« CET OUVRAGE FAIT PARTIE DE LHÉRITAGE CULTUREL DUN PEUPLE », ALAIN BALSAN |
Préface de Pierre Vallier
Mes Arméniens
Lorsque j'étais enfant dans mon village de la Drôme
des collines, il n'y avait aucune famille armé-nienne.
J'avais simplement entendu dire que ce peu-ple si attachant était
malheureux, persécuté par d'au-tres. Plus tard j'apprenais
que ce malheur se nom-mait génocide, et on se demandait
comment des hommes avaient pu faire cela à d'autres hom-mes.
Puis on a vu pire encore, trois fois hélas !
Je n'ai connu enfin des Arméniens que plus tard, en arrivant
au collège de Valence, et j'ai découvert des gens
de cur, ouverts et fraternels. Dans ma classe je m'étais
lié d'amitié à Jamakortzian, un garçon
sou-riant, au teint mat. C'était Jama, un élève
doué qui parti-cipait de bonne humeur aux cours. Il était
passionné de football avec l'Union sportive des jeunes
d'origine arménienne. Le sport n'avait pas ma préfé-rence,
mais il tentait de me convaincre du contraire, et essayait de
m'entraîner dans son club. C'est ainsi que je me suis intéressé
les lundis aux résultats de l'USJOA, ce qui lui faisait
plaisir. Mais je devais quitter Valence, et nous nous sommes perdus
de vue. Un jour, sa disparition m'a fortement peiné. Cher
Jama.
À peu près à la même époque
je fréquentais quoti-dienn-ement notre dépôt
de presse, boulevard d'Alsa-ce, tenu par Georges Pierre-Bès,
dit " Jésus ", du maquis du Vercors, rescapé
de la grotte de la Luire, et son épouse " la Reine
". Là, à peu près chaque matin, je rencontrais
beaucoup de gens, donc des Arméniens aussi, et deux ou
trois très anciens qui ne parlaient pas français,
et venaient chercher leur " Haratch ", petit journal
composé en caractères particuliers qui me semblaient
bien mys-té-rieux. Un jour, avec des mines de conspirateurs,
ils me montrèrent dans " Haratch " la traduction
d'un de mes articles du " Dauphiné ", et ils
s'amusèrent de mon étonnement tout en sirotant un
café.
J'avais fait autrefois une enquête sur le cas des couples
mixtes franco-arméniens dont l'un des conjoints enseignait
la langue à l'autre. Ainsi Odette Mikaélian, devenue
de ce fait interprète au tribunal à la satisfaction
des magistrats, ou Jean-Marc Abattu, président des sports
valentinois, mari de notre amie Iskouhi, correspondante du "
Dauphiné ". Ainsi se poursuit une intégration
douce et affectu-euse.
Naturellement je connais désormais beaucoup d'Arméniens
de Valence, dont certains sont des amis, comme ce cher Henri Siranyan,
l'auteur de " Flâ-ne-ries " du " Dauphiné
" que vous allez lire avec plaisir dans ce volume, ou encore
ce vieux compagnon, Jo Boyadjian, champion de natation, mon jeune
conscrit. Il fut aussi un temps où j'avais même choisi
pour médecin le bon et regretté Dr Marc Koharian.
Voici quelques uns de mes Arméniens, et j'y tiens.
Juin 2014
Avant-propos d'Alain Balsan
Les Arméniens et Valence
Une amitié forte et constante depuis quatre-vingt-dix ans
Depuis bientôt un siècle, Valence est devenue
la première ville de France en pourcentage de popu-lation
d'origine arménienne. Cette particula-rité surprend
toujours le visiteur. Valence, ville armé-nien-ne, pourquoi
et comment ?
La réponse à cette double question nécessite
un bref rappel historique.
Avant d'être réduite à ce qu'elle est aujourd'hui,
un petit état de moins de 30 000 km² (le vingtième
de la France métropolitaine), enclavé ou plutôt
encerclé par la Géorgie, l'Azerbaïdjan, l'Iran
et la Turquie, l'Arménie s'est étendue de la Méditerranée
à la Mer Caspienne, de la Cappadoce à la Méso-potamie.
Berceau d'une civilisation brillante et convertie au tout début
du IVe siècle, elle reven-dique avec fierté sa qualification
de plus ancien état chrétien. Ce sera aussi la cause
essen-tielle de ses malheurs. En butte à une hégémonie
ottomane sans cesse croissante, les populations arméniennes
tentent à la fin du XIXe siècle d'obtenir une égalité
de traitement avec les populations musulmanes. Une répression
sanglante est la seule réponse du gouvernement turc, infructueusement
dénoncée par Jean Jaurès à la Chambre
des députés le 3 novembre 1896.
Le premier conflit mondial va être l'occasion pour les autorités
turques de régler définitivement la " Question
arménienne " évoquée au malen-con-treux
Congrès de Berlin de juin-juillet 1878. Le 1er novembre
1914, l'Empire ottoman entre en guerre aux côtés
des Allemands. Depuis 1908, la Turquie est gouvernée par
le " Comité Union et Progrès ", connu
sous le nom de Jeunes-Turcs, qui a renversé le sultan.
Prétextant une prétendue collaboration des Arméniens
avec l'ennemi russe, le gouvernement Jeunes-Turcs prescrit secrètement,
sous la qualifi-cation officielle de déportation, l'élimination
de tous les Arméniens de l'Empire ottoman. Le 24 avril
1915, commence le premier génocide du XXe siècle
qui fera un million et demi de victimes. La communauté
internationale s'insur-ge et publie des communiqués : "
La population kurde et turque de l'Arménie procède
de connivence et souvent avec l'aide des autorités ottomanes
à des massacres des Armé-niens ". Mais la Grande
guerre constitue alors la pré-occupation primordiale. Les
survivants n'ont plus d'autre choix que l'exode.
Le Proche-Orient, la Russie, la Grèce et la Bul-garie accueillent
les premiers émigrants. Les traités de paix avaient
prévu la constitution d'un état arménien
autonome, la Cilicie, d'abord confiée par mandat à
la France, mais abandonnée aux Turcs en 1921. La France
est considérée comme terre d'asile pour des raisons
symboliques - elle incarne les droits de l'homme - et économiques,
car il faut rem-pla--cer le million et demi de victimes de la
Première guerre mondiale. Les Arméniens débar-quent
à Marseille où, totalement démunis et précai-rement
hébergés, ils attendant les offres d'embau-che.
Elles sont nombreuses dans la Drôme et surtout à
Valence où l'on manque de personnel. La fabrique de pâtes
alimentaires Gilibert et Tézier, par exem-ple, comptera
bientôt autant d'Arméniens que de Français
pour les hommes et même 67 % du person-nel féminin.
En 1926, Valence abrite 818 Armé-niens et plus du double
dix ans plus tard. Ils se regroupent, dans la vieille ville, dans
un quadri-latère qui prendra la dénomination de
" Petite Arménie ", évoquée dans
les pages qui suivent. Mais la crise économique s'instaure
et une loi Laval de 1932 impose un quota d'étrangers dans
les entreprises ; chassés de leur emploi, les Arméniens
se tournent vers le petit commerce indépendant et l'artisanat.
Voilà pour la question " Pourquoi Valence ? "
Lorsqu'ils s'interrogent sur les conséquences de l'arrivée
d'une population exogène dans une contrée, les sociologues
distinguent deux résul-tats extrêmes, le communautarisme,
avec une diffé-ren--ciation, voire une dissociation, d'avec
la société d'accueil ou l'assimilation, avec la
perte pour l'ethnie arrivante de son identité d'origine
et un résultat médian, hautement souhaitable, l'intégration.
En deux ou trois générations, les Arméniens
se sont remarquablement intégrés à Valence
et servent désormais d'exemple à l'échelle
nationale. Indus-triels, commerçants ayant " pignon
sur rue ", mem-bres des diverses professions libérales
ou de la fonction publique, ils sont courtisés pour participer
à la gestion municipale...
Leur exceptionnelle réussite tient, nous semble-t-il, essentiellement
à la cohésion sociale de leur communauté
qui trouve son ancrage dans deux facteurs : la religion et l'activité
associative.
L'Église apostolique, que l'on confond commu-nément
à tort avec l'Église orthodoxe, et dont la dissidence
d'avec les catholiques remonte à 451, date du concile de
Chalcédoine auquel elle n'avait pas participé, regroupe
la grande majorité de la communauté arménienne
dont elle est le reflet fidèle de l'évolution à
Valence. À leur arrivée, les Arméniens se
retrouvent pour la célébration de leur culte au
rez-de-chaussée d'un immeuble vétuste, côte
des Chapeliers. Dix ans plus tard, en 1933, ils aménagent
une salle plus accueillante, mais encore provisoire, rue Balthazar-Baro.
En 1953, est édifiée une église parfaitement
ornée et équipée, Saint-Grégoire-l'Illuminateur,
rue Ambroise-Paré. En 1992, enfin, est consacrée
Saint-Sahag, ancienne chapelle Saint-Joseph cédée
par les pères Rédemptoristes, rue de la Cécile.
On compte aussi quelques catho-liques et des protestants ainsi
que l'église de Mara-natha.
À côté des partis politiques, le Ramgavar,
libéral, le Dachnak, socialiste et le Hentchak, social-démo-crate,
les Arméniens sont particulièrement friands d'activités
associatives. " Deux Arméniens, trois asso-cia-tions
" aiment-ils souligner avec malice. Il y a une dizaine d'années,
on comptait vingt-huit asso-cia-tions arméniennes dans
la Drôme : vingt-et-une à Valence, six à Bourg-lès-Valence
et une seule à Romans. Elles ont un but de bienfaisance,
avec l'UNA et l'UGAB, mais elles sont aussi culturelles, sportives
ou encore compatriotiques qui regroupent les familles originaires
d'une même région d'Ana-tolie, Kharpout et Malatia,
pour la plupart.
Mais la grande question demeure, pour les Arméniens, l'avenir
de leur identité culturelle. Il est déjà
difficile de donner aujourd'hui avec précision le pourcentage
de population d'origine arménienne à Valence et
le chiffre de 10 % généralement avancé devient
approximatif. Si l'endogamie au sein de la communauté demeure,
de nombreux mariages " mix-tes " la tire en effet vers
l'assimilation. Le folklore, musique et danse, la tradition culinaire
et surtout la langue sont toujours transmis avec application,
mais pour combien de temps encore ?
L'histoire des Arméniens, fait bien sûr, partie de
cet héritage culturel à conserver et à développer
; ce recueil des Flâneries d'Henri Siranyan contribue remarquablement
à sa transmission.
Alain Balsan
Introduction :
Les Arméniens à Valence
C'est entre 1920 et 1922 que se situe la grande vague d'immigration
des Arméniens rescapés du génocide de 1915.
Venant de Syrie, du Liban ou de Grèce, ils seront parqués
dans un premier temps dans le quartier Oddo de Marseille où
des campe-ments provisoires seront installés pour les accueillir.
La politique française est favorable à cette arrivée
de travailleurs étrangers, car les entreprises man-quent
cruellement de main-d'uvre, consé-quence des années
meurtrières de la guerre. Beaucoup d'entre eux remonteront
la Vallée du Rhône en quête d'emplois, de vie
et d'avenir, c'est le " Chemin des Nations " suivant
l'expression d'Elysée Reclus. Dans l'Ardèche, les
filatures et moulinages sont en pleine expansion et sont demandeurs
de cette main d'uvre dont les prétentions sont modestes.
Bien plus, les dirigeants des centres métallurgiques de
La Voulte et du Pouzin iront même jusqu'à Marseille
pour leur recrutement. C'est ainsi que dans ce département,
va se créer une communauté impor-tante, les arrivants
embauchés étant logés, avec leurs familles
dans des bara-quements ou des masures délabrées,
non loin du lieu de travail et remis en état pour la circonstance.
Hélas, la crise de 1929 va bouleverser cette situation.
Les entreprises ardéchoises subissent les effets de la
crise et seront contraintes de débaucher, se conformant
à la loi du 10 août 1932 promulguant le contingentement
des travailleurs immigrés. La commu-nauté arménienne
des villes et villages ardéchois va donc se démanteler
dans un vaste mouvement migratoire en direction des plus grandes
villes, dont Valence.
A Valence, existe déjà une " colonie arménienne
", pour reprendre la terminologie de l'époque, qui
avait pu trouver du travail dans les entreprises importantes de
l'époque : la Boulonnerie Calibrée, Gilibert et
Tézier, la Réglisserie Dauphinoise, les Ateliers
de Construction de la Drôme, etc. Les nouveaux venus vont
donc amplifier la commu-nauté en " gonflant "
certains quartiers de la ville, poussés par un instinct
grégaire. La concen-tration se singularisera dans un périmètre
compre-nant les rues Bouffier, Belle-Image, Quatorze Cantons,
Balthazar Baro et le boulevard Vauban. D'autres avaient pu trouver
refuge dans un vieil immeuble désaffecté côte
des Chape-liers, que les Arméniens appelaient le "
Kemp " (déclinai-son phonétique du mot camp
dans le langage américain) où se déverseront
les premiers venus à Valence qui provisoirement avaient
trouvé refuge dans un ancien hôtel délabré,
l'Hôtel de Russie qui avait repris du ser-vice. Fidèle
à la tradition chrétienne, leur premier réflexe
après avoir pu s'installer tant bien que mal, sera de chercher
un lieu de culte. Le rez-de-chaussée de l'immeu-ble servira
de lieu de culte jusqu'à ce qu'un incendie détruise
l'immeuble, propulsant les habitants dans les quartiers "
arméni-ensa ". Le rez-de-chaussée d'un immeu-ble
rue Balthazar Baro (aujourd'hui transformé en garage face
à la préfecture) servira d'église, jusqu'à
la cons-truction d'une chapelle, 13 rue Ambroise Paré,
grâ-ce à un généreux donateur qui offrira
le terrain et à une souscription de la communauté.
Les bombardements d'août 1944 vont détruire le bâtiment,
et les fidèles vont réintégrer la salle de
la rue Balthazar Baro. Après la libération, la chapelle
de la rue Ambroise Paré va être reconstruite grâce
à une nouvelle souscription. Les peintures intérieures
seront confiées à un peintre valentinois Donzelli
qui reproduira sur les murs les principales scènes de l'Evangile,
mais aussi des illustrations propres à l'Eglise Apostolique
Arménienne, notamment l'effi-gie des deux apôtres
du Christ qui ont évangélisé l'Arménie
: Saint Barthélémy et Saint Thadée. Se-ront
figurées également celles représen-tant le
Catho--licos Saint-Sahag à l'origine de l'alpha-bet armé-nien
et du moine Mesrop Machtots son inventeur en l'an 405. Une plaque
sera apposée au mur pour honorer la mémoire des
Arméniens " morts pour la France " lors de la
dernière guerre.
La particularité de cette chapelle réside dans le
fait qu'elle reflète la liturgie de la religion apos-tolique
arménienne. Elle est issue du rejet des conclusions du
concile de Chalcédoine en l'an 451, en même temps,
d'ailleurs, que l'Eglise Copte et l'Eglise Jacobite. Ce concile
avait pour but de rejeter les conclusions du monothéisme
propagé par un moine byzantin Eutychès. L'Eglise
arménienne tout en rejetant les conclusions de ce concile
rejettera également le dogme du monothéisme d'Eutychès
se déclarant " miaphysite ", " mia "
signifiant l'unité et non " mono " la confusion.
Cette séparation des Eglises Chalcédoniennes, est
la conséquence de la querelle christologique. En effet,
depuis 325 certains religieux Arius, Macédonius, et surtout
Nestorius avançaient la théorie par laquelle les
natures divine et humaine du Christ étaient distinctes,
le Christ étant choisi par Dieu parce qu'Il était
l' " Homme Parfait " théorie appelé l'
" adoptisme ". Ils di-ront " Dieu habite dans Jésus
comme dans un Temple ", ajoutant " Dieu et le Christ
ne sont pas de la même substance, le Père est supérieur
au Fils ". Toutes les Eglises rejetteront cette pensée,
y compris l'Eglise arménienne, se référant
à la pensée du patriarche d'Alexandrie Cyrille,
au concile d'Ephèse en 431 : " C'est le Verbe qui
s'est fait chair ". Une seule se séparera du tronc
commun de l'Eglise primitive, l'Eglise nestorienne qui se fera
appeler " Eglise Syriaque " le terme de " Nestorien
" étant lourd à porter. Un quatrième
personnage va alors apparai-tre, c'est un archimandrite du nom
d'Eutychès qui, par opposition aux théories précédentes,
va prôner la confusion complète des deux natures,
il dira " la nature humaine du Christ s'est diluée
dans sa nature divine comme une goutte de miel dans l'océan
". Le concile de Chalcédoine déclarera Eutychès
comme hérésiar-que et englobera à tort les
Eglises Copte, Arménienne et Jacobite comme partisanes
de l'hérésie rejetée, alors que ces dernières
continueront à se référer à la définition
du patriarche d'Alexandrie Cyrille, adoptée jusqu'à
aujourd'hui par l'Eglise Arménienne.
La rencontre entre le pape Jean-Paul II et le catholicos arménien
Karékine 1er a abouti à effacer cette querelle christologique
entre le monophysisme et le miaphysisme en déclarant que
les définitions d'E-phè-se et de Chalcédoine
voulaient dire la même chose avec des mots différents,
cependant les décisions prises lors des conciles qui ont
suivi, non admises par l'Eglise Arménienne, en font son
originalité.
Le 15 novembre 1992 une nouvelle église était consacrée
au 12 rue de la Cécile à Valence sous le vocable
" Saint-Sahag ". Avec un espace plus vaste, un bâtiment
attenant permettant d'abriter l'école arménienne
et un jardin consacré aux jeux des enfants et des cérémonies
festives. La chapelle de la rue Ambroise Paré ne servant
plus que pour deux cérémonies : le requiem à
la mémoire des victimes des bombardements d'août
1944 et des soldats " morts pour la France " ; et en
novembre de chaque année pour célébrer la
sortie de la fosse, de Saint Grégoire l'Illuminateur où
il avait été enfermé pendant 15 ans en l'an
301, date où le roi Tiridate déclarera la religion
chrétienne comme religion d'Etat.
Aujourd'hui les Arméniens se déclarent être
fidèles à leur " religion-mère ",
ils représentent environ 80 à 90% de la population
arménienne, tant en Arménie qu'en diaspora, le reste
se divise inégalement entre catholiques romains et protestants
de sensibilité évan-gélique, les premiers
convertis à partir des croisades dans le royaume arménien
de Cilicie et les seconds convertis par la Réforme et aussi
lors des évènements génocidaires de 1915
par l'accueil des orphelins dans des établissements anglais,
américains au Moyen-Orient.
Aujourd'hui, nonobstant leur particularité reli-gieuse,
l'intégration de la communauté est parfaite. Elle
participe à la vie de la ville et du département,
notamment avec des élus au sein du conseil muni-cipal.
Il est à noter que cette intégration ne s'est jamais
faite au détriment de la culture ancestrale qui s'est propagée
de bouche à oreille dans les familles, et aussi par les
écrits d'auteurs ou de chroniqueurs qui relatent les évènements
passés.
Les quartiers arméniens ne sont plus les ghettos qui s'étaient
formés à l'origine, leurs habitants s'étant
dispersés dans la ville ou leurs environs dès lors
que leur conditions sociales ou économiques se sont améliorées.
Mais, fait remarquable, ils aiment à se réunir dans
les différentes associations spécifi-ques en se
remémorant le passé de leurs aînés.
Table des Matières
Préface de Pierre Vallier 7
Avant-propos d'Alain Balsan 9
Introduction : Les Arméniens à Valence 15
Flâneries 21
La rue Bouffier 22
24 avril 24
Toros et le Mémorial du génocide 26
Polyeucte l'Arménien 31
Edmond et Ori 33
La langue et l'imprimerie arméniennes 35
Artagow le fils des Dieux 37
La Maladière 39
L'école de la cathédrale 41
Béchamel 43
Grégoire Emurlian, fusillé à 11 ans 45
La Maladière (suite) 47
Le Kemp 49
Sam, l'homme volant 51
14 Juillet à Erévan 53
La chapelle Saint Grégoire 55
Marine Pétrossian 57
Les bombardements du 15 août à Valence 59
Khoren, Bedros
et les autres 61
L'oratoire de Germigny-des-prés 63
Anouche et Marguerite 65
Sainte Gayané et Sainte Hripsimé 67
21 septembre 1991 69
La rue Pompéry 72
L'homme de l'ombre 74
Le scoutisme arménien 76
Les rois de Lusignan 78
L'Ardèche 80
L'ami Julien 82
Scoutisme arménien à Valence (suite) 84
Les pionniers de Saint Sahag 86
Archag Tchobanian et Frédéric Mistral 88
Le kaki du parc Jouvet 90
Hayazad Ohanian 92
L'armée du salut 94
Le jour de Noël dans l'église apostolique armé-nienne
96
Bruno et Armen, histoire d'une amitié 98
L'odyssée de Gricha Mertitchian 100
La loi sur le génocide de 1915 102
Sylva Kapoutikian 104
Olive 106
Mesrop Machtots 108
Sassoun 110
Arsène et Tigrane 113
L'ami Edouard 115
L'affiche rouge 117
Le musée de Toros 119
Gaby le philosophe 121
Les fleurs de l'acacia 123
William Saroyan 125
Roustam l'Arménien 127
Le petit chat du Pendentif 129
Les 40 jours du Musa Dagh 131
La route de Sarkis 133
L'homme au masque de fer 135
Albert le vénérable 137
La cathédrale de Bourges 139
La première république arménienne 141
Le Panthéon arménien 143
" Le Thonir " 145
Les enfants de la guerre 147
La rue de Valence à Idjevan 149
Les musiciens aussi
151
" L' Arménocide " 153
La passion de la Cilicie 155
Avedik Issahakian 157
La congrégation Mekhitariste 159
Yervant Odian 161
Sarah Bernhardt et les Arméniens 163
Le château de Crussol 165
Le Kamantcha 167
Zareh Mutafian et Michel Djéranian 169
Les deux surs 171
Le tramway à Valence 173
Ardachès 175
Les deux Elmas 177
Youri le Tsigane 179
La ferme des Montagnon 181
L'épicerie Minassian, une saga familiale 183
La langue arménienne 185
" Le Dev " 187
Les Chrétiens d'Orient en danger 189
Les anciens combattants d'origine arménienne 191
Valence 2000 ans d'histoire 194
Yeghiche Tcharents 196
Le séisme de 1988 en Arménie 198
La place de la Pierre 200
Martiros Sarian 202
Les harponneurs 204
Hagop et Pierre 206
Les 12 capitales de l'Arménie 208
La saga des Max 210
Ara le Bel 212
Les chroniques bleues de Pierre Vallier 214
L'Abricot 216
L'érection du mémorial du génocide à
Valence 218
La basilique de la nativité 220
L'arbre de Vartan 222
La sainte messe de Magar Ekmalian 224
Les poétesses arméniennes 226
La caverne de René 228
Nouvelle et Pages d'histoire 230
Kerop et Kevork, histoire d'une amitié 231
Les églises chrétiennes orientales 236
Vartanank 253
Napoléon et les Arméniens 255
L'extraordinaire aventure d'Israël Ori 268
Le football arménien à Valence 273
Table des Matières 279
Extraits :
La rue Bouffier
Aussi loin que je me souvienne, je pense invaria-blement à
la rue Bouffier, rue mythique des Arméniens, dans laquelle
j'ai passé toute mon enfance et une partie de mon adolescence.
La rue abritait majoritairement des Arméniens. Made-moiselle
Dobelli était l'une des exceptions, elle tenait avec son
frère, le père de notre tribun local, la boutique
de mercerie juste en face du domicile de mes parents au numéro
60. Je connaissais leur arrière boutique, car bien souvent
tout gamin, j'étais invité à m'y rendre pour
écouter Monsieur Dobelli jouer de la mandoline, notamment
lorsque mes parents me confiaient à eux, devant s'absenter
pour rendre visite à ma tante qui demeurait place Belat.
L'exotisme de la rue était constant. Les fenêtres
ouvertes laissaient échapper les effluves de cuisine orientale
enrobées par les tristes mélopées du pays,
et il n'était pas rare d'entendre une femme réclamer
de sa fenêtre, dans sa langue maternelle, à sa voisine
du premier étage en face, le condiment qui manquait pour
terminer la préparation du repas. Il y avait Gaspard, un
colosse natif de Cilicie, qui, tous les soirs d'été,
chantait sur le pas de sa porte, accompagné de son banjo,
la seule chanson fran-çaise qu'il connaissait " J'irai
revoir ma Nor-man-die, ce beau pays qui m'a donné le jour
". Son accent prononcé ajoutait du piment au contresens
des paroles qu'il hurlait à tue-tête, sous le regard
curieux des passants qui empruntaient notre rue en quête
de bonne fortune pour rejoindre la rue du Coq voisine. Il y avait
encore le père Baghdassar, le laitier qui avec sa carriole
distribuait le lait tous les matins et son étal devenait
le point de rassemble-ment de toutes les femmes du quartier pour
com-menter les évènements du jour. Il y avait surtout
Onik, baron Onig comme on l'appelait, qui arpen-tait la rue deux
fois par jour, de bout en bout, aux heures des repas. C' était
un homme semblant ne pas jouir de toutes ses facultés mentales,
paci-fique et attachant, un grand barbu avec des yeux doux, qui
se retournait tous les deux ou trois pas comme pour voir s'il
n'était pas suivi, héritage sans doute d'un traumatisme
dû à un passé tragique. Muni de sa gamelle,
il frappait à toutes les portes, sans exception, et chaque
famille versait dans la même gamelle un peu du repas du
jour provoquant ainsi l'étrange mixture de son repas quotidien.
Aujour-d'hui, chaque fois que j'arpente la rue, je revoie ces
personnages d'antan qui, tels des fan-tômes, réappa-raissent
à chacun de mes pas. C'était la rue des Arméniens
et la parcelle de la rue Belle-Image rebaptisée rue d'Arménie
est là pour le rappeler.
24 avril
Voici venu le mois d'avril, avec à l'horizon le 24e jour,
date anniversaire pour les communautés armé-niennes
du monde entier.
Au fil des ans, mon esprit vagabonde avec des souvenirs lointains.
Fut un temps où le mémorial du génocide de
Toros n'était pas encore érigé. Fut un temps
encore où les célébrations , telles que nous
les connais-sons aujourd'hui, avec leur solennité, leurs
clameurs, n'étaient pas encore dans les murs.
Alors, je me souviens de ce Parc Jouvet où nous nous retrouvions
le 24 avril. C'était , il y a presque 50 ans et nous étions
cinq. Il y avait Odette, l'adjoin-te au maire de Valence, Jacques
de l'Union Générale Arménienne de Bienfaisance,
Marc et Edou-ard de l'Union Nationale Arménienne et moi
de l'Ephorie des Eglises. La foule n'y était pas ! Les
officiels non plus ! Mais la ferveur se lisait sur chacun de nos
visages, lorsque nous déposions notre gerbe devant le monument
aux morts en souvenir des victimes du génocide que la France
n'avait pas encore reconnu. La sobriété de notre
cérémonie n'enlevait rien à notre ferveur
et chacun prononçait quelques mots venant du cur,
sim-plement, mais avec gravi-té. Il n'y avait pas d'applau-dissements,
pas de porte-drapeaux, mais il y avait une présence en
filigrane, celle de nos martyrs qu'enveloppait notre communion.
Les années ont passé et depuis les images s'enchaînent
tel un kaléidoscope dans ma tête. La prise de conscience
des années 1968 à 1970 a été le point
de départ de la structuration de nos actions.
Les manifestations au Parc Jouvet se sont enri-chies de l'apport
et de la solidarité de nos élus, avec comme point
d'orgue l'érection du chef-d'uvre du sculpteur Toros,
siège désormais de nos cérémonies.
Et lorsque je vois la foule qui se presse chaque année
devant notre monument du souvenir, je ne peux m'empêcher
de penser à la célèbre tirade de Corneille
extraite du Cid, que je malmène quelque peu en le plagiant
: " Nous partîmes 5 et nous nous vîmes 500 en
arrivant au port ".
Nous étions cinq, avec nos sensibilités diffé-rentes,
mais unis dans le souvenir, unis dans un geste d'amour, avec nos
différences, tels ces deux prisonniers qui ins-pirèrent
Aragon lorsqu'il écri-vait : " Celui qui croyait au
ciel, celui qui n'y croyait pas ". Tel Aragon, sa "
Rose et son Réséda ".
Toros et le Mémorial
du génocide
Un journaliste écrivait
dernièrement : " Une belle uvre est une réussite,
mais lorsqu'elle est signée Toros, cela devient un chef-d'uvre
". En ces journées de commémoration du 24 avril,
je pense à cette belle soirée du 16 février
1985 où nous inaugurions le Mémorial du génocide
à Valence. Chef-d'uvre parce que Toros est allé
au plus pro-fond de lui-même pour puiser son art que sa
maîtrise a extériorisé. Par cette allégorie,
il a su, non seulement remémorer les tragiques évènements
de 1915, mais aussi redonner vie aux bâtisseurs de notre
culture. De Sayat-Nova à Komitas, et tant d'autres qui
jalonnent les pages de notre histoire. A l'instar de Ghoukas Tchou-barian,
ce sculpteur de l'école de sculpture de l'Académie
d'Etat des Beaux-Arts d'Erevan, célèbre par ses
uvres dont la statue de Mesrop Machtots et de son disciple
Korioun, à l'entrée du Maténadaran , Toros
a su mettre en relief les pages glorieuses et celles sombres de
notre histoire par des formes qui lui sont propres et qui mettent
en relief l'originalité de son uvre. Obser-vateur
plein de finesse, inventeur de formes d'une extrême sophistication,
sa sensibilité s'est exprimée par un travail graphique
extériorisant le cur même de sa création.
Comme les grands peintres, il a su créer son style, le
style " Toros ". Sa maîtrise a bouleversé
l'art moderne de la sculpture à travers les métamorphoses
graphiques et plas-tiques qui relient l'artifice et l'irréel
dans la styli-sation extrême des formes. Notre Mémorial
en est la preuve vivan-te, indélébile et éternelle
à tout jamais.
Polyeucte l'Arménien
En rangeant mes livres et manuels scolaires, je déniche
parmi mes classiques littéraires l'uvre de Corneille
" Polyeucte ", dans un coin de ma biblio-thèque.
Jetant un coup d'il distrait sur les premiè-res pages,
mes souvenirs du lycée me reviennent et me font redécouvrir
le lieu où se passe la scène : Mélitène,
ville où sont nés mes parents, la Malatya actuelle.
Je pense à cette classe de terminale où j'avais
découvert que Polyeucte était un seigneur arménien,
gendre de Félix gouverneur de l'Armé-nie. Poussé
par la curiosité, j'avais à l'époque consulté
le dictionnaire des noms propres et consta-té que ce personnage
dont s'est inspiré Corneille avait réelle-ment existé
en l'an 250, puisque le Larous-se indique : " Saint né
à Mélitène, Arménie, converti au christianisme
par son ami Néarque et suppli-cié par l'Empereur
romain Décius persécu-teur des chrétiens
". La réplique de Stratonice à Pauline, femme
de Polyeucte dans la scène III de l'acte premier m'avait
interpellé : " Il est Arménien, et vous êtes
Romaine
" Ainsi Corneille mettait en relief une antinomie,
par cette réponse de la confi-dente de Pauline et surtout
personnalisait l'Ar-mé-nien comme monothéiste et
la Romaine comme polythé-iste, en cette fin de IIIe siècle
qui bientôt sera agité par les querelles christologiques.
Le choix par Corneille du lieu géogra-phique de la tragédie
m'avait aussi frappé, les premières lignes de l'ou-vrage
mentionnant Mélitène comme étant, à
cette époque la capitale de l'Arménie occidentale,
près de l'Euphrate et ligne stratégique de l'Empire
romain d'Orient.
Aussi lorsqu'en 1985, avec quelques pionniers, nous avions créé
l'Amicale de Malatya à Valence, nous avions redonné
vie en quelque sorte à Poly-eucte le malatiatsi, canonisé
depuis, et à Malatya, l'ancienne Mélitène.
Edmond et Ori
Chaque année, les choristes de l'Eglise St-Sahag sont invités
à un repas convivial dans une auberge. Cette année,
j'avais pour voisin de table un tribun de notre communauté
: Edmond. Pourquoi tribun ? Parce qu'Ed-mond est un descendant
d'une lignée des Méliks du Karabagh. Mélik
signifie prince et est issu du mot Malik qui signifie roi. Il
faut préciser que le Karabagh était, du XVIIe au
XIXe siècle cons-titué par sept principautés
auto-nomes qui ont eu le mérite d'être le véhicule
trans-metteur de la langue et de la culture arménienne,
alors que la grande Arménie et le royaume arménien
de Cilicie étaient anéantis par les Touraniens et
les Mame-louks. Ces états fédéraux, théoriquement
sous administration perse, étaient, dans les faits, indépen-dants,
car le pouvoir iranien ne s'aventurait jamais dans ces con-trées
où veillaient de farouches guerriers ne recon-nais-sant
que leur prince (mélik). La fierté légitime
d'Edmond ne s'arrête pas à cette filiation. Il faut
préciser que celle-ci trouve sa source dans la princi-pauté
du Zanguézour en Siounie. C'est là que le fils cadet
du roi régnant, Israël Ori va se distinguer dans une
aventure extraordinaire. Ce jeune garçon de vingt ans,
afin d'intéresser les puissances européennes sur
le sort de l'Arménie va accomplir un périple incroyable
: il ira d'abord à Rome pour demander l'inter-vention du
Pape, puis gagnant la France, il va s'engager dans les armées
du roi Louis XIV. Fait prisonnier par les Anglais puis libéré,
il ne se découragera pas pour autant et reprenant son bâton
de pèlerin, il se rendra en Allemagne pour rencontrer le
prince du Palatinat auquel il va promettre la couronne d'Arménie
s'il parvenait à libérer le pays. Etonné
de cette démar-che par un si jeune garçon, le prince
lui suggérera de faire appel au tsar de Russie et lui demandera
de retourner en Arménie pour se faire confirmer cette proposition
par les Méliks. A vingt ans et au XVIIe siècle,
ce n'était pas une mince affaire que d'accom-plir ces voyages.
Pourtant Ori n'hésitera pas, revenu en Armé-nie
il reprendra la route pour St-Peter-sburg et se présentera
à Pierre le Grand. Le tsar, dans un premier temps, envisagera
de faire une expé-dition en Arménie contre les Turcs
et les Perses, mais y renoncera préoccupé par ses
propres guerres. Bien que toutes ces démarches soient restées
vaines, quelle fierté pour notre ami Edmond de savoir qu'Israël
Ori a été peut-être sa lointaine ascen-dance
!
La langue et l'imprimerie
arméniennes
J'assistais dernièrement à l'excellente conférence,
à Valence, de Madame Valentina Calzolari, profes-seur de
langue et littérature arméniennes à Genève,
ayant pour thème : " Le 500e anniversaire de l'im-primerie
arménien-ne ". A l'écoute de la conféren-cière,
ses propos ont fait ressurgir en moi l'époque où
je découvrais les origines indo-européenne de la
langue arménienne. C'est grâce aux études
et aux écrits des professeurs Feydit et Mahé que
j'avais pu m'initier à cette généalogie et
découvrir, poursui-vant plus avant, les rapports de parenté
qui lient les différentes familles linguistiques indo-européennes,
notamment par les découvertes d'Heinrich Hübsch-mann
en 1875. Les explications savan-tes mais claires de la conférencière
ont permis à l'assis-tance de comprendre, entre autres,
les motivations du moine Mesrop Machtots, inspiré par le
Catholicos Saint-Sahag, lorsqu'il crée l'alphabet en 404.
Motivations, certes inspirées par le désir d'évangélisation,
mais aussi par la volonté de présenter une langue
unitaire et surtout codifiée excluant les divisions dialectales.
Nul doute que sans cette invention l'imprimerie armé-nienne
n'aurait jamais vu le jour. Les origines indo-européennes
de la langue, l'invention de l'al-pha-bet, les premiers traducteurs
et ceux qui ont suivi jusqu'au XVe siècle ont sans doute
été les ferments de la parution des premiers ouvrages
imprimés en caractères arméniens à
Venise, en 1512 alors que le premier livre imprimé, la
Bible de Gutenberg, ne remonte qu'à 1453. Poursuivant son
exposé, la conférencière expliquait que la
véritable imprimerie arménienne sera établie
à Venise en 1565 par Abgar de Tokat. D'autres créations
vont se succéder au fil des ans, celle de la Congrégation
des Pères Mekhi-taristes à Trieste en 1776 puis
à Veni-se en 1789 et notam-ment celle de l'Institut Laza-rian
à Moscou en 1820 qui comprenait une fonderie qui a pourvu
en caractères d'imprimerie arméniens la plupart
des imprimeries arméniennes au cours du XIXe siècle.
Alors, merci Madame Calzo-lari pour votre brillant exposé,
et aussi, accep-tez nos compli-ments pour votre maîtrise
parfaite de la langue arménienne.
Artagow le fils des Dieux
Ceux de mon âge se souviennent certainement de cette B.D.
qui faisait fureur dans les années 1945 " Artagow
le fils des Dieux ". Parmi les lecteurs de ce journal illustré,
il y avait Georges. Sa passion pour ce héros, esthète
de l'antiquité, s'était répan-due dans toute
notre commu-nauté d'adoles-cents qui rêvions des
exploits de ce héros antique , luttant contre l'abominable
Ariman. Et au fil du temps Georges est devenu Artagow, à
tel point que ce surnom dont nous l'avions affublé, a été
considéré par certains comme son véritable
prénom. Volant au secours de la princesse Amiris, pourfen-dant
les méchants, ce défenseur de la veuve et de l'orphelin
est devenu le modèle de Georges. Tel César dans
la trilogie de Pagnol, Georges avec sa gouaille, sa spontanéité,
son achar-nement même à combattre ce qu'il considérait
comme étant le " mal ", est devenu Artagow le
fils des Dieux. Son père Iskinder et sa mère Elmas,
qu'enfant j'ai bien connus, auraient bien été surpris
d'apprendre aujour-d'hui, qu'ils ont été des divinités
de la voûte céleste. Son grand cur sera mis
en évidence dans ses contacts avec Paul Borel, le directeur
mythique de l'école du Palais où s'entassaient les
enfants des familles arméniennes arri-vées à
Valence après le génocide.
Georges, il le dit lui-même, n'était pas parmi l'élite
de la classe. C'est pourtant lui qui organisera une rencontre
entre cet instituteur âgé de 81 ans et tous ses anciens
élèves d'origine arménienne deve-nus adultes,
dont certains sexagénaires, en 1979, autour d'un repas
convi-vial en présence du maire de l'époque Rodolphe
Pesce. Et au terme de ce repas, l'instituteur ému aux larmes
prononcera quel-ques mots de remerciement et évoquera pour
la première fois le célèbre surnom, en y
ajoutant le " magnifique ". Et c'est ainsi que Georges
est deve-nu non seulement Artagow fils des Dieux mais " Artagow
le Magnifique ".