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Á Propos de " Crime à Crest, les gendarmes sont au parfum "
René. - Vous étiez professeur de lettres, pourquoi
vous décidez-vous, à presque 70 ans, à écrire?
Chris. - Pour deux raisons :
1° Longtemps j'ai été paralysée par la
grandeur des auteurs qui ont été mon quotidien depuis
que j'ai appris à lire. D'Andersen à Proust, de
la Comtesse de Ségur à Agatha Christie, de Connoly
à Chevillard, de Rabelais à Céline, qu'avais-je
à faire, sinon me taire ou lire ?
2° Pendant les 40 ans que j'ai passés sur une estrade,
je n'avais guère de répit entre les préparations,
les corrections et la vie de femme, de mère, de fille,
d'amie.
Je vais citer ma vieille amie Anne Pierjean. Á J.J. Bonbon
qui lui demandait pourquoi elle publiait si peu, elle répondit
" C'est que moi je n'ai pas de monsieur Anne Pierjean pour
me faire cuire le rôti "
En réalité, je n'étais pas tenaillée
par le désir de m'exprimer, encore moins de me raconter
!
R. - Mais alors, mais alors, ça a quand même bien
dû commencer un jour.
C. - Á 40 ans j'ai eu envie de faire un stage avec le C
R A P, cercle de recherche et d'action pédagogique. Dans
les activités proposées, il y avait un atelier d'écriture.
Je m'y suis essayée avec une certaine facilité et
beaucoup de plaisir. Mais j'ai compris que je ne pourrai jamais
écrire sur moi, sur la douleur d'avoir perdu notre fils,
j'étais condamnée à la fiction car chaque
"je" ferait immanquablement resurgir l'insoutenable.
Je décidais de faire de cette expérience une occasion
de mieux comprendre de l'intérieur, les écrivains
que je m'échinais à faire aimer à mes élèves.
R. - Flaubert, c'était vous ?
C. - Disons que lorsque, dans une nouvelle, j'essayais de dire
le passage du temps ou le statut du paysage, ou la démarche
d'un personnage, j'avais par la suite plus de légitimité
pour expliquer Balzac, Zola ou Hugo. Par contre en poésie
j'étais assez nulle car, à part Ponge et Jaccottet,
je ne lisais, je ne lis pas de poésie.
R. - Donc de 40 ans à 68 ans vous n'avez rien écrit,
de quoi se rouiller la plume et les neurones !
C. - Non, j'avais découvert mon violon d'Ingres, pendant
15 ans j'ai participé à des ateliers d'écriture
au cours desquels j'ai noirci des tonnes de papier dont quelques
grammes en forme de nouvelles ont réchappé !
R. - Publiées, les nouvelles ?
C. - Si on veut, dans quelques revues confidentielles, lors d'obscurs
concours. Je n'ai pas de talent mais du savoir-faire et la capacité
de raconter des histoires brièvement. Disons que mon maître
en la matière est plutôt Jules Renard que Hugo.
R. - On est toujours dans le " je voudrais bien mais j'ose
point ". Comment est-on passé de cette littérature
virtuelle à " Crime à Crest " ?
C. - Il y a eu la rencontre avec l'informatique et Christiane
Ballaré. Cette dernière, la petite Cris, la Grabote,
m'a appris à me servir du traitement de texte et a fait
la maquette de mon premier ouvrage " Les recettes de La Feignasse
", un livre auto-édité qui se moque de la vague
" je cuisine, donc je suis " et qui a reçu, dans
mon petit cercle, un accueil chaleureux et rigolard.
R. - Les recettes de cuisine sont très tendance dans les
polars mais nous sommes quand même à mille lieues
de la série noire.
C. - Je suis une lectrice frénétique de polars et
très secrètement, c'est ce que je voulais écrire.
Deux éléments ont déclenché la chose.
Un atelier d'écriture dédié au polar et l'arrivée
dans ma rue, la rue Nancy Bertrand, d'une jeune, jolie et sympathique
lieutenant de gendarmerie. Dès la première heure
du stage, elle s'est imposée comme mon enquêtrice,
comme s'est imposé le cadre, Crest, la ville où
nous avons choisi de vivre il y a 40 ans.
R. - Un cadre, un personnage, cela ne suffit pas, il fallait une
victime, comment l'avez-vous choisie ?
C. - N'en déplaise aux bonnes âmes, Crest recèle
dans ses charmantes ruelles, bien des trafics de shit, voire de
drogue plus dures et j'ai eu envie de tuer un dealer. Mais, la
seule drogue que je connaisse c'est le tabac, alors j'ai inventé
une autre histoire, à laquelle en tant que femme je puisse
adhérer avec mes tripes.
R. - Oui, mais il y a bien d'autres éléments dans
ce " Crime ", d'aucuns parleraient de mosaïque,
plutôt que d'enquête.
C. - Absolument, il y a tout ce qui fait l'ordinaire d'une gendarmerie
d'un bourg campagnard : les vols, les cambriolages, les bagarres
entre ivrognes. Je suis issue d'une lignée de " flics
" et j'ai voulu rendre hommage à cette gendarmerie
qui est pour moi un humanisme. C'est ce que va apprendre ma lieutenant
en même temps qu'elle apprendra à goûter le
charme des ruelles et des bords de Drôme sous le regard
bienveillant de la Tour et des Trois Becs.
R. - Encore un mot. Y a-t-il pour vous une écriture particulière
au polar ?
C. - Oui et non, l'écriture qu'elle qu'elle soit, professionnelle
ou fictionnelle, requiert le mot juste. Je n'emploie pas les mêmes
mots pour un petit voyou, un proviseur ou une mère au foyer.
Pour vous convaincre, relisez La guerre des boutons, " J'aurai
su, j'aurai pas venu " que Louis Pergaud écrivit en
1912. J'aurais bien d'autres exemples, mais je ne voudrais pas
faire preuve de pédantisme, ce à quoi, ma foi, je
n'aurais que trop tendance !
Note de l'éditeur : Chris Escot a publié aussi
LES RECETTES DE LA FEIGNASSE. 60 pages que nous pouvons vous expédier
: 9 euros + 5 euros de frais de port forfaitairement. Pensez à
grouper vos commandes. Frais de 5 euros quel que soit le nombre
de livres ou de titres demandés !