La Bouquinerie

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Yohann Fourey
la mémoire du temps
CALENDRIERS ET FETES RELIGIEUSES OU PAÏENNES
QUI RYTHMAIENT LA VIE DE NOS ANCETRES
EN ARDECHE, DROME & AUTRES REGIONS CIRCUMVOISINES…

C'est un voyage que nous propose l'auteur de cet ouvrage, un voyage vers nos racines et notre passé, afin de découvrir l'ensemble des fêtes et traditions qui émaillaient les jours de nos anciens. Vous découvrirez, par exemple, au fil de votre lecture, l'importance que pouvait prendre la fête de la Saint Jean ou encore celle de Carnaval dans nos deux départements, mais aussi dans les territoires qui leur sont limitrophes. Un vaste calendrier, païen, traditionnel mais aussi sacré se dessinera au fil des pages. Vous en saurez plus sur ces sociétés anciennes qui nous sont pourtant extrêmement proches. Nous lèverons le voile sur cet aspect méconnu de ces femmes et hommes du passé qui ont pourtant forgé fièrement l'histoire de nos pays. Car connaître son histoire, n'est-ce pas aussi se connaître soi-même ?

L'auteur, ardéchois cœur fidèle, publie ce nouvel ouvrage après Histoires de fantômes de la Drôme et de l'Ardèche, Histoire et légendes de la sorcellerie en Drôme-Ardèche (de la légende aux procès, des procès aux bûchers), Meurtres à Tournon, Personnages merveilleux en Drôme-Ardèche et petit dictionnaire des remèdes populaires d'autrefois en Drôme-Ardèche & autres contrées circumvoisines.
" AUX SOURCES DU SAVOIR POPULAIRE ", RENE SAINT-ALBAN

166 pages. 14,8 x 21 cm. Gravures. 15 euros + 7 euros port

Prix souscription : 12 euros franco jusqu'au 30 juillet 2021

pour plus de renseignements, cliquez ici


Préface
Il est des livres qui comptent double ! Comment est-ce possible ? Tout simplement parce ce que ce ne sont pas des non-livres, des livres aux belles images sur papier glacé mais des pages sur notre vie, tout simplement, à travers des mots qui pèsent. Des mots qui comptent pour notre cerveau mais aussi qui parlent à notre cœur car ces lignes sont tout simplement le reflet de notre ADN, la " mémoire de notre temps " comme le dit si bien l'auteur.
Yohann respire si bien son " petit pays " qu'il en a écrit de nombreuses pages depuis une décennie en de nombreux livres qui reflètent tant l'amour qu'il porte à " son " Ardèche et à sa voisine la Drôme. Au fil d'une œuvre déjà conséquente, mal-gré son jeune âge, il a su tresser le fil de cette belle histoire qui tisse nos chromo-somes. Nous ne sommes pas de nulle part, nous humains, nous ne sommes pas de partout et de rien, nous ne sommes pas pareils, identiques, nous sommes tous uniques mais descendons de quelque part. Et c'est à cet amour de notre petit coin de terre que l'auteur veut nous ramener à chaque ligne de son propos.
Passéisme me direz-vous ? Pas du tout. N'est-ce pas en se connaissant soit même qu'on peut avancer comme le disait le grand Socrate ? N'est pas le but de chacune de nos vies que d'essayer de se connaître ? Ce qui nous permettrait aussi de mieux vivre avec nos frères et sœurs humains qui eux aussi viennent de quelque part.
À l'heure du grand boulgui-boulga total où on essaie de nous faire croire que rien est tout et inversement, il est heureux de trouver sur son chemin, un humain qui nous dise : " regarde bien d'où tu viens, tu sauras mieux où tu vas ".
C'est ainsi que notre auteur, veut encore et toujours, inlassablement, tisser la trame de notre avenir en nous mettant sous les yeux le filigrane de notre passé. Qu'il en soit remercié, lui qui a ce goût de la didactique chevillé au corps.

Premier jour du 2e confinement,
le 30 octobre 2020
René Saint-Alban

Propos liminaires

 

Mon cœur est ardéchois et rien ne pourra le faire changer. Chaque fibre de mon être, chaque goutte de mon sang, respire les hauts plateaux balayés par la burle, les champs d'abricotiers de la plaine, la brume du mont Mézenc, tout en moi n'est qu'Ardèche. J'aime rendre hommage, non pas à mon dépar-tement, le terme n'est pas assez fort, mais à mon petit pays, à ce petit bout de terre entouré de ce territoire que l'on nomme la France, qu'on l'ait nommé Helvie, Vivarais ou encore Source de la Loire. L'Ardèche est l'une de mes raisons de vivre et d'exister.
Fier de mes racines, fier d'appartenir à ce rude pays où la valeur des choses n'est pas une vaine idée, je ne cesse de vouloir rendre hommage à celles et à ceux qui le peuplent mais qui, surtout, l'ont peuplé. Car un territoire qui se tourne résolument vers l'avenir, ne peut que se pencher vers son passé et en tirer une vraie fierté. Assumer son passé : ce sont les femmes et les hommes d'hier qui font, entre autres choses, que je me sens si fier d'appartenir à cette ardéchoise patrie que j'aime chanter et célébrer. C'est cet amour pour cette histoire, qu'elle porte un grand H ou non, qui me pousse depuis plus de dix ans maintenant à noircir des pages entières, cherchant à rendre hommage à ce pays qui m'a tant donné, et qui continue, jour après jour, à m'apporter joie et satisfaction. Une nouvelle fois l'appel de l'Ardèche est le plus fort. Cela faisait beaucoup trop longtemps que je ne m'étais pas décidé à revenir devant l'écran de mon ordinateur. C'est maintenant chose faite : voyons dans quelle direc-tion cet étrange projet va me mener.
Une gentille rivalité unit l'Ardèche et sa voisine la Drôme, rivalité parfaitement explicable, mais qui est, à mon sens, unique en France. Être Ardéchois est une identité que le Drômois, à mes yeux, peut difficilement reven-di-quer. J'entends déjà les cris de mes amis nés du mauvais côté du Rhône… Mais je persiste à penser qu'il est difficile de se revendiquer drômois alors que l'ardé-chois assumera sans complexe sa différence. Explication bien futile et qu'il ne faut pas chercher ici : mon but n'est pas de recréer des tensions qui n'ont pas lieu d'être, mais qui ont malgré tout été vivaces à une époque, mais bien au contraire de voir si les deux départements n'ont pas certains points communs. J'en avais déjà cerné quelques-uns dans mes précé-dents ouvrages : fées, démons, sorciers ont arpenté les routes des deux départements et une multitude de contes, qui ne peuvent avoir qu'une origine commune, sont présents dans cette oralité qui m'est chère mais qui, hélas, est en train de disparaître. Un ancien qui meurt, c'est un livre qui se ferme à jamais. Qu'attendons-nous pour nous en rendre compte ?
Nos anciens… Ceux qui ont forgé notre identité, pierre par pierre, mot par mot, et ceux pour qui la chose dite avait une valeur. Inlassables travailleurs de la terre aux maigres distractions qu'ils savaient savourer à leur juste valeur. Dans une société sans télévision, sans téléphone portable, sans réseaux sociaux, sans Internet, il nous est difficile, à nous, consumériste que nous sommes, d'imaginer que nos ancêtres aient pu être heureux. Et pourtant, quel plaisir se devait être, après une dure journée de labeur, d'écouter, près de la cheminée, alors que la nuit tombait doucement et que résonnaient le hululement des hiboux, la grand-mère raconter l'histoire de Jean de l'Ours ou des fées du bois de Païolive. Avoir peur et se faire peur. Émerveiller et s'émerveiller. Grande époque que celles des veillées. Époque que me racontaient souvent mes grands-parents, hélas bien trop tôt disparus, et que j'aurai aimé vivre.
Les distractions étaient rares pour ces personnes, et le peu qui était proposé était savouré avec un profond plaisir. Ces gens-là savaient se contenter de peu, mais chaque moment était apprécié. De nombreuses fêtes et de nombreux événements jalonnaient la vie de nos anciens et rythmaient leur vie. Mélange de religieux et de profane, elles étaient l'occasion, l'espace d'une journée ou d'une soirée, d'oublier les tracas et les soucis du quotidien. Dans une société essentiellement rurale, l'homme de la terre savait lire les présages et connaissait les dictons et les proverbes propices à lui assurer santé, bonne fortune et bonne récolte. Il savait le soir si la météo du lendemain serait clémente ou pluvieuse, en se fiant à son instinct et aux signes de la nature. Il connaissait les saints protecteurs et savaient à quelle date ils étaient fêtés, agissant ainsi en conséquence. Il savait que les saints de glace pouvaient ruiner une récolte, mais connaissait également les vertus des herbes cueillies le soir de la Saint Jean d'été. Bref, l'homme de la terre connaissait les aléas de ce que nous nommons le calendrier.
Mesurer et définir le temps fut toujours une préoccu-pation essentielle de l'histoire de l'humanité. Depuis l'aube des temps, l'homme a constaté que la journée se divisait en deux grandes parties, l'une lumineuse que l'on nomme jour, l'autre beaucoup plus obscure que l'on nomme nuit. Dans sa grande sagesse, il s'est rendu compte de différences subtiles dans ces deux parties, et a tenté de les mesurer. Ainsi a-t-il défini les saisons, l'une où la nature est en pleine renaissance, l'autre où elle donne ses bienfaits, une autre où elle se pare de magnifiques couleurs et une autre où elle semble mourir. Nos quatre saisons, printemps, été, automne et hiver, étaient nées. Par la suite, d'autres distinctions seront admises, notamment quand il se rendra compte que le soleil est beaucoup plus clément en été, ou bien encore que les journées sont beaucoup plus courtes en hiver. Les jours seront divisés en vingt-quatre heures, on comptera les années à partir d'une année zéro correspondant à la nais-sance d'un personnage nommé Jésus, en tout cas dans la tradition catholique. Un calendrier sera instauré, un calendrier que l'on nommera julien, puis grégorien à partir de 1582 suite à l'intervention du pape Grégoire XIII qui se rendra compte de l'obsolescence et des erreurs de l'ancien.
C'est bien de calendrier et de mémoire dont il sera question dans cet ouvrage qui n'aura d'autres prétentions que de divertir le lecteur, le replongeant dans un passé, au final pas si lointain, mais qui nous semble terriblement étranger, et de rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui ont forgé, comme je l'ai déjà dit, pierre par pierre et mot par mot, l'histoire de nos deux départements. Le calendrier que nous utilisons depuis 1582 est émaillé à différents intervalles de fêtes et dis-trac-tions, parfois religieuses, parfois moins, qui faisaient la joie et le bonheur de nos anciens, une joie et un bon-heur simple, mais qui suffisaient à ces hommes rudes au cœur immense.
Rire et s'amuser étaient des moments privilégiés que l'on partageait ensemble, autour d'un bon verre et d'un bon repas. Certaines de ces fêtes avaient des coutumes parfois étranges, souvent distrayantes, mais qui toutes méritent une analyse. Si Pierre Charrié a écrit énor-mément de choses sur ce sujet, notam-ment dans son inestimable Ardèche au fil du temps , deux constats sont cependant à faire : il n'y a aucun esprit critique et d'analyse dans cet ouvrage qui se contente, et cela est déjà énorme, de recenser toutes les coutumes de presque chaque lieu de l'Ardèche. Il en a tiré une somme de connais-sance formidable que je me propose de passer à la loupe ici, dans un travail d'analyse difficile, mais qui s'annonce déjà passionnant. Après ce premier constat, le second s'impose de lui-même : rien, ou si peu, n'a été écrit sur le sujet dans la Drôme. Autant associer nos deux départements, comparer leurs histoires, leurs fêtes, leurs célébrations, et nous en tirerons les conclusions qui s'imposeront. Les informations étant lacunaires pour ce second département, je n'opérerai pas de distinguo particulier entre les deux.
Il est temps maintenant de commencer notre analyse et de partir à la rencontre de ces hommes du passé, ces hommes qui nous semblent à la fois si lointains, mais si familiers, et dont nous désirons connaître les modes de vie et de fonctionnement. Il est une nouvelle fois temps de rendre hommage à ces personnes laborieuses, pour qui la vie, parfois rude, souvent simple, était toujours perçue comme un don et dont la mort était toujours perçue non comme une fin mais comme le déroulement habituel de la vie. Dans une société qui ne cesse, jour après jour, de perdre le peu de repères dont elle dispose, il est temps de pencher l'oreille et d'écouter le murmure venu du passé.
Je suis fier de contribuer à l'histoire de mon dépar-tement. Je ne demande rien en retour, ni reconnaissance particulière ou prix distinctif : l'Ardèche est une seconde mère pour moi, et cette modeste contribution ne saurait lui rendre tout ce qu'elle a pu me donner.
Alors, remontons le passé et partons à la rencontre de toutes celles et ceux qui ont su, à force de labeur, de courage et de ténacité, forger cette ardéchoise patrie à laquelle je suis si fier d'appartenir.
Valence, samedi 20 octobre 2020.

Première partie
Des fêtes religieuses teintées de paganisme…
L'Église a toujours rythmé la vie des gens, nobles ou roturiers, puissants ou moins puissants, par des jours, voir même des périodes entières de célébration. Cela s'expli-que aisément : si notre XXIème siècle connaît de-puis longtemps maintenant, et bien avant les années 2000, une vraie crise des vocations, il existait une époque où il était un honneur pour une famille de posséder en son sein un membre du clergé. Rentrer dans les ordres, que ce soit pour devenir moine ou prêtre, était un véritable motif de fierté. De nos jours, une évolution des mentalités fait que les vocations sont de plus en plus rares, cependant, les fêtes chrétiennes du calendrier sont toujours bien présentes. Certaines sont connues, d'autres moins, mais toutes permettaient aux gens de se réunir autour d'un même symbole, peu importe le statut social. Depuis des temps immémoriaux, les hommes sont soumis aux mêmes rituels liturgiques qui les rapprochent. Les fêtes religieu-ses continuent encore de rythmer notre vie, mais le sens semble nous en avoir échapper.
L'aspect religieux est important certes, mais pas que. Ainsi, sous toutes ces célébrations chrétiennes qui nous semblent si proches, se cachent un arrière fond païen évident qui a été christianisé au fil du temps. Cela ne doit pas nous surprendre : l'arrière pensée celtique a été très présente dans nos contrées. Preuve s'il en faut l'ancien nom ardéchois, l'Helvie, qui vient de la tribu des Helviens. Preuve également, le nombre incroyable de dolmens, construits lors de la Préhistoire, mais vénérés par les Celtes, présents dans le département. N'oublions pas que les premiers prêtres et les premiers évêques de la nouvelle religion catholique étaient les anciens druides qui avaient été convertis. Des preuves de l'existence de mythe païen en Bretagne existent, des témoignages écrits, jusqu'au IXème siècle, et il n'est pas interdit de supposer que cette situation s'est également produite dans nos deux départements.
Voici donc les différentes fêtes religieuses de nos deux départements passées à la loupe. Elles sont nombreuses, et la liste n'est certainement pas exhaustive, mais elle a au moins le mérite d'être là.
Les Innocents ou Fête des Fous
Les Innocents sont célébrés les 26-27-28 décembre, de la Saint Étienne à la Saint Jean des Innocents. C'est une fête qui se déroule donc sur trois jours pleins, et son exécution est particulièrement typique de ce que nous annoncions plus haut, à savoir la christianisation des anciens mythes païens.
Alors, en quoi consistait cette longue période festive et comment était-elle carac-térisée ? Pour répondre à cette question, il faut déjà se poser la question de ce que représentent les Innocents.
Si le hasard vous mène un jour dans notre capitale pari-sienne, vous tomberez immanquablement sur un cime-tière nommé cimetière des Innocents. Le terme même des Saints Innocents renvoie à une absence de culpabilité. Alors, qui peut donc être innocent, et pourtant exécuté ? Il faut savoir que cette période est une réminiscence d'un événement biblique terrible qui correspond au massacre des Innocents.

Curieusement, ce souvenir est vivace, mais repose sur un acte plus tardif. Il met en scène notamment les trois Rois Mages et le roi Hérode, période plutôt rappelée par l'Épiphanie.
Le roi Hérode, selon la Bible, manda trois Rois Mages pour vérifier si les prédictions qui annonçaient la naissance d'un enfant destiné à devenir le roi des juifs étaient exactes. Guidés par l'Étoile, les Rois Mages découvrirent rapidement l'éta-ble dans laquelle reposait l'enfant Jésus et lui remirent chacun un présent. Ne nous attardons pas sur cet épisode, nous aurons le temps d'en reparler par la suite. Néan-moins, Dieu avertit en songe nos trois Rois de ne pas retourner auprès d'Hérode et ils regagnèrent leur pays respectif.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais Hérode se rendit compte rapidement que les trois Rois Mages s'étaient joués de lui. Il décida d'organiser le massacre des enfants juifs âgés de moins de deux ans : c'est ce massacre qui est connu sous le nom du massacre des Saints Innocents.
L'aspect religieux est donc ici prédominant, néanmoins, si le souvenir en reste vivace en Drôme Ardèche, la forme que prend sa célébration est des plus étranges.
La célébration des Innocents a rapidement pris un tour inattendu dans nos deux départements, et le nom rapidement fut lui aussi détourné et devint la Fête des Fous. En quoi pouvait-elle donc consister ?
La Fête des Fous mettait en scène des membres du clergé : ecclésiastiques et prêtres en tout genre n'hési-taient pas à se mettre en avant quitte à se ridiculiser. Un ecclésiastique, géné-ralement un prêtre, devait porter des attributs d'évêque, la mitre mise à part (qui était rempla-cée par une sorte de bonnet d'âne) et faire un tour sur un trône, porté par les gens de l'assistance. Il devenait ainsi pape des fous et promettait mille et une choses à ceux qui l'accompagnaient, de la plus normale (prospérité et santé) à la plus curieuse (des teignes sous le menton, le mal de foie…). Ces joyeuses fêtes étaient, la plupart du temps, accompagnées de libations et d'excès culinaires en tout genre. Ainsi, et devant la tournure que prenaient les événements qui devenaient incontrôlables, les auto-rités décidèrent de mettre fin à toute forme de fête durant cette période de trois jours. Souvent, ces recom-mandations étaient passées outre et la Fête des Fous se tenait malgré tout, mais les participants pouvaient être vivement réprimandés : les témoignages de morts violen-tes ne manquent pas.
Cette fameuse Fête des Fous a été célébrée dans nos deux départements. Elle n'est que l'apanage d'une ancienne fête romaine qui a été christianisée, à savoir les Saturnales, en l'hon-neur du dieu Saturne. Nous revien-drons cependant un peu plus loin sur cette fête, car le Carnaval nous semble être plus approprié pour l'évoquer. Il faut simplement garder à l'esprit que le souvenir des enfants innocents tués par Hérode s'est mêlé à une sorte de substrat païen qui a donné ces joyeuses libations dont la Drôme et l'Ardèche avaient coutume à une époque.
Épiphanie
L'Épiphanie est l'une des fêtes religieuses les plus célèbres qui se déroule généralement le 6 janvier de chaque année. Cependant, pour faciliter le calendrier, il est généralement d'usage de la célébrer le second diman-che de l'année dans certains pays, comme en France. Elle est généralement synonyme de bonheur pour les gour-mands de tout poil : c'est en effet le jour où l'on déguste la galette des rois, qui contient la célèbre fève. Quiconque trouvera la fève sera couronné roi pour la journée. Généralement fête familiale, c'est l'enfant le plus jeune qui, situé sous la table où le fameux gâteau sera coupé, désignera la part de chacun. En toute innocence, l'enfant choisit celui qui portera la couronne des rois. La fameuse fève qui était au Moyen Âge un gros haricot non cuit, parfois un louis d'or, est par la suite devenue le sujet en porcelaine, représentant généralement un person-nage de la nativité ou du folklore régional que nous connaissons tous.
Ceci est pour le folklore. Maintenant, penchons-nous un peu sur les tenants et aboutissants de cette fête. Que représente-t-elle ?
Le terme " Épiphanie " vient du latin Epiphania qui signifie apparition. Alors apparition de quoi ? Pour avoir une réponse concrète, il suffit d'ouvrir le nouveau testa-ment et de lire le célèbre épisode des Rois Mages. Mel-chior, Gaspard et Balthazar, rois de contrées lointaines, mais également mages, c'est à dire capables de déchiffrer les présages, de lire l'avenir dans les constellations et de déchiffrer les signes, furent mandater par le roi Hérode, rois des Juifs, afin de vérifier les dires de certains qui prétendaient qu'un Roi des Juifs d'un nouveau genre était né. Nos trois rois se mirent donc en route, chacun chargé d'un présent, et guidés par une étoile trouvèrent l'étable dans laquelle reposait l'enfant Jésus. Stupéfaits par sa grâce, ils déposèrent à ses pieds leurs trois présents, l'or, l'encens et la myrrhe, se prosternèrent devant lui, le bénirent et, après avoir vu en songe un ange ou une apparition divine leur demandant de rentrer chez eux sans retourner chez Hérode, retournèrent dans le pays dont ils étaient originaires. Cet épisode biblique n'est pas anodin : il est le ciment même de la culture catholique. Pour la première fois, l'enfant Jésus est reconnu comme le Roi des Rois, étant honoré même par les plus puissants. Il est aisé d'admettre que les Rois Mages, venant de contrées lointaines, ne pouvaient être que des païens. Se proster-nant ainsi devant Jésus, ils admettent sa toute puissance. Jésus est celui qui a fait s'agenouiller devant lui, même s'il ne s'en rendait pas compte, vu son jeune âge, les plus puissants des rois païens.
Au final, peu de choses nous sont parvenus sur les Rois Mages, si ce n'est leur nom. On suppose également que l'un d'entre eux était noir, mais cela est plus une idée folklorique qu'une affirmation biblique. En revanche, même si l'on sait qu'ils sont rois de contrées lointaines, mages, astrologues, nul ne sait de quels pays ils sont venus.
Le folklore du monde en général et de France en particulier sait rendre hommage aux Rois Mages. Nom-bre de croyances leurs sont attribuées un peu partout, notamment le pouvoir de guérison. Leurs noms sont, entre autre, évoqués pour guérir de l'épilepsie. Il faut porter sur soi une image pieuse représentant les trois personnages et portant l'inscription Sancti tres Reges, Gaspar, Melchior, Balthazar, orate pro nobis nunc et in hora mortis nostrae .
Pareillement, écrire avec son sang sur un miroir le nom des trois Rois Mages le jour de l'épiphanie permet de voir comment on va mourir …
De nombreuses croyances superstitieuses sont à mettre en rapport avec cette fête, et il est intéressant de noter que le folklore prend très souvent le pas sur le religieux. Ainsi, pour connaître le nom de son futur époux, un rituel en Normandie consistait, pour une jeune fille, en un mélange de prière et de pratique curieuse : pose d'un miroir sous un traversin, croix de bois, bas en soie noir… Très souvent également on considère le gâteau des Rois comme protecteur du tonnerre. On dit aussi qu'un enfant qui ne participe pas à la fête du tirage des Rois sera emporté un jour ou l'autre par le Diable. Mais la nuit de l'Épiphanie est également remplie de mystère : la chasse sauvage du roi Hérode passe la nuit au-dessus des foyers, une meute sauvage constitué de chasseurs terribles, de chiens fantômes, dans un fracas d'enfer épouvantable. Résurgence du mythe de la Mesnie Hellequin, la chasse sauvage est inspira-trice de bien des fantasmes, notam-ment en Ardèche. Beaucoup affirment avoir entendu des bruits fantomatiques venant des cieux et de bien mysté-rieux aboiements venant de nulle part …
Comment ce jour spécial était-il fêté dans nos deux départements ? En Ardèche comme en Drôme, les choses semblent similaires. Dans le village de Joyeuse, les boulangers distribuaient gratuitement le fameux gâteau des Rois. En 1640, le curé de Brinhon parle de distri-bution de gâteau dans lesquels sont présents des fèves ou ce qu'il nomme des billettes. Il s'agit du souvenir le plus ancien dont nous disposons de la fête de l'Épiphanie en Ardèche. Ceci est bien la preuve d'un ancrage très ancien dans nos départements de la célébration de la venue des Rois Mages. À Berrias et à Beaulieu, la jeunesse catho-lique célèbre l'Épiphanie en distribuant des fougasses aux pauvres. À Vernoux-en-Vivarais, les jeunes hommes célébraient la fête ensemble, en faisant de petites réunions, alors que les jeunes filles attendaient huit jours de plus pour réaliser la même chose. Notons également qu'en Ardèche comme en Drôme, cette fête permettait la distribution du pain béni dans les églises, choses qui est, entre autre, attesté au Pouzin . En Ardèche en général, on la nomme également Tiphaine.
On le voit donc, l'Épiphanie est une fête religieuse teintée de folklore qui continue de marquer durablement le paysage de nos régions. Elle a été, à une époque, la fête la plus importante de la chrétienté après Noël.
Chandeleur
Qui ne connaît pas la Chandeleur, cette fête que tous les gourmands connaissent ? Il n'est en effet pas rare de sentir, à cette date, la douce odeur de la crêpe chauffant lentement dans la poêle, crêpe qu'un habile coup de poignet fera se retourner.
La cuisinière, ou le cuisinier, réalisant ce magistral tour de force sans tomber la préparation, se verra offrir une année particulièrement riche, surtout s'il avait pris préalablement soin de serrer une pièce de monnaie en or dans sa main libre. Néan-moins, la fête de la Chandeleur se doit de nous inter-roger : derrière cet arrière plan festif se cache bien d'au-tres aspects étranges de cette fête. Ils se doivent d'être expliqués.
Il faut savoir en premier lieu que la fête de la Chandeleur est avant tout une fête qui prend racine aux plus profond des âges. Si un nom nouveau lui a été donné, rappelant la lumière (nous verrons ce point un peu plus tard), l'Empire romain lui préférait le nom de parental.
Il s'agissait de faire des libations en faveur d'un dieu particulier du nom de Febvrius, qui était ni plus ni moins qu'une résurgence de Pluton, dieu des morts. Ainsi, si de nos jours, l'aspect de la lumière tient une place prépondérante dans la célébration de la Chandeleur, il existait une époque bien plus lointaine où cette dernière possédait un véritable aspect mortifère.
Il fallait donc rendre hommage aux morts. Néanmoins, cet aspect mortifère était cependant atténué : à certaines périodes de la nuit, durant les parentalia, des torches étaient allumées en l'honneur des âmes des défunts. Toutes les cinq années, les parentalia étaient destinées à la mère du dieu Mars afin de favoriser les victoires militaires. Honorer les morts et s'attirer les bonnes grâces des dieux, voilà le but premier de l'ancêtre de la Chandeleur .
Comme beaucoup de fêtes païennes, la Chandeleur prend peu à peu un aspect chrétien et devient la fête de la présentation de Jésus au Temple, ainsi que de la purification de la Vierge Marie, et se retrouve fêtée le 2 février. Pour l'occasion, de grandes torches sont allumées, ainsi que des cierges. D'ailleurs, le nom de Chandeleur rappelle volontairement le mot " chan-delle " et vient du latin " festa candelarum ".
De nombreuses légendes et traditions sont à rattacher à cette fête particulière et très importante dans nos deux départements. En effet, longues processions et messes en tout genre étaient célébrées à l'occasion de cette " festa candelarum ", et, au final, ne nous sont parvenus que les traditions païennes. Car si la Chandeleur a été christiani-sée et se veut, selon la tradition liturgique, la célébration de la présentation de Jésus au Temple, il faut bien avouer que la préparation des crêpes et autres bugnes n'a véritablement rien de religieux. Il faut donc s'orien-ter du côté du paganisme. Pourquoi prépare-t-on notamment des crêpes en ce jour ?
Pour répondre à cette question, qui pourrait paraître anodine mais qui ne l'est pas tant que cela, il faut tout d'abord interroger l'époque à laquelle la Chandeleur est fêtée. Elle se déroule au mois de février, c'est-à-dire, un bon mois avant l'arrivée du printemps. Les journées commencent à être plus longues et le soleil commence à distiller ses chauds rayons dans le ciel encore hivernal.
La nature sort de près de six mois de froidure et de longues soirées. L'obscurité a régné durant une longue période et le mois de février, même s'il peut encore apporter quelques frimas, voit cependant les températures commencer à se réchauf-fer sensiblement. On fête donc la lumière sous toutes ses formes, même les plus primaires : allumer une bougie, un feu…
Mais il s'agit aussi de célébrer le soleil : la crêpe qui cuit doucement dans la poêle rappelle, de par sa forme ronde et sa couleur dorée, l'astre solaire qui, petit à petit, se remet à réchauffer généreusement la terre. Ainsi, par un acte simple, on rappelle la victoire de la lumière sur les ténèbres, tout en rappelant que le printemps si attendu arrive bientôt. Faire des crêpes ou des bugnes à cette époque était gage de prospérité : heureux celui ou celle qui réalisait cette recette de cuisine simple, l'argent était assuré de ne pas manquer. En revanche, ne pas faire cela pouvait attirer le spectre de la pauvreté…
Les cierges bénis le jour de la Chandeleur dans les églises étaient gardés précieusement. En effet, placés derrière une porte, ils assuraient protection contre le vol ou la maladie. De même, planter une croix en brindilles dans un champ en ce jour garantissait d'excellentes récoltes tout au long de l'année. On le voit donc, cette date est bien marquée du sceau du paganisme : rien de très chrétien dans toutes ces pratiques, la croix en brindille étant une façon détournée d'utiliser un instrument religieux .
Notons également qu'il n'était pas conseillé de réaliser un voyage en mer le 2 février, les risques de périr par naufrage étant accentués. De même, la légende de la Vouivre, dans le Jura, nous invite au merveilleux.
Ce monstre serpentéiforme qui portait une escarboucle sur le front a cristallisé les fantasmes d'une multitude de gens dont la plupart, si l'on en croit les croyances, ont lamentablement péri. En effet, c'est au cours du 2 février de chaque année, que la Vouivre enlève son escarboucle, une pierre précieuse, pour se baigner. Le mortel trop téméraire qui voudra tenter de dérober ce joyau inestimable aux pouvoirs magiques certains, se verront pourchasser par tout un tas de créatures toutes plus immondes les unes que les autres, et échouera dans son entreprise .
Dans la Drôme et l'Isère, notons une particularité poétique à la symbolique dense. Plusieurs ont constaté qu'il neigeait souvent à gros flocon le jour de la Chandeleur : un fait pouvait expliquer cela : on disait en effet que cette neige était provoquée par la Vierge Marie qui chevauchait un ours et qui passait dans les cieux. L'ours est un des animaux incarnant à la fois la force et la sagesse. Animal celte par excellence, le fait de l'associer à la Vierge prouve la parfaite symbiose que ce personnage chrétien peut avoir avec nos anciennes légendes. Sacré et profane sont ici parfaitement associés, encore une fois.
On le voit donc, la Chandeleur reste une fête païenne qui a été difficilement christianisée au fil du temps. Encore de nos jours, survivance d'un autre temps pas si éloigné que cela, on retient de cette fête les bugnes, beignets et autres crêpes qui attisent l'appétit des gourmands de tous poils, mais qui, de nos jours, pourrait encore savoir que cette fête, lorsqu'elle fut saisie par la religion, correspondait à la présentation de l'enfant Jésus au Temple ? Pas grand monde certainement, et c'est sans conteste ce qui fait la valeur de notre folklore, un mélange à la fois de sacré et de profane aux frontières particulièrement mou-vantes…
Fête des Rameaux
La fête des Rameaux est attestée au Vivarais au XIIIème siècle, mais en quelques lieux épars du fait d'une christia-nisation rapide du département, elle se généralise totalement au Xème siècle . En quoi pouvait-elle donc consister, et comment était-elle fêtée ? Encore de nos jours, la fête des Rameaux est une véritable institution en Drôme-Ardèche, et elle se trouve y être attrayante : les célébrations dans les églises y sont parti-culièrement festives et des chants parfaitement reconnais-sables sont entonnés par une foule souvent en liesse. C'est un véritable spectacle qu'il faut vivre au moins une fois en Ardèche.
Curieusement, il semblerait que la fête des Rameaux ne puise pas son inspiration dans d'anciennes fêtes antiques. On se retrouverait donc, pour une fois semble-t-il, devant une vraie fête chrétienne. Si l'Ardèche ne commence à la célébrer qu'à partir du XIIIème siècle, elle est attestée en France à partir du IVème, ce qui en fait une fête extrêmement ancienne et certainement extrêmement populaire. Le fait que la fête des Rameaux ne puise pas son inspiration dans une fête païenne ne peut que nous interroger : les fêtes des moissons étaient nombreuses, que ce soit chez les Grecs et les Romains, mais égale-ment chez les Celtes, et les exemples auraient pu ne pas manquer. C'est donc bien du côté de la Bible qu'il faut se tourner afin d'apprendre à quoi cette fête peut bien corres-pondre.
La fête des Rameaux tire son origine d'un épisode biblique au final assez connu, à savoir l'entrée triom-phante de Jésus à Jérusalem, accueilli en véritable pro-phè-te par une foule en délire qui, selon l'imagerie chré-tienne populaire, tenait dans ses mains des feuilles de palmiers afin de réaliser une véritable haie d'honneur végétale à celui qui se faisait reconnaître comme étant le fils de Dieu. Afin de perpétuer ce souvenir, les personnes se rendant à l'église pour célébrer les Rameaux tenaient des branches d'oliviers ou de lauriers qu'elles devaient brandir en fonction des chants liturgiques. Ces rameaux de verdure étaient ensuite bénis par le prêtre au terme d'une célébration d'une rare intensité. On dit en Ardèche que la messe des Rameaux doit être la messe la plus festive qui doit exister, et le prêtre doit se mettre au diapason d'une telle ferveur.
Les rameaux ainsi bénis avaient plusieurs particu-larités : ils devaient être placés dans les différentes pièces de la maison pour assurer la bonne fortune mais ils avaient également le pouvoir d'éloigner la foudre, pouvoir grandement accru si le rameau en question était un rameau de buis. Mis dans les champs ou dans les vignobles, et disposés en croix, ils éloignaient la grêle et assuraient de bonnes récoltes. Souvent des rameaux bénis étaient disposés sur les tombes, et un brin pouvait parfois être mis entre les mains d'un défunt, pour qu'il puisse s'en servir à l'autel du Bon Dieu.
Néanmoins, d'autres traditions beaucoup plus sombres sont rattachées à la fête des Rameaux : on dit notamment que les sorcières sont particulièrement puissantes en ce jour. On raconte aussi que les démons sont obligés d'étaler leurs trésors durant toute la journée de la fête, mais non pas sous forme de pièces d'or ou de lingots, mais de feuilles ou de branches. Il faut les arroser d'eau bénite pour les voir apparaître …
Voilà pour montrer qu'au final, même si l'on reste sur une festivité réellement religieuse, certaines croyances ont la vie dure : une forme de folklore étrange vient se coller une nou-velle fois à une célébration chrétienne. Mais, au final, que se passait-il vraiment dans nos dépar-tements ?
En Ardèche, tout comme en Drôme, une particularité inté-res-sante fait irruption lors de cette fête : les rameaux doivent être décorés, notamment par les enfants. Ils sont principalement ornés de sucreries diverses et variées, même si cette pratique fut interdite à un moment donné, mais l'interdiction fut parfai-tement ignorée… Nos ancê-tres avaient la tête dure !
Les garnitures des rameaux étaient très souvent originales, mais surtout très colorées : les adultes les ornaient notamment de guirlandes ou de fleurs, de rubans… Cette coutume de déco-ration s'est malheureu-sement éteinte… Quel spectacle se devait être d'assister à cette bénédiction dans une église !
Les rameaux sélectionnés étaient généralement en laurier, en olivier ou en arbousier, le buis étant rarement utilisé. Il devait être coupé la veille, parfaitement droit, puis était ensuite béni dans l'église par le curé au terme d'une longue procession festive. Ensuite, les rameaux étaient disposés un peu partout dans la maison : dans la cuisine, dans le salon, au-dessus du lit d'une chambre à coucher… Un morceau était généralement brûlé à une fenêtre car on disait que les cendres éloignaient le ton-nerre… C'était également le jour ou les dames pouvaient demander leur fiancé en mariage.
La nourriture ingurgitée lors de la fête des Rameaux peut nous paraître chiche, mais elle était trésor pour celles et ceux qui la partageaient. Le plat traditionnel, dans une grande partie de l'Ardèche, était une soupe constituée de pois chiche. Pour éviter toute graisse animale, on assaisonnait avec de l'huile. De nombreuses sucreries en forme d'agneau étaient produites…
Les Rameaux étaient nommés rameus, raspans, ramos, rapans, romeus dans les différents dialectes régionaux. Leur célébration est avant tout un rappel que nos ancêtres se contentaient de ce qui peut nous apparaître de pas grand-chose, mais chaque moment était apprécié à sa juste valeur. Ce simple fait est, déjà, inestimable .
Semaine Sainte
La Semaine Sainte correspond à la semaine qui précède le jour de Pâques. Généralement, on parle de Mercredi Saint, Jeudi Saint, Vendredi Saint et Samedi Saint. En Ardèche notamment, le mercredi ne semble pas avoir d'incidence particulière. Cependant, si on s'intéresse au folklore d'autres régions, on verra que le Mercredi Saint est un jour généra-lement maléfique. On dit ainsi qu'il pleut toujours en cette date en souvenir des pleurs que l'apôtre Pierre a versés .
Le folklore de France est, de toute façon, très présent au cours de cette semaine particulière. Ainsi, il faut noter que les cloches des églises ne sonnent pas à partir du jeudi, pour une simple raison : elles sont toutes parties à Rome se faire bénir par le pape. Quand elles reviendront, elles apporteront les œufs de Pâques aux enfants…
Attardons-nous donc un instant sur ce qui pouvait bien se passer dans nos régions. Le Jeudi Saint en particulier semble avoir une véritable importance en Ardèche. Une tradition curieuse consistait à aller visiter les Paradis, notamment près de la région d'Annonay. Ces Paradis étaient en fait des lieux, souvent des chapelles ou des églises, dont on décorait l'intérieur de tentures blanches et de fleurs, voir de rameaux qui avaient été bénis précé-demment. Cette visite permettait de s'assurer pros-périté et bienfaits tout au long de l'année.
On atteste ainsi qu'à partir du XVIème siècle se tenait ce que l'on nommait un " mandatum " et qui semble n'avoir eu aucun équivalent ailleurs en France. Ce mandatum consistait pour un membre du clergé à laver les pieds de treize petits enfants pauvres et de leur offrir un petit repas. Cette tradition s'est maintenue au moins jusqu'au début de la première guerre mondiale, notam-ment au Cheylard : douze enfants, choisis au hasard par le clergé, se voyaient laver les pieds et offrir une petite pièce d'argent.
Le folklore ardéchois fait la part belle à cette date, et sa célébration est toute particulière. Outre ce mandatum, la façon la plus étrange de célébrer le Jeudi Saint consistait principalement à faire le plus de bruit possible, notamment à la fin des messes. Le bruit était un élément prépondérant, qu'il soit réalisé par les pénitents ou par les personnes assis-tant à la messe. Ce bruit, se réalisant parfois lors de bruyan-tes processions, se devait de rappeler le fracas et le désordre de la nature lors de la mort du Christ .
Le Vendredi Saint voyait fleurir les processions en tous genres, dont le célèbre calvaire de Burzet, attesté depuis au minimum 1325, date qui a vu la mort d'un homme qui incarnait Jésus ployant sous la croix. Peu de choses sont à signaler : le calvaire de Burzet est, sans chauvinisme aucun, certainement l'un des plus beaux de France. Il est constitué de trente-deux stations, figurées par des peintures de style naïf. Quand le personnage figurant Jésus tombe, la personne chargée de le fouetter crie " Christ, monte au calvaire ! ". Notons que depuis 1930, ce ne sont pas moins de soixante-deux personnes qui participent à cette mise en scène.
Le Samedi Saint est consacré à deux éléments : le feu et l'eau. L'andaluta, ou lumière pascale, était apportée dans l'égli-se, et tous les fidèles en profitaient pour faire provision d'eau bénite, ou aïga senhada. À une époque ou le sel avait une importance stratégique, pour la conser-vation des viandes entre autre, on faisait bénir les réserves .
Néanmoins, la coutume la plus étrange de cette Semai-ne Sainte était sans conteste celle du bœuf gras. Attestée en Ardèche, notamment dans plusieurs localités comme Annonay, Tournon ou Chomérac, mais aussi Saint-Agrève (ce qui montre une vraie disparité sur le territoire, on est bien loin d'une coutume locale, voir même com-mu-nale) elle consistait pour les bouchers de parer leur plus joli bœuf de rubans et de déco-rations et de le balader dans la ville ou le village. On s'arrêtait chez les foyers amis pour généralement se faire payer une tournée .
Tradition curieuse que cette promenade du bœuf gras ! L'animal lui-même interroge : taureau amputé de sa virilité, le bœuf n'en reste pas moins un animal connoté dans nos diverses traditions. Ne dit-on pas qu'un bœuf se trouvait près de l'enfant Jésus lors de sa naissance ? C'est également l'animal incarnant le travail dans toute sa splendeur. De même, selon une certaine idée, c'était un animal bénéfique qui portait chance.
L'explication vient alors d'elle-même : souvenir certaine-ment d'une ancien-ne pratique, promener ainsi le bœuf gras dans les rues d'une localité pouvait amener joie, bonheur et prospé-rité.
Les différents folklores de France nous apprennent que la Semaine Sainte est une période particulièrement chargée. Nous avons vu l'importance du Mercredi Saint. Au Jeudi Saint, on dit que les œufs pondus en ce jour peuvent se conserver sur une très longue période, au moins plus d'une année. Dans la ville de Marseille, on dit que ces mêmes œufs peuvent éteindre des incendies. Il ne faut surtout pas travailler le Vendredi Saint, jour de la mort du Christ, sous peine de malheurs terribles. Il existait une époque où les meuniers arrêtaient leur travail à 15h l'après-midi pour laisser les ailes de leurs moulins former la croix de la passion christique. De même, les forgerons refu-saient de planter des clous en ce jour, en hommage à Jésus.
Le jeûne se devait d'être pratiqué, et on dit même que la faune elle-même refusait de manger en ce jour, notamment les oiseaux. Ceux qui sèment des graines en ce jour n'obtiendront aucune récolte, et même pire : manipuler un terrain avec un outil en fer pourrait faire saigner la terre. Le Samedi Saint voyait les eaux des fontaines de France se transformer en eau bénite. Une fontaine sur laquelle on aura posé une croix la veille donnera également en ce jour du vin entre onze heures et minuit .
Arrêtons-nous là. On l'aura compris, la Semaine Sainte joue un rôle prépondérant dans la vie des Ardéchois et des Drômois, mais également sur le monde traditionnel en général. Comme la plupart de nos fêtes, cette Semaine si particulière, se retrouve être le carrefour d'anciennes et nouvelles croyances. C'est de ce charme si particulier que naît notre folklore…

 

Index des noms de lieux
Annonay,30, 31, 70, 83, 94, 105, 112
Auriolles,152
Banne,152
Beaulieu,21
Berrias,21
Borne,152
Chambalud,74
Chapelle-sous-Aubenas,72
Charmes,127
Chassezac,152
Cheylard,30
Chomérac,31
Eclassan,112
Grospierres,152
Helvie,9, 15
Labeaume,83
Lavilledieu,74
Mauves,44, 45, 77, 95, 112, 140
Mont Mézenc,9
Olivier de Serres,150, 152
Ollières,95
Païolive,10, 152
Pouzin,22
Puy de Dôme,125
Riotord,84
saccol,152
Sagnes,90, 150
Saint-Agrève,31, 90
Saint-Barthélémy-de-Vals,65
Saint-Basile,73
Sainte-Eulalie,90
Saint-Genest-de-Bauzon,75, 106
Saint-Jean-de-Muzol,65
Saint-Martin-de-Valamas,65, 79
Saint-Martin-le-Galézas,80
Saint-Péray,105
Saint-Thomé,81
Saint-Vallier,65
Sampzon,152
St-Paul-le-Jeune,152
Tain-l'Hermitage,46, 72
Tournon,31, 76, 112
Valence,5, 6, 12, 13, 22, 26, 29, 30, 34, 45, 47, 50, 57, 61, 69, 71, 73, 77, 78, 81, 82, 90, 95, 100, 105, 109, 112, 114, 119, 127, 130, 134, 136, 142
Varannes,83
Vercors,112
Vernoux-en-Vivarais,22
Villeneuve-de-Berg,90, 149, 150, 151, 156
Vinzieux,83
Viviers,82
Voreppe,69, 121, 126, 127, 132, 136
Table des matières

Préface 7
Des fêtes religieuses teintées de paganisme… 15
Les Innocents ou Fête des Fous 16
Épiphanie 19
Chandeleur 22
Pâques 33
Ascension 38
Pentecôte 39
Fête-Dieu ou Saint Sacrement 42
Saint Jean d'été 43
Assomption 47
Toussaint 49
Jour des Morts 54
Noël 55
Des saints protecteurs aux étranges attributs… 65
Vierge Marie 67
Saint Clair (2/01) 69
Saint Bon (14/01) 70
Saint Antoine (17/01) 70
Saint Barthélémy (24/08) 72
Saint Basile (14/06) 73
Saint Blaise (03/02) 73
Saint Ennemond (28/09) 74
Saint Genest (24/08) 75
Saint Isidore (04/04) 75
Saint Jacques (25/07) 76
Saint Joseph (19/03) 77
Saint Martin (19/03) 79
Saint Marc (26/04) 81
Saint Pierre (29/06) 81
Saint Sabin (30/12) 83
Saint Sébastien (20/01) 83
Saint Ostrog (29/04) 84
Carême et Carnaval, exemples particuliers 87
Carême 88
Carnaval 91
Les rites du Mai 99
L'importance et la particularité d'un mois 101
Chantons le mai ! 104
Les rites de passage 117
La naissance 118
Le baptême 123
Le mariage 128
Les rituels mortuaires 133
Remerciements et notes 141
Bibliographie 142
Index des noms de lieux 143
Table des matières 144

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