Pages choisies en commémoration de la première édition de 1600. Un véritable chef-d'oeuvre que nous recommandons à tous nos internautes. Le premier livre sur l'écologie par le père de l'agriculture française ! 15 euros à parution + 5 euros port = 20 euros |
Extrait
Avant-Propos
Comment ne pouvions nous pas honorer un des plus grands penseurs
de l'Ardèche ? Quel auteur peut s'enor-gueillir d'être
lu quatre cent ans après la parution d'une de ses uvres.
La Bouquinerie ayant entrepris un reti-rage des meil-leures pages
du Théâtre d'Agriculture et Mesnage des champs, il
m'a été attribué l'insigne honneur de vous
parler du Seigneur du Pradel.
Olivier de Serres est considéré comme le père
de l'agri-culture française. Ce qualificatif peut paraître
surprenant mais c'est une réalité. Ami lecteur,
je vais essayer dans cette introduction, de vous le démonter.
Quelle ne fut pas ma surprise, voilà quelques années
de voir arriver dans mon magasin de livres anciens un amateur
éclairé qui recherchait une édition ancienne
d'Olivier de Serres. Il m'expliqua que pour lui, agronome en Afrique,
cet ouvrage écrit en 1600, il y a tout juste 400 ans, était
une
bible ! Il tenait à posséder ce livre
dans une édition ancienne car connaissant le texte presque
par cur, et l'ayant appris dans une édition courante,
il voulait se replonger dans le temps d'Oliver de Serres. Il m'expli-qua
que toute la science agricole était résumée
dans cet ouvrage et qu'il l'utilisait à la lettre dans
son pays, en Afrique, où le mot faim veut malheureusement
toujours dire quelque chose.
Cette petite histoire me fit alors comprendre l'univer-salité
de ce grand bonhomme, si humble, ami d'un roi, qui cultivait sa
terre, cette terre ardéchoise si chère à
mon cur.
Si le libraire que je suis, et expert en livres anciens ne vibre
qu'en touchant des livres rares et précieux, il sait aussi
en apprécier le contenu. Dans la mythique et rarissime
édition du Théâtre d'Agriculture et Ménage
des Champs datée de 1600, c'est aussi toute l'histoire
de notre humanité qui est écrite.
En effet, si nous allons basculer dans le troisième millé-naire,
si nous pouvons toucher du doigt les planètes lointaines
et les confins de l'univers, l'homme dépend encore de la
terre pour se nourrir.
Dans les huit livres du Théâtre d'Agriculture, Olivier
de Serres a résumé, l'histoire de l'agriculture
mais aussi notre histoire.
Écologiste avant l'heure, par le respect de sa terre, il
est d'une modernité qui défie le temps.
Expert laboureur, il n'écrivait pas pour le paysan dont
la majorité était bien incapable de lire. Son "
mesnager " s'adresse au gros propriétaire terrien,
cette noblesse cam-pa-gnarde qui voulait accroître et consolider
sa fortune ances-trale.
Mais étudions de plus près la vie de notre homme.
Né en 1539 à Villeneuve-de-Berg en Vivarais, appelé
aujourd'hui Ardèche mais Helvie aux temps des Romains,
il appartient par son père, Jacques de Serres, à
une longue lignée vivaroise.
Il étudie à Valence avec ses frères Jean
et Raymond. Dans la fameuse université fondée par
Louis XI en 1452, il acquiert une solide culture générale
qui lui permet de lire le grec et le français comme en
atteste les livres de sa belle bibliothèque.
Le 15 janvier 1559, il épouse Marguerite d'Arcons, fille
du juge en Viguerie de Villeneuve-de-Berg, Jacques d'Arcons. Il
devient seigneur du Pradel et aura bientôt sept enfants.
Il entreprend de remettre en valeur ses terres qui ont été
dévastées par les longues guerres de religion. Si
Olivier de Serres est protestant, il aura a cur de ne pas
prendre position et de concilier tous les esprits en ces périodes
troublées. Sa maison est même choisie comme lieu
de négociation. Il apparaît " souriant, de sang-froid,
conci-liant, non seulement poli pour les adversaires mais amical.
Quand il écrit au syndic des États catholiques,
il signe : " du Pradel, vostre maison. "
Gentilhomme rural, amoureux de son petit pays, il uvre au
redressement de la France entrepris par Henri IV dès 1594.
Toute l'économie nationale ou presque repose sur l'agriculture
et il est grand temps de moderniser les façons de faire.
Olivier de Serres (qui signe des Serres) transforme ses pro-priétés.
Ses vastes connaissances font vite prospérer son domaine
qui devient un exemple. Le " désert et misé-rable
lieu " devient une " riche et commode demeure ".
Il expérimente au Pradel en se servant de sa science agricole
basée sur la lecture mais aussi sur ses voyages et son
sens profond de l'observation.
Il allie admirablement expérience et pratique. Ce n'est
pas un simple théoricien mais un paysan avisé qui
fait fructifier son bien.
Prudence et sagesse sont les maîtres mots de cet agricul-teur
hors pair qui prit pour devise : " Science, expérience
et diligence ".
En 1599, il publie : " La cueillette de la soye, par la nourriture
des vers qui la font
". Ce traité sera un des
chapitre du Théâtre. Olivier de Serres le considère
comme un des plus important : " Les expériences que
j'ay fait en ce mesnage chez moy, depuis plus de trente-cinq ans
et la soye que je cueil par chacun an, me donnent matière
à vous dire librement mon avis sur ce sujet. "
Mais c'est en juillet 1600 que sort chez Mettayer, le Théâtre
d'agriculture et Mesnage des champs. Rappelons qu'au XVIe siècle,
le mot mesnage signifie encyclopédie. Le titre est une
vignette gravée sur bois représentant la cour d'une
ferme. Dans la cour, des animaux domestiques les plus communs
: le buf, le porc, les poules. Dans le bâtiment central,
une femme battant le beurre dans une baratte. Devant la porte,
une charrue à roues. Sur l'aire de la grange, on bat au
fléau. Près du puits, une paysanne tire de l'eau
dans l'auge pour abreuver les bêtes. Dans le lointain, le
pigeonnier
Sur plus de 1000 pages, en 8 lieux (chapitres), il aborde toutes
les questions de la vie rurale. 1. Choisir ses terres. 2. Le labourage.
3. La culture de la vigne, le vin. 4. Le bétail à
4 pattes. 5. Le poulailler, l'étang, les ruches, les vers
à soie
6. Le jardin potager : fruits, légumes,
fleurs
7. L'eau et le bois. 8. Les aliments.
Voici sommairement esquissé l'ensemble de cette somme qui
eut un retentissement extraordinaire en France mais aussi dans
toute l'Europe. Sept éditions parurent du vivant de l'auteur.
C'était la gloire pour le seigneur du Pradel. Ne dit-on
pas que, chaque jour après le dîner, le bon roi Henri
IV se faisait apporter le Théâtre d'Agri-culture
pour le lire pendant une demie heure.
Outre les travaux des champs, on y trouve encore une foule de
texte que certains classeraient en lettres classiques à
côté de Montaigne et même certaines en philosophie.
Oliviers de Serres fut bien entendu un humaniste qui n'a pas obtenu
le mérite qu'il méritait surtout pas dans sa patrie
le Vivarais.
De 1619, date de la mort de l'auteur à 1675, ce ne sont
pas moins de 11 rééditions qui se succèdent.
C'est ensuite un long oubli jusqu'à la Révolution.
Arthur Young, de passage en France de 1787 à 1789 visita
le Pradel avec grande émotion. C'est lui qui remit Olivier
de Serres à l'honneur !
En 1802, paraît la 20e édition retranscrite en français
" moderne ". La fameuse édition de 1804 en 2
volumes, commanditée par le futur Napoléon, sera
mise d'office dans les bibliothèques de tous les départements.
Quatre siècles plus tard, il convenait pour notre modeste
part de rendre hommage à ce grand monsieur.
Cette édition, sélection des meilleures pages, doit
être le quaran-tième tirage des uvres du maître
du Pradel, si notre décompte est bon. Ce ne sera certainement
pas la dernière.
À l'aube du XXIe siècle, des mutations technologiques,
de la vache folle et du maïs transgénique, espérons
que l'enseignement d'Olivier de Serres soit encore écouté,
lui qui plaçait l'amour de la nature à la première
place.
René Saint-Alban,
Valence, 8 février 2000
Introduction
AU ROI. SIRE,
Ces excellents et héroïques titres, de Restaurateur
et Conservateur de son Royaume, que Votre Majesté s'est
glorieusement acquis par la Paix générale, sont
les effets de vos saints vux et souhaits ; et des grâces
particulières dont Dieu vous a orné et décoré
: qui, ayant béni vos labo-rieux travaux, vous a donné
ce contentement, que de venir à bout de si grande uvre,
contre l'attente de tout le monde, à l'honneur de votre
fleurissant nom, et très grand profit de votre peuple,
lequel par ce moyen demeure en sûreté publique, sous
son figuier, cultivant sa terre, comme à vos pieds, à
l'abri de Votre Majesté, qui a à ses côtés
la Justice et la Paix. Ainsi, votre peuple, Sire, délivré
de la fureur et frayeur des cruelles guerres, lorsqu'il était
comme sur le bord de son précipice, et jouissant main-tenant
par votre moyen, de ce tant inestimable bien qu'est la Paix, c'est
aussi à Votre Majesté, à laquelle après
Dieu, il a à rendre grâces, de sa vie, de son bien,
de son repos : comme à son Père, son Bienfaiteur,
son Libérateur.
Étant donc passées ces horribles confusions et désordres,
et revenu ce bon temps de Paix et de Justice, par le bonheur de
votre règne, lequel de sa clarté, comme soleil levant,
a dissous tous ses nuages. De même est arrivée la
saison de publier ces miennes observations sur l'Agri-culture
: à ce que servant d'adresse à votre peuple pour
cultiver sa terre, avec tant plus de facilité il se puisse
remettre de ses pertes, que plus de soulagement on reçoit
par le secours opportunément employé.
Plus tôt n'eut été convenable : car à
quel propos vouloir enseigner à cultiver la terre en temps
si désordonné, lorsque ses fruits étaient
en charge même à ceux qui les recueillaient, pour
crainte d'en fomenter leur ruine, ser-vant de nourriture à
leurs ennemis ? Une autre considé-ration m'a fait résoudre
à ceci : c'est le service que je dois à Votre Majesté,
comme son naturel sujet. Il est dit en l'Écriture Sainte,
que le Roi consiste, quand le champ est labouré : dont
s'ensuit que procurant la culture de la terre, je ferai le service
de mon Prince : ce que rien tant je ne désire afin qu'en
abondance de prospérité Votre Majes-té demeure
longtemps en ce monde. Et d'autant, Sire, que pour l'établissement
du repos de vos sujets avez tant pris de peine et surpassé
tant et de si diverses et épineuses difficultés,
et qu'ensuite de vos louables inten-tions, dési-rez les
voir pourvus de toutes sortes de biens pour commo-dément
vivre, ce me fait espérer que mes discours, tendant à
ce but, vous seront agréables : et qu'il plaira à
Votre Majesté, à laquelle avec toute humilité
et révérence, je les consacre, les recevoir d'un
il favorable.
Ils ne contiennent que Terre et Labourage ; si ne sont-ils pourtant
abjects et contemptibles, mais de très grande importance
: car rien de plus grand ne se peut présenter aux hommes,
que ce qui les achemine à la conservation de leur vie.
Il y a de plus, Sire, que c'est parler à Votre Majesté
de ses propres affaires parce que votre Royaume qui tient le plus
signalé rang en la terre universelle, étant terre
sujette à culture, mérite d'être cultivé
avec art et industrie, pour lui faire reprendre son ancien lustre
et splendeur, que les guerres civiles lui avaient ravi.
Moyennant lequel traitement et la bénédiction céleste,
par le bon ordre que déjà y avez établi,
tôt reprendra-t-il son ancien bon visage : si bien que tous
vos sujets auront matière de prier Dieu pour votre longue
et prospère vie ; et vos voisins occasion d'admirer la
grandeur et excellence de votre esprit, et la magnanimité
invin-cible de votre courage ; d'avoir si bien et si tôt
remis et rétabli les choses tant désespérément
détraquées.
Témoignage évident de la singulière faveur
de Dieu envers vous, qui vous ayant constitué en ce trône
royal de vos ancêtres, vous y affermira et les vôtres,
pour de longues années, bénissant votre sage conduite,
dont la renommée s'en assurera à la postérité,
et en seront vos jours comptés entre les plus heureux de
tous les siècles. Ainsi que très humblement le supplie
SIRE,
Votre très humble, très fidèle et très
obéissant serviteur et sujet,
Olivier de Serres.
À Paris, ce premier jour de mars mil six cents.
PRÉFACE
Comme la terre est la mère commune et nourrice du genre
humain, et que tout homme désire y vivre commo-dément,
de même il semble que la Nature ait mis en nous une inclination
à honorer et faire cas de l'agriculture, parce qu'elle
nous apporte libéralement une grande abondance de tout
ce dont nous avons besoin pour notre nourriture et notre entretien.
D'où il provient que, comme l'on représente soigneu-sement
par écrit ce que l'on aime, il n'y a pas d'ouvrages plus
anciens ni en plus grand nombre, que ceux qui traitent de l'Agriculture.
On peut le voir par le grand nombre des Auteurs, qui, en tous
siècles et en toutes nations ont travaillé en cette
matière excellente et admirable, à cause de l'infinité
des biens exquis et divers que, par elle, Dieu donne à
ses enfants.
Pour preuve, il est aussi à remarquer que, bien que la
redite d'une même chose ait accoutumé d'être
importune et ennuyeuse et qu'à grand peine l'on puisse
rien dire qui n'ait déjà été dit,
alors même qu'il serait couché en d'autres termes,
néanmoins, tout ce qui a été écrit
sur ce sujet a été bien accueilli de tous, selon
la mesure de l'esprit et la beauté de l'ouvrage.
Outre cette considération générale, une autre,
particu-lière, m'a fait entreprendre ce labeur. Mon inclination
et l'état de mes affaires m'ont retenu aux champs, en ma
maison, et fait passer une bonne partie de mes meilleures années,
durant les guerres civiles de ce Royaume, cultivant la terre par
mes serviteurs comme le temps l'a pu porter. En quoi Dieu m'a
tellement béni par sa sainte grâce, que m'ayant conservé
parmi tant de calamités dont j'ai senti ma bonne part,
je me suis comporté de telle sorte, parmi les diverses
humeurs de ma Patrie, que ma maison a été plus logis
de paix que de guerre, quand les occasions s'en sont présentées
. J'ai rapporté ce témoignage de mes voisins qu'en
me conservant avec eux, je me suis principalement adonné
chez moi à faire mon ménage.
Durant ce misérable temps-là, à quoi eussé-je
pu mieux employer mon esprit qu'à rechercher ce qui convient
à mon humeur ? Soit donc que la paix nous donnât
quelque relâche, soit que la guerre, par diverses rechutes
m'imposât la nécessité de garder ma maison,
et que les calamités publiques me fissent chercher quelque
remède contre l'ennui, trompant le temps, j'ai trouvé
un singulier contentement, outre la doctrine salutaire de mon
âme, à la lecture des livres de l'Agriculture.
J'y ai, par surcroît, ajouté le jugement de ma propre
expérience. Je dirai donc librement, qu'ayant souvent et
soigneusement lu les livres d'Agriculture, tant anciens que modernes,
et, par expérience, observé quelques choses qui
ne l'ont pas encore été, que je sache, il m'a semblé
de mon devoir de les communiquer au public, afin de contribuer
pour ma part au vivre des hommes.
Mon intention est de montrer, si je peux, brièvement et
clairement, tout ce qu'on doit connaître et faire pour bien
cultiver la terre, afin de vivre commodément avec sa famille
selon le naturel des lieux, auxquels on s'habitue.
Il est plus aisé de souhaiter, que de rencontrer, un lieu
aux champs, accompli en toutes commodités, c'est-à-dire
qui soit bon et beau, où le ciel et la terre s'accordent
ensemble, portant à l'homme tout ce qu'il pourrait désirer
pour vivre plantureu-sement.
Celui qui est en délibération d'acheter quelques
terres est autrement privilégié que ceux qui en
ont par héritage, puisqu'avec son argent, il peut choisir
et acquérir et qu'il serait malavisé, ayant à
choisir, de prendre le pire.
Qu'il soit sûr, néanmoins, de ne pouvoir jamais trouver
un lieu (quelque recherche et choix qu'il en fasse), entiè-rement
accompli pour tout ce qui peut y être désirable.
C'est pourquoi ceux qui aiment l'Agriculture doivent premiè-rement,
chacun en ce qui le concerne, bien connaître la qualité
et la nature particulière de leur terre, pour l'aider par
industrie à concevoir et enfanter ses fruits, selon qu'elle
en est diversement capable. L'art avec la diligence tire des entrailles
de la terre (comme d'un trésor infini et inépuisable)
toute sorte de richesses ; et il ne faut pas douter que quiconque
voudra la cultiver soigneusement ne reçoi-ve en fin de
compte une digne récompense du temps et des soins qu'il
y aura employés, quelque part que ce soit.
C'est donc mon but de persuader au bon père de famille
de se plaire en sa terre, de se contenter de ses qualités
naturelles, de ne pas en détester ni rejeter les incommo-dités
avec mépris et dédain, mais de s'efforcer à
la rendre, avec le temps, par son industrie et sa continuelle
diligence, ou plus fructueuse ou moins incommode.
Science plus utile que difficile, pourvu qu'elle soit com-prise
selon ses principes, appliquée avec raison, conduite par
expérience et pratiquée avec diligence. Car la som-maire
description de son usage est : Science, Expérience, Diligence.
Le Ménager doit savoir ce qu'il a à faire, connaître
la coutume des lieux où il vit, et mettre la main à
la besogne, en la saison la plus favorable à chaque labeur
champêtre.
Il y en a qui se moquent de tous les livres d'Agriculture et nous
renvoient aux paysans sans lettres, disant qu'eux seuls peuvent
être des juges compétents en cette matière,
puisqu'ils se fondent sur l'expérience, seule règle
sûre, pour cultiver les champs.
J'avoue, avec eux, que discourir sur le Ménage cham-pêtre
seulement d'après les livres, sans connaître les
usages particuliers du pays, c'est bâtir en l'air et se
morfondre en vaines et inutiles imaginations. J'entends assez
qu'on apprend, des bons et experts laboureurs, le moyen de bien
cultiver la terre ; mais ceux qui nous renvoient à eux
seuls, ne me confesseront-ils pas qu'entre les plus expérimentés,
il y a divers jugements et que leur expérience ne peut
être bonne sans raison ? Aura-t-on plus vite fait de sonder
tous les cerveaux des paysans et d'accorder leurs opinions, non
seulement différentes, mais bien souvent contraires, que
de lire en un livre la raison jointe avec la pratique, pour l'appliquer
avec jugement selon le sujet, par l'aide et l'adresse de la Science
et de l'usage réunis ? Cette même raison ne sert-elle
pas de livre au paysan ?
Certes, pour bien faire une chose il faut la bien compren-dre
premièrement. Il coûte trop cher de refaire une besogne
mal faite, surtout en agriculture où l'on ne peut perdre
les saisons sans grand dommage.
Or, qui se fie à l'expérience générale,
au seul témoigna-ge des laboureurs, sans savoir pourquoi,
il est en danger de faire des fautes mal réparables, et
s'égarer souvent à travers champs sur la foi de
ses expériences incertaines ; de même qu'en médecine,
les Empiriques, alléguant aussi l'expérience, prennent
souvent le talon pour le cerveau, se servant d'un même emplâtre
pour toutes les maladies. Et qui ne voit que l'expérience
des laboureurs non lettrés est grandement aidée
par la raison des doctes écrivains de l'Agriculture ?
L'Art est un recueil de l'Expérience, et l'Expérience
est le jugement et l'usage de la Raison. À cela servent
les écrits des Doctes, que ce qui est infini et incertain
par la recherche de divers jugements, est fini et certain par
les règles de l'Art, façonnées par la longue
observation et expérience des choses nécessaires
à cette vie. Si nous prisons les arts en tous sujets, combien
plus cette science nous doit être recommandable qui est
la plus nécessaire au genre humain, et sans laquelle l'homme
ne peut vivre. Et combien plus sa démonstration doit être
solide et claire, puis-qu'elle parle si naïvement au Livre
de Nature, par effets si manifestes que la Raison s'y fait voir
à l'il et toucher à la main ?
Il apparaît donc que la science de l'Agriculture est comme
l'âme de l'Expérience. Elle ne peut être oisive,
si elle doit être reconnue vraiment comme Science, car de
quoi servirait d'écrire et de lire des livres d'Agriculture
sans les mettre en usage ? La Science, ici sans usage , ne sert
à rien, et l'usage ne peut être assuré sans
Science.
Comme l'usage est le but de toute louable entreprise, ainsi la
Science est l'accès au vrai usage, la règle et le
compas de bien faire. C'est la liaison de la Science et de l'Expérience.
Je leur ajoute pour compagne la Diligence, afin que notre Ménager
ne pense pas devenir riche par discours et remplir son nid ayant
les bras croisés, car nous demandons du blé au grenier,
non en peinture.
Nul bien sans peine. C'est de l'ordonnance ancienne, exposée
par Columelle et vérifiée dans ses effets, que,
pour faire un bon ménage 1, il est nécessaire de
joindre ensemble le Savoir, le Vouloir, le Pouvoir.
ICI EST FACILEMENT REPRÉSENTÉ L'ART DE BIEN EMPLOIER ET CVLTIVER LA TERRE EN TOVTES SES PARTIES, SELON SES DIVERSES QVALITES ET CLIMATS, TANT PAR LA DOCTRINE DES ANCIENS ET MODERNES, QVE PAR L'EXPERIENCE. DE DRESSER LA MAISON, DE L'AVGMENTER EN REVENV, DE BIEN CONDVIRE LA FAMILLE ; ET ICELLE POVRVOIR DE TOVTES CHOSES VTILES ET NECESSAIRES POVR LE VIVRE ET VESTVRE, LA CONSERVATION DE LA SANTE, LA GVERISON DES MALADIES, PLAISIR ET DELECTATION, MESME POVR LA CHASSE, ET AVTRES LOVABLES EXERCICES DV GENTIL-HOMME.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-Propos 5
AU ROI. 11
SIRE, 14
PRÉFACE 15
LIVRE I 25
BIEN CONNAÎTRE ET CHOISIR SES TERRES 25
Sortes et qualités des terres. 25
Excellence de la bonne ménagère. 30
Qualités du bon ménager. 31
Direction du personnel. 32
LIVRE II 41
DU LABOURAGE DES TERRES À GRAINS 41
Mise en état et amélioration des terres. 41
Asséchement des terres. 42
Drainage par " pieds de gélines ". 43
Amendements. 44
Travaux d'ameublissement du sol. 44
Labourage des terres à grains. 45
Les animaux de labour. 48
Saisons pour labourer la terre. 50
Le fumier. 53
Engrais verts, amendement et engrais. 53
Des semences. 55
Des semailles. 56
Des moissons. 58
Battage et Dépiquage des grains. 59
De la garde des blés et de leur débite. 61
LIVRE III 66
DE LA CULTURE DE LA VIGNE 66
Excellence du vin. 66
Emplacement du vignoble. 69
Choix du complant. 71
Variété des cépages et disposition de la
vigne. 72
Entretien d'une vigne nouvelle. 75
Vignes hautaignes . 76
Fumure de la vigne. 77
Préparation des vendanges. 77
Epoque des vendanges. 78
Foulage et pressurage. 79
Cuvage des vins. 80
L'usage des vins pour la boisson et pour la vente. 81
Boissons artificielles. 83
LIVRE IV 87
DU BETAIL À QUATRE PIEDS 87
Utilité et nécessité du bétail. 87
Louange de la prairie. 88
Etablissement d'une prairie. 89
Des vieilles prairies. 92
De la luzerne. 93
De l'esparcet (sainfoin). 94
Des vesces. 95
Importance du choix d'une race. 96
Portrait du taureau et de la vache. 96
Règles d'alimentation. 97
Laiterie et Fromagerie. 98
Dompter les jeunes bufs. 100
Les chevaux et juments. 102
Les moutons et brebis. 105
Des pourceaux. 107
LIVRE V 112
LA POULAILLE TERRESTRE ET AQUATIQUE EN GENERAL ET SON LOGIS 112
Le coq et la poule. 112
Couveuse artificielle. 113
La poulaille d'Inde. 114
Le paon. 114
Les oies. 115
Les canes. 116
Le pigeonnier ou colombier. 116
Les lapins. 119
L'étang, le pêcher, le vivier. 120
Le rucher et la nourriture des mouches à miel. 122
Murs des abeilles. 124
Le gouverneur du rucher. 125
Le ver à soie. 127
Sortes de mûriers et leurs caractères. 133
Logis des vers à soie. 134
La semence des vers à soie. 134
Maladies des vers à soie. 135
Règles pour nourrir les vers à soie. 135
LIVRE VI 142
DES JARDINAGES 142
Mise en état de la terre pour le jardinage. 146
Ordonnance du jardin potager. 147
Ennemis des jardins. 149
Les raves. 149
Huile de navette. 150
Betterave et salsifis. 150
Les melons. 152
Cloches à melons. 152
Le jardin bouquetier. 153
La " cartoufle ". 156
Herbes pour bordures et compartiments du parterre. 159
Fleurs pour le jardin bouquetier. 161
Emploi des herbes et fleurs. 161
Le jardin médecinal et son ordonnance. 166
Le tabac. 169
Le jardin fruitier. 169
La pépinière. 171
Plantation des arbres fruitiers. 172
Le poirier. 172
Gouvernement général et culture des arbres fruitiers.
173
Conduite des branchages. 174
Lutte contre les ennemis. 175
Les cloisons. 176
LIVRE VII 180
DE L'EAU ET DU BOIS 180
Les eaux en général. 181
Canaux d'arrosage. 182
Les fontaines souterraines et eaux cachées : la manière
de les mettre en évidence, leur conduite par tuyaux couverts.
183
La chante-pleure (ou siphon). 185
Du puits. 186
Les citernes. 186
Les bois en général. 188
La forêt ou bois de haute futaie. 191
Récolte des feuillages et brindilles. 192
LIVRE VIII 197
DE L'USAGE DES ALIMENTS 197
La femme fait ou défait la maison. 198
Qualité et diversité des pains. 199
Les vins et leur gouvernement. 202
Des provisions. 203
La façon des confitures (conserves). 205
Le cotignac. 206
Gelée de cerises. 207
L'entretien du linge et des ustensiles de cuisine. 208
Distillations et autres préparations pour la guérison
des maladies. 210
De la chasse et autres honnêtes exercices. 212
Vie ornée et utile du bon ménager. 213
CONCLUSION 215
TESTAMENT D'OLIVIER DE SERRES 218
BIBLIOGRAPHIE 219
I. Les sources d'olivier de serres 219
II. Ouvrages d'Olivier de Serres 224
III. Documents et ouvrages concernant Olivier de Serres 228
extrait
PREMIER LIEV DV THEATRE D'AGRICVLTVRE, ET MESNAGE DES CHAMPS.DV DEVOIR DV MESNAGER,
C'est à dire, De bien cognoistre & choisir les Terres,
pour les acquerir & emploier selon leur naturel. Approprier
l'habitation Champestre, & ordonner de la conduite de son
MESNAGE. SOMMAIRE DESCRIPTION du premier Lieu, auquel le père
de famille est instruit à s'acquerir & bien accommoder
la terre qui le doit nourrir : & par conséquent,
D'en bien cognoistre le naturel.
Chap. I.
D'en faire bon chois. Chap. II.
De la bien mesurer. Chap. III.
De la disposer selon ses qualités. Chap. IV.
Dresser ou approprier son logis,
Pour y habiter commodément avec les siens. Chap. V.
Bien conduire sa famille : & par ainsi,
Se comporter sagement & dedans & dehors sa maison. Chap.
VI.
Sçauoir les saisons ; Chap. VII.
Façons du Mesnage. Chap. VIII.
LIVRE I
BIEN CONNAÎTRE ET CHOISIR SES TERRES
Sortes et qualités des terres.
Le fondement de l'Agriculture est la connaissance du naturel des
terroirs que nous voulons cultiver, soit que nous les possédions
de nos ancêtres, soit que nous les ayons acquis : afin que
par cette adresse nous puissions manier la terre avec l'artifice
requis ; et qu'employant à propos et argent et peine, nous
recueillions le fruit du bon ménage que tant nous souhaitons
; c'est-à-dire contente-ment avec modéré
profit et honnête plaisir.
Par là donc, nous commencerons notre ménage et nous
dirons qu'on remarque plusieurs sortes de terres, différant
entre elles par diverses qualités et qu'on peut difficilement
toutes bien représenter. Mais, pour éviter la confusion
qui naîtrait de leur grand nombre, nous les distinguerons
en deux sortes principales, à savoir en argileuses et sablon-neuses,
d'autant que ces deux qualités là, sont les plus
apparentes dans tous les terroirs et qu'ils en participent nécessairement.
De là, procède la fertilité ou la stérilité
des terroirs au profit ou au détriment des laboureurs,
selon que la composition des argiles et des sables se trouve bien
ou mal faite. Car, comme le sel assaisonne les viandes, ainsi
l'argile et le sable, distribués dans les terroirs par
justes proportions ou par Nature ou par Artifice, les rendent
faciles à labourer, propres à retenir et à
rejeter convenablement l'humidité ; et par ce moyen, domptés,
apprivoisés, engraissés, ils rapportent gaiement
toutes sortes de fruits. Comme, au contraire, importunément
surmontés par l'une ou par l'autre de ces deux différentes
qualités, ils ne peuvent être d'aucune valeur, se
conver-tissant en terres trop pesantes ou trop légères,
trop dures ou trop molles, trop fortes ou trop faibles, trop humides
ou trop sèches, bourbeuses, crayeuses, glaiseuses, difficiles
à manier en tous temps, craignant l'humidité en
hiver et la sécheresse en été, et par conséquent
presque infertiles.
(L. I, ch. I, § 1.)
Après avoir étudié la nature des terres,
il faut choisir la situation du domaine. Voici les " qualités
proposées pour un bon et beau lieu ".
Que le domaine soit posé en air bon et salutaire, en terroir
plaisant et fécond, pourvu de douces et saines eaux, tout
uni et joint en une seule pièce de figure carrée
ou ronde, situé près de bons voisins et non éloigné
d'un grand et profitable chemin. Qu'il soit divisé en montagne,
coteau et plaine : la montagne ayant au dos la bise, regardant
le Midi, revêtue d'herbage pour la nourriture du bétail
et de bois de toutes sortes pour le chauffage et le bâtiment
; le coteau en semblable aspect, au-dessous de la montagne, pour
être abrité par elle, en fonds propre à vignobles,
jardins, vergers et semblables gentillesses ; la plaine, non trop
plate, mais un peu en pente pour vider les eaux de la pluie ;
large, de terroir gras et fertile, douce et facile à labourer,
arrosée d'eau douce et fructifiante venant de haut pour
être répartie par tous les endroits du domaine, afin
d'y accommoder des prairies, viviers, étangs, arbres aquatiques
; la plaine sera répartie en deux, l'une à ces usages-là,
l'autre à la culture des terres à grains.