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Nouvelle édition corrigée avec une nouvelle couverture Meurtre à Beauvallon La chance du débutant
228 pages 13 euros
26 MEURTRE(S) À... JAUJAC, RUOMS, VALENCE, LES VANS, ANNONAY, AUBENAS, NYONS, CRUSSOL, PRIVAS, DAVÉZIEUX, PEYREBEILLE, MONTÉLIMAR, CHOMÉRAC, CREST, TOURNON, VALS-LÈS-BAINS, ALISSAS, ROMANS, COUX, THUEYTS, BOURG-LÈS-VALENCE, VALLON-PONT-DARC, DIE, DANS LES BARONNIES, ETOILE, ROCHEMAURE ... |
extrait du livre
CHAPITRE I
- " C'était bien chez Laurette,
on y retournera, pour ne pas l'oublier, Laur
". Liline
? Ah mais, tu as décroché ? C'est mamá. Mets
vite la chaîne 404. Y'a une émission à propos
du chanteur qui est mort. Le chanteur Michel. Pas celui qui montre
son derrière. L'autre !
Je remerciai ma mère et éteignis rapidement mon
portable.
- Rien de grave ? me demanda mon supérieur hiérarchique.
-Non, répondis-je à l'homme qui me faisait face.
Juste l'appel d'une dame à la retraite. Depuis suffisamment
longtemps, pour inviter sa fille à regarder la télé,
à onze heures du matin.
- Ah, la retraite ! Nous n'y sommes pas encore ! dit Lebraz en
soupirant.
L'impatience d'arriver à l'automne de la vie m'a toujours
interrogée. Mais ce matin-là, je me surpris à
ne pas réprouver l'envie de retraite de mon interlocuteur.
C'est qu'il me parut soudain plus facile d'informer Paul Lebraz
de mes projets.
- Alors, Coraline, de quoi vouliez-vous me parler ? me demanda-t-il.
- De reconversion.
- Le nouveau terme à la mode ! Une véritable épidémie.
Avec Duchemin, cela nous en fait quatre. Ça va du "
Je veux me rendre utile " à " Je veux faire quelque
chose de mes mains, quelque chose de concret ". Dans moins
de deux ans, vous verrez. Ils reviendront, la queue entre les
jambes, redemander du boulot à notre belle administration.
- Sans compter " le Kid " qui demande un congé
sabbatique pour aller vivre en Nouvelle Zélande.
- Ça c'est la tuile ! répondit Lebraz. Depuis son
arrivée dans le service, ça tourne et l'ambiance
est au beau fixe.
Je pensai en souriant au jeune et sympathique Gaétan et
à sa passion pour les voitures miniatures rouges. Pour
combattre le stress, il avait pour habitude de les faire rouler
comme un enfant. D'où son surnom.
- Une année, ça finit par passer. Il finira bien
par revenir.
- Ou pas ! rétorqua Lebraz. Aussi bien, il se trouve la
femme de sa vie et reste en Nouvelle Zélande.
La suite donna raison à mon supérieur hiérarchique.
Un an plus tard, Gaétan s'installait définitivement
à Wellington.
- Et donc, Coraline, vous avez reçu nos quatre candidats
à la reconversion ? Vous avez fait le point ? Vous avez
réussi à les faire changer d'avis ?
- Pas exactement. Je dirais même que j'ai échoué
lamentablement. Bernadette est bien décidée à
travailler la terre ! Elle a l'intention de faire pousser des
céréales et des asperges. En fait, les quatre remplissent
les conditions règlementaires. Ils ont effectué
leur bilan de compétences et nous allons devoir lancer
leurs congés de formation professionnelle.
Lebraz laissa échapper un soupir.
- Il n'y a plus qu'à se résigner. Ce n'est pas grave
et
- Paul, moi aussi j'envisage de me reconvertir, lâchai-je.
Mon interlocuteur en resta coi. Il me fixa comme pour s'assurer
que j'étais bien en train de plaisanter.
- Je vous parle sérieusement, lui dis-je, pour couper court
à toute interprétation erronée.
Je rappelai à mon chef qu'il m'avait embauchée à
titre provisoire, pour remplacer le titulaire du poste.
- Mon adjoint ne s'est plus jamais manifesté ! A ce qu'il
paraît, il louerait des voiliers à la Grande Motte.
C'est même Duchemin qui me l'a dit.
- Dans ce cas, nous en sommes à cinq reconversions. Sans
compter la mienne, dis-je.
- Mais enfin, Coraline ! Ne faites pas cette sottise. Sans vous
et sans le Kid, le service ne va plus tourner du tout ! Vous voulez
vendre des bateaux, vous aussi ? Planter des salades ?
- A vrai dire, Charles me verrait bien le rejoindre dans son agence
immobilière
Et me laisser gérer les affaires courantes avec monsieur
Merlin pendant qu'il s'adonne à sa passion pour l'histoire
et la philosophie, pensais-je. En moins de temps qu'il n'en faut
pour le dire, sécurité de l'emploi, indépendance
financière et liberté de la femme me vinrent à
l'esprit. Mon chef et moi échangeâmes quelques platitudes
pour donner le change. Nous nous quittâmes sur la promesse
que je ne ferais rien d'incon-sidéré. On était
vendredi et je ne travaillais pas l'après-midi. Autant
dire que mon week-end allait bientôt commencer.
A midi, je rentrai à la maison. Au rond-point de Beauvallon, je vis le panneau qui annonçait le marché saisonnier des petits producteurs. Comme on était vendredi, justement l'un des trois jours où il a lieu, je me promis d'essayer d'aller y faire un tour. Il faut attendre le coup de sifflet pour que ce petit marché de gros devienne un marché de détail. Alors seulement, les particuliers peuvent aller faire leur emplettes et remplir leurs paniers de produits locaux : aulx, cerises, melons, asperges, abricots, salades et toutes sortes de produits de saison. Au virage de la Pauze et le Truc, une voiture qui roulait au milieu de la départementale m'évita de justesse. Je laissai échapper un bon juron. Un peu plus loin, près d'un arbre qui bordait le fossé, mon regard se posa sur une balise du tracé du pipeline Méditerranée-Rhône. Charles y fait allusion de temps en temps et m'a expliqué qu'il passait près de la maison. Je croisai aussi un joggeur qui courait comme un canard et pas du bon côté de la route. Je le traitai de crétin. Puis, je rendis justice à son courage en me disant que j'étais bien incapable d'en faire autant. En fin de compte, je me ravisai et me dis que c'était bien un crétin. Il n'était pas indiqué de courir par ce cagnard à midi. Ils l'avaient suffisamment dit et redit à la radio.
Charles avait une visite à faire et
avait emporté un sandwich. Moi, j'avais rendez-vous chez
le coiffeur. Dans la cuisine, je pris le reste de haricots verts
frais cuisinés la veille, coupai deux pommes de terre cuites,
fis revenir quelques lamelles de lard, coupai une échalote
et assaisonnai le tout d'huile de pépins de raisins et
de vinaigre balsamique. J'allai déguster ma salade liégeoise
sous la pergola. Le son d'un canon anti-grêle retentit au
loin, près des arbres fruitiers. Ce printemps 2017, à
Etoile, tout le monde scrutait le ciel. L'été avait
pris de l'avance et il faisait vraiment chaud. Mais on annonçait
des ondées pour le lendemain. Or le lendemain, ce serait
le premier week-end du mois de juin, le week-end du corso d'Etoile
que beaucoup attendaient. Je jetai un coup d'il à
mon portable et vis une notification d'appel en absence. Le numéro
commençait par 04 75. Il s'agissait donc d'un appel de
la région. J'allais écouter le message lorsque la
sonnerie retentit. Je répondis immédiatement.
- Ewen, tu as compté les kayaks ? Il ne manquerait pas
un biplace, des fois ?
- Qu'est-ce que tu dis ? demandai-je. J'avais cependant parfaitement
reconnu la voix d'Amaury, mon fils.
- Salut M'man. Je parlais à un aide
mono.
- Oui, je m'en suis doutée. Alors ? Tout se passe bien
? Tu as beau temps en Bretagne ?
- Oui et cet après-midi, je m'occupe d'un stage "
de la mort ". C'est une expression pour dire qu'on accueille
des durs. La mer moutonne, y'a du vent et ça va un peu
tabasser. Tant mieux. Ça permettra de faire de la maîtrise
de coque. Et à Etoile, ça va ?
- A Etoile, il fait chaud comme en plein mois d'août et
ce week-end, c'est le corso, dis-je, un pincement au cur.
Suivant son habitude, Charles peu adepte des fanfares, des paquitos,
des confettis, de la foule, de toutes ces choses qui transforment
la vie en plus grand cabaret du monde, ne m'accompagnerait pas
pour voir passer les chars. Quant à notre fils, il n'avait
plus l'âge d'aller à la pêche aux canards.
Il vivait désormais à Porzh Gwenn et travaillait
à l'année, à l'école de voile.
- M'man, tu vois qui est Robert ? Il va bientôt prendre
sa retraite. Ils vont avoir besoin d'un nouveau moniteur.
De toute évidence, Amaury projetait d'avoir la place. Une
certaine Nolwenn Le Camlez n'était pas étrangère
au projet de mon fils. Son brevet, l'appui du directeur et son
sérieux rendaient le projet parfaitement envisageable.
Après cet échange avec Amaury, machinalement, je
me remis à manger ma salade liégeoise. Puis je me
mis à penser au fait que j'étais en train d'en manger.
Je me demandai depuis quand cela ne m'était pas arrivé.
Peut-être en avais-je mangé la dernière fois
en compagnie de mon père. Depuis quelques mois, l'envie
me prenait parfois de l'appeler. La même chose s'était
produite avec ma tante d'Espagne. Je projetais de téléphoner
parce que j'avais quelque chose à leur dire ou bien un
truc à leur demander. Je réalisais que c'était
impossible : l'un comme l'autre sont décédés.
Pour chasser une mélancolie naissante, je décidai
de m'intéresser au message laissé sur ma boîte
vocale. Je fis la moue. Il s'agissait de mon troisième
cocu : " Madame Klême, bonjour, c'est moi. Alors, c'est
d'accord ? Vous acceptez de filer ma femme, hein ? Bon, ben, je
vous rappelle plus tard
". Le cocu de Montélimar
! Je l'avais presque oublié, celui-là. J'avais enregistré
les numéros des deux autres dans mes contacts afin de ne
plus me laisser surprendre. J'enregistrai également celui
du troisième. Je décidai de l'appeler après
avoir bu un café. J'en pris trois. Je me remémorai
l'argumentaire que j'avais préparé pour ne pas donner
suite et pensai à la façon dont j'avais congédié
les deux autres. " Je suis spécialisée dans
les affaires financières " avais-je dit au premier.
Il m'avait appelée au moment où je passais devant
la maison de la presse, non loin du kiosque Peynet, à Valence.
Un scandale financier à la une des journaux m'avait permis
d'improviser cette excuse bidon. L'homme ne s'était plus
manifesté. S'il montre autant d'entrain pour garder sa
femme que pour m'avoir comme détective, je comprends qu'il
soit cocu, m'étais-je dit. " Vous comprenez, le Vercors,
ce n'est pas mon secteur ", avais-je lancé au second.
" Mais ma sur dit que vous adorez faire de la route
! " avait-il rétorqué. " Oui, mais je
ne sais pas conduire en montagne et ma voiture souffre dans les
virages " avais-je expliqué. Pour me débarrasser
du troisième, j'avais conçu de mentir par inversion
: je jouerais la détective qui songe à se reconvertir
dans quelque administration. J'attrapai mon portable, bien décidée
à appeler le type de Montélimar, mais la sonnerie
retentit à nouveau. Encore un numéro inconnu. Un
04 75. Je fis la moue. Vous alliez voir que c'était un
quatrième cocu.
- Allô ! Madame Klême ?
- Elle-même, dis-je.
- Mon nom ne vous dira rien, Je m'appelle Géraldine Decoste.
Je me permets de vous appeler. C'est madame Grawscki qui vous
a recommandée.
- Madame Grawscki ?
- Oui. La femme d'un gendarme qui vous connaît.
L'adjudant-chef n'avait plus de femme ! Si lors de notre première
rencontre, Grawscki n'avait pas eu son pareil pour m'agacer, par
la suite, il s'était considérablement rattrapé.
Aussi, par amitié et par discrétion, je m'abstins
de dire à la menteuse que madame Grawscki s'était
barrée, depuis belle lurette.
- Elle fait du fitness avec moi, à Etoile, tous les mardis.
Elle dit que son mari ne tarit pas d'éloges à votre
sujet et que vous êtes la personne qu'il nous faut.
- Vraiment ! fis-je.
Je ne pus m'empêcher de savourer ces propos. Puis ça
me fit le tour ! Comment cette femme et les trois cocus s'étaient-ils
procurés mon numéro de portable ? Je ne manquai
pas de poser la question à la menteuse.
- Mais c'est monsieur Grawscki qui l'a donné à sa
femme ! me répondit mon interlocutrice.
J'eus soudain la conviction que la femme ne mentait pas. Je ne
saurais dire ce qui m'étonna le plus. Que la femme se fût
rabibochée avec son militaire de mari ou que ce dernier
me recommandât.
- Et que puis-je faire pour vous ? demandai-je.
- C'est pour une enquête. Je voudrais vous rencontrer pour
en parler.
Je répondis par l'affirmative après avoir regardé
l'heure. J'étais presque en retard à mon rendez-vous
chez le coiffeur. Je calculai que j'en aurais bien pour deux heures
trente. Le temps de faire les racines, de revoir ma coupe au carré
et de faire un brushing.
- Merci Madame Klême. Ça vous dérange, si
je viens avec mes deux enfants ?
Nous convînmes de nous retrouver chez moi en fin d'après-midi.
Avant d'aller me faire bichonner la tête, j'appelai le cocu
de Montélimar. Je lui demandai comment il s'était
procuré mon numéro de portable.
- On m'a dit que vous étiez la femme du patron de l'agence
Klême d'Etoile. C'est monsieur Merlin qui me l'a donné.
Ainsi, l'employé de Charles jouait les secrétaires.
Voilà qui me souffla un meilleur argument pour me débarrasser
du cocu numéro trois.
- Je suis désolée monsieur, mais voyez-vous, je
travaille seule, sans associé ni véritable secrétaire.
Là, je suis sur une affaire qui me prend tout mon temps.
Je ne croyais pas si bien dire. Grâce à Géraldine
Decoste, ce mensonge n'allait pas tarder à ne plus en être
un.