passé. L'irrégularité de ses horaires pouvait correspondre à des tâches en intérim. Ce garçon, au demeurant serviable et même dévoué, pouvait très bien avoir été viré de son poste à la suite d'un éclat. Car il se trouvait affligé d'un état psychique fragile et d'un caractère si irritable qu'il était capable de perdre tout contrôle. Je l'avais vu, en compétition, péter carrément les plombs, faire résonner la salle d'armes de clameurs, sous des prétextes fallacieux. Lorsque l'assaut était tendu, il paraissait ne pas supporter que l'adversaire lui conteste la victoire, il l'agressait verbalement ou s'en prenait au matériel. Il s'était rendu coupable du bris de plusieurs fleurets et retrouvé plusieurs fois sanctionné.
Plus la soirée s'avançait et moins je me sentais d'affinités avec Marc. Romain, c'était différent, nous avions en commun la passion pour notre sport. Malgré tout, comme je suis une personne plutôt bien élevée, je ne laissai rien paraître, et fus un peu étonné des flatteries que Marc m'adressa et dont je ne voyais pas l'utilité. Il me complimenta d'une manière qui m'apparut vraiment excessive, vantant mes talents d'esthète et mes connaissances d'expert.
Où tout cela pouvait-il me conduire ?

4
Au pied de la tour Jacquemart
Quelque temps plus tard, nous partîmes, Romain, moi et quelques autres, pour une compétition à Moulins. Je n'avais pas eu l'occasion de revoir le chef-lieu bourbonnais depuis plusieurs années et j'eus plaisir, le soir, vite venu car c'était l'automne, à parcourir de nouveau la place et la rue d'Allier, puis à apercevoir le Jacquemart et son environnement médié-val, tandis que nous cherchions, à la nuit tombée un endroit où nous restaurer.
Nous avions bien guerroyé, en toute amitié sportive, contre un groupe moulinois. Nous étions sortis vainqueurs de la rencontre, mais, comme nos adversaires avaient proposé un dîner en commun, nous nous appliquions, par égards envers eux, à ne pas montrer une joie exubérante pour notre victoire. Cet apprentissage forcé de la modestie, au fond, n'était pas une mauvaise chose.
Nous avons donc partagé un dîner dans l'environnement pittoresque d'un immeuble moyenâgeux au pied de la tour Jacquemart. Entièrement rénovée, la salle de restaurant, à l'étage, se signalait par d'étroites fenêtres qui filtraient les lumières de la ville au travers des carrés opaques de leurs vitres. Les marches de l'escalier avaient craqué, juste assez pour rappeler le caractère des lieux, sans inquiéter quant à la solidité du bâtiment, contrairement à l'assertion un peu stupide d'un de nos équipiers.
Nous nous sommes retrouvés pour un moment de partage à discuter autour d'une grande table sous un éclairage tamisé qui incitait à modérer le ton de nos voix, à l'inverse de la faim abyssale qui ravageait nos estomacs et poussait à l'impatience. Les conversations concernaient natu-rellement l'escrime, sa technique, le niveau de nos adversaires communs et les meilleures tactiques pour les inquiéter. Dans le groupe, émergent les personnalités et les hiérarchies subtiles issues du sport. Point de courtoisie ni d'égards. Les contacts, faisant l'impasse absolue des situations sociales, sont rudes, sans concession. Moi qui pourrais, malgré tout tenter de faire entendre ma voix, souvent, à cette époque de ma vie, je laisse aller. Être tranquille, passif, assister aux péroraisons des coqs de vestiaire, m'amuse et me repose. Et pourtant, ce soir, je me sens d'un esprit plus combatif qu'à l'accoutumée. Est-ce dû à l'euphorie du retour dans mon Bourbonnais natal ? Ou plutôt, ne faut-il pas y déceler une légère frustration venue du fait que mes résultats sportifs personnels ont été fort moyens - sans doute ai-je été un peu déconcentré par ce retour au pays -, et que notre victoire s'appuie essentiellement sur le mérite de mes coéquipiers ? Toujours est-il que je participe aux conversations d'un ton un peu hargneux, et lorsque je contredis le leader moulinois à propos d'un point, une fois encore, d'histoire de l'art, il n'a pas du tout la réaction à laquelle j'aurais pu m'attendre.
En effet, les murs qui nous entourent, sans doute dans l'espoir de compenser la langueur du bâtiment moyenâgeux, ont été recouverts d'un épais papier de tapisserie clair. Et ce support dirige les regards vers des rectangles sombres qui s'en détachent. Il s'agit de visions anciennes de la ville de Moulins : les immeubles moyenâgeux qui entourent celui où nous nous trouvons, la place d'Allier parcourue de voitures hippomobiles, les berges de la rivière Allier au début du vingtième siècle, rendues blanches par les étendages des lavandières, égayées des bateaux-lavoirs amarrés.
Un garçon issu du groupe moulinois a remarqué mon regard qui scrute derrière lui. Âgé d'une trentaine d'années, de petite taille, poil noir, volubile, il représente à la perfection le type méditerranéen. Il m'interpelle :
- Jean-Claude, c'est bien ton prénom ? on m'a dit que tu aimes les belles choses.
Surpris, intrigué, je réponds :
- Oui, qui t'a dit cela ?
- ...
- Et toi , ton prénom ?
- Joseph. Enfin, Giuseppe, car mes parents sont originaires de Naples. Tu t'intéresses au passé de notre belle ville de Moulins ? Moi aussi, vu mes origines... J'ai hérité du goût artistique transalpin. Elles sont superbes, ces estampes du 19e siècle, n'est-ce pas ?
- Toi, tu dis vraiment n'importe quoi, mon pauvre ! Ça se voit de loin que ce ne sont pas des estampes, mais de simples cartes postales.
Les mots étaient sortis de ma bouche de manière auto-matique et je m'étonnai moi-même de la dureté de mes propos. Mais Joseph reprit sans sourciller :
- Pas de souci, pazienza, comme dit ma mère. Je n'avais pas vu dans le noir.
Mon agacement n'avait pas fait mouche. Aucune trace visible dans la conversation. C'est à ce moment là que je discernai les ménagements de moins en moins discrets dont j'étais l'objet.
Pas sorcier à comprendre quand même !
Joseph continuait à me parler comme si de rien n'était. Il connaissait des gens, amis aussi de Romain, qu'il me proposait de rencontrer pour finir la soirée. Ce n'était pas très loin sur notre route du retour. J'étais un peu surpris, mais bon, je devais me garder, selon l'excellent conseil de mon épouse Jeannine, de la déformation professionnelle, qui consiste à voir le mal partout et suspecter tout le monde.
À peine notre dîner terminé au restaurant de Moulins où on nous avait servi les spécialités bourbonnaises hyper-caloriques dont nous avions grand besoin et j'avais particulièrement apprécié un délicieux pâté aux pommes de terre, nous nous sommes engagés sur la Nationale 7, direction sud, c'est-à-dire Varennes-sur-Allier.
Romain, au volant, se voulut mystérieux. Je lui dis :
- Où allons-nous ? Qui sont ces gens ? Est-ce encore en relation avec l'art ?
- Peut-être, si l'on veut.
- Comment, si l'on veut... Joseph m'a parlé d'estampes.
- Je ne sais pas. C'est à Saint-Loup, tu connais ?
- Bien sûr. Où ça à Saint-Loup ?
- À la sortie du village, tu verras, un petit château, des gens importants, ça vaut le détour.
La trajectoire huilée du véhicule sur l'asphalte lisse de la Nationale 7 se conjugue à la fatigue musculaire qui m'a peu à peu envahi, et à la torpeur consécutive à notre bon repas, pour annihiler en moi toute velléité de rébellion, même si ce nouveau prolongement de soirée qui s'annonce est loin de susciter mon enthousiasme.
Au terme d'une longue ligne droite apparaît le panneau qui signale l'entrée dans le village de Saint-Loup. Les lumières généreuses d'un Relais hôtel restaurant, quelques mouve-ments sur son parking, font illusion. Peu après, nous traversons l'agglomération déserte et, à peine en sommes-nous sortis, nous nous engageons sur la gauche, par un haut portail de fer, dans une propriété privée. Nous suivons une allée bordée d'arbres, dont les troncs canalisent le faisceau des phares de la voiture. Une lune claire perce les ramures dépourvues de feuilles en cette saison. La maison apparaît, haute et longue, posée derrière une esplanade circulaire. En son centre, un bassin ovale, rehaussé d'une statue. Les gravillons crissent sous les pneus de Romain qui a été surpris dans l'obscurité par l'arrondi un peu sec de l'allée.
Depuis le perron généreusement éclairé, l'hôte nous attend en compagnie de Joseph qui nous a précédés ; ils se frottent les mains pour se réchauffer. Rondouillard, che-veux grisonnants, l'homme nous sourit. Nous gravis-sons quelques marches et il nous dit :
- Entrez vite au chaud, il ne fait pas bon ici. Brise du nord, gelée blanche demain.
Nous voici introduits dans un vestibule monumental, au milieu duquel règne un escalier que l'on croirait déménagé de l'Opéra de Vichy. Nous montons lentement en poursuivant les présentations commencées dès notre accueil. Je me trouve côte à côte avec le propriétaire des lieux, monsieur Vernier. Romain et Joseph nous suivent, quasiment respectueux. J'ai remarqué que le vouvoiement est de rigueur entre eux.
- On m'a dit que vous êtes commissaire principal à Clermont ?
- Oui. Depuis quelques mois. Précédemment, j'étais en poste à la P.J. de Vichy.
- Vous regrettez ?
- Euh... chacune de ces villes a son attrait, ses avantages. Bien sûr, la taille de l'agglomération influe sur nos conditions de travail.
- Allez, dites-le, insiste le bonhomme, vous préférez le Bourbonnais.
Pour ne pas le froisser, je réponds : " J'y suis né ", mais, franchement, pour avoir vécu à Montréal, je crois que Vichy ou Clermont restent à taille humaine.
- Ça ne vous dirait pas d'y revenir comme commissaire divisionnaire ?
- Oui, bien sûr, qui ne rêverait de diriger un commissariat dans une ville attrayante...
- Et pas trop infestée de voyous.
- Oh, vous savez, il faut se méfier des apparences, les cités où il ne se passe rien ne sont pas très nombreuses à l'heure actuelle.
À ce moment, c'est Joseph qui intervient :
- Il n'y a pas beaucoup de racaille à Vichy.
Je réponds :
- Ce ne sont pas les origines ethniques qui créent les problèmes, mais plutôt les conditions de vie, l'emploi. Pensez à Clermont autrefois, à Michelin et ses nombreux employés maghrébins, il n'y avait pas plus de difficultés qu'ailleurs.
Romain se manifeste alors en s'adressant directement à moi :
- Jean-Claude, ce que te dit monsieur Vernier, ce ne sont pas des paroles en l'air.
Un peu agacé, je rétorque :
- Ah, parce que c'est lui qui va me nommer directeur à Vichy ?
- Pas lui directement, bien sûr, mais c'est une per-sonnalité influente. N'est-ce pas Monsieur Vernier ? Vous êtes proche du sous-préfet...
- Certes, répond le propriétaire des lieux avec bon-hommie, j'ai aussi des relations dans la politique, les élus locaux, départementaux, et je déjeune même souvent avec un sénateur.
Ces assauts de gentillesse commencent à faire monter une certaine adrénaline en moi. Dans un premier temps, je ne suis pas insensible à cet accueil flatteur pour moi. Mais, si je suis rentré dans la police, c'est pour faire respecter la loi, alors, les basses manœuvres pour obtenir un poste me répugnent, et au risque de paraître un peu naïf, sincèrement, je préfère rester à ma place et obtenir mon avancement au mérite. Naturel-lement, je n'en souffle mot à mes partenaires d'un jour, et m'adapte au rituel qui paraît avoir été mis en place.
Nous voici d'abord dans un salon aux dorures princières, une coupe de champagne à la main. Le propriétaire a servi lui-même, non sans souligner qu'à cette heure tardive les domestiques ont terminé leur travail. Je suis les conversations dans une sorte de premier degré où je fais bonne figure. Mentalement, je suis aux aguets. Les flatteries, les promesses dont je suis l'objet auront sûrement une contrepartie. Quand va-t-elle se dessiner ? À quel sorte de réseau suis-je confronté ? Politique ? Franc-maçon ou quelque chose dans ce genre ? Ou alors, bien pire, une entente un peu louche, une association délinquante... disons le mot : une espèce de mafia. Un instant plus tard, je m'auto flagelle, m'accuse de paranoïa ; je suis entouré de sportifs un peu originaux, voilà tout.
Je suis tiré de mes monologues intérieurs par Romain qui me secoue :
- Hé, Jean-Claude, il ne faut pas t'endormir, M. Vernier va nous faire visiter son haras, n'est-ce pas ?
- Oui, naturellement, avec plaisir. Venez ! Et couvrez-vous bien pour traverser la cour, le vent du nord, ça vous prend par traîtrise, après, dans les étables, ça va.
Je demande, alors que nous nous dirigeons par un vestibule vers l'arrière de la maison :
- Vous faites de l'élevage ? Des chevaux de course ?
- Oui. J'ai plusieurs champions et championnes qui s'illustrent dans les courses de la région.
- Formidable ! Ça doit rapporter gros.
C'est Joseph qui me répond :
- Il n'y a pas que ça...
Et, comme je le regarde, un peu surpris, c'est Romain qui enchaîne :
- Il veut parler des paris.
Rire bruyant de Joseph, puis silence général. J'imagine que le non-dit, les allusions à de nouvelles combines, ne sont pas le fruit du hasard ou d'une gaffe. Je me sens inclus malgré moi dans une sphère de comportements à la marge, et... presque complice. Mais complice de quoi ? Des faux-semblants, du vent. Où sont les preuves ? Pour sortir de ce piège, il ne me reste qu'à jouer le rôle de béotien, d'idiot du village pour le reste de la soirée.
Nous voici parcourant les écuries. Nous admirons de beaux spécimens équestres. Dérangés par la lumière soudaine, ils s'agitent dans leurs stalles, puis il paraissent contents de voir leur maître. J'apprends que plusieurs personnes travaillent ici, garçons d'écurie, entraîneur.
Vernier me dit :
- Vous savez monter ?
Et comme je suis bien obligé de répondre par la négative :
- C'est quand même dommage pour un escrimeur. Il faudra que Romain vous ramène, de jour, vous ferez un petit tour de manège, et vous verrez toutes les installations, la piste.
Et moi, je m'étonne :
- Ah, bon, vous avez tout ça ?
Et j'ajoute, sans conviction :
- Ce serait avec plaisir.
Lors du retour, tandis que les ténèbres de la nuit avancée se voilent de nappes cotonneuses effilochées, flottantes, de plus en plus denses et enveloppantes, je profite de la soudaine intimité de l'habitacle et demande à Romain pourquoi je suis l'objet de tant d'attentions de la part de ses amis. À l'issue d'un long silence, il me rassure et dit ce qu'il me plaît d'entendre. Ma position de commissaire principal de police est flatteuse et il est agréable pour des gens qui se sont formés eux-mêmes, d'acquérir, grâce à moi, de l'entregent. Ils attendent de moi un effet de représentation. Se montrer en ma compagnie impressionne et fait gagner en respectabilité.

 

 

© E & R - Valence. EAN : 9782847941814
Diffusion :
Éditions & Régions. La Bouquinerie, 77 avenue des Baume
26000 Valence

 

 

Table des matières
Commissaire Principal Limowitz 7
Au Clermont Université Club 10
Invité dans le quartier sombre du vieux Clermont 13
Au pied de la tour Jacquemart 20
Sur la piste des cambrioleurs entre Vichy et Clermont 30
L'affaire se corse 38
Prise d'otage 44
Le temps des doutes 51
Intermède 53
Retour sur terre 72
Nouvelle affaire 75
Les enquêtes s'entremêlent 79
Auto-école 82
Chamalières 86
Gannat 91
Varennes-sur-Allier 97
Retour sur la piste des braqueurs de la fac 110
Retour sur le couple disparu 115
Sur la piste des braqueurs 119
À la recherche des disparus 124
Entre deux eaux 134
Le ciel me tombe sur la tête 138
Les choses se décantent 156
Épilogue 158
Table des matières 162

 

| Accueil | Éditions | Zoom ! | Publishing house | Home |


© La Bouquinerie & Editions et régions, 1997-2018
Editions et Régions.
La Bouquinerie - 77 avenue des Baumes - 26000 Valence - France
Tel : ++33 (0) 6.88.08.35.96 - Mail : contact@labouquinerie.com
Sauf mention contraire, les images illustrant ce site sont protégées.
Dernière mise-à-jour : 2018 Last update :