en Drôme-Ardèche « La sorcellerie
est un domaine vaste mettant en jeu des puissances bénéfiques
ou maléfiques, mais dépassant lentendement
du simple être humain. Devenir sorcier nétait
pas donné à tout le monde, et il fallait remplir
certaines caractéristiques bien particulières pour
atteindre ce statut. Il fallait avoir la connaissance des plantes,
des pierres, des formules magiques qui permettaient, entre autres,
de communiquer avec le monde des esprits, démoniaques
ou non...»
19 euros. 200 pages paru le 6 mars 2017
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Introduction :
Sorcellerie, magie, alchimie
une place dans notre monde ?
Parler de sorcellerie de nos jours, alors que le sujet est un
sujet vaste et passionnant, présente plusieurs dangers
dans lesquels un au-teur éclairé devra éviter
de plonger. Le catalogage des individus est en effet très
facile et extrêmement à la mode ces derniers temps
dans la plupart des écrits critiques. Je me souviens, il
y a de cela quelques an-nées, des accusations dont mon
professeur d'université, M. Philippe Walter, avait été
victime suite à la parution de l'un de ces livres por-tant
sur la civilisation celtique. Mon professeur et ami avait émis
l'hypothèse que l'Europe n'était pas que la fille
de Rome ou d'Athè-nes, mais que la civilisation celtique
avait, elle aussi, joué un jeu fan-tastique et prépondérant
dans l'univers qui nous est désormais familier et dans
lequel nous évoluons, que ce soit dans notre système
de pensée ou encore dans nos légendes ou littératures.
Un professeur aussi re-connu que M. Walter faisant l'apologie
de la civilisation celte ? Quel scandale et quel outrage ! Rapidement,
il parut aux esprits lumineux que ce professeur-là ne pouvait
que militer pour l'extrême droite, évo-quant la raison,
ô combien sensée, que certains groupuscules prônant
des idées plus que nauséabondes avaient récupérés
certains symboles celtes pour en faire leurs emblèmes
Ces attaques absolument scan-daleuses avaient profondément
touché mon professeur pour qui j'ai le plus grand respect.
Cela prouve bien que classer un individu est une chose aisée.
Il s'agit de prendre des précautions quand on s'attaque
à un sujet aussi imposant, aussi massif, que la sorcellerie.
D'ailleurs, pourquoi écrire un nouveau livre sur ce sujet
qui est traité par des dizaines d'auteurs ? L'ambition
est peut-être relative-ment élevée, voire
présomptueuse, mais il va de soi que tout ce qui est publié
sur ce thème n'est pas toujours très sérieux,
voire même très critiquable. Amusez-vous un jour
à vous balader dans les rayons de votre librairie préférée
et relevez le nombre d'ouvrages aux titres plus pompeux les uns
que les autres : L'amour grâce à la sorcellerie,
Ré-solvez vos problèmes d'argent avec les esprits,
La magie blanche comme développement personnel
Bref,
autant d'ouvrages douteux qui, là aussi, peuvent mettre
en danger ceux qui croient en de telles fadaises. Un danger qui
se révèlera être triple : les esprits faibles
psy-chologiquement et passant par une période de doutes
plus ou moins forte pourront s'accrocher à ces espoirs
vains et ainsi perdre pied avec la réalité. En second
lieu, ces textes, souvent écrits par des auteurs in-connus
et imprimés à l'étranger, ne servent qu'à
financer certains groupuscules peu fréquentables, voire
pires s'il s'agit de sectes dange-reuses. Enfin, pour finir, il
convient de signaler que ce type de texte met dans l'ombre certains
écrits qui, en cherchant bien, sont vraiment de très
bons livres et qui mériteraient beaucoup mieux leur place
dans nos rayons que certains sous-produits que je viens de citer.
Ne perdons pas non plus de vue que ce phénomène
de contamina-tion ne prend pas place que dans la littérature,
mais bel et bien aussi au niveau strictement humain. Certaines
personnes ont, j'en reste per-suadé, certains dons pour
la pratique de certaines choses : les rebou-teux, les personnes
qui arrivent à " couper le feu " d'un grand brûlé,
bref, tous ceux qui sont, ou ont été, considérés
de près ou de loin comme sorciers, sont mis en discrédit
par d'autres qui préfèreront prendre votre code
de carte bleu plutôt que de vous soigner. Un exem-ple ?
Ouvrez un journal quelconque et regardez les petites annonces
: Maître Baba et autre Professeur Yaya sont légions.
Ces farceurs far-felus, aux soi-disant étranges pouvoirs,
pouvant faire revenir l'être aimé sous dix jours,
utilisant des arts chamaniques se perdant dans la nuit des temps
mais maniant la carte Visa avec dextérité, restent
néanmoins des individus plutôt néfastes :
combien de personnes cré-dules ou faibles se sont retrouvés
ruinés à force de croire à des sor-nettes
aussi malvenues ? Combien de villages, d'Ardèche, de Drôme
ou d'ailleurs ont, ou ont eu, en leur sein l'un de ces rebouteux
chez qui on allait soit se faire soigner une dent, soit se faire
soigner ses rhuma-tismes ? Certains pratiquaient encore jusqu'au
siècle passé le pouvoir de la préparation
de certains philtres secrets. Combien payait-on pour consulter
ces personnes-là ? Généralement, rien, ou
bien une somme modique laissée à l'appréciation
du " patient ".
Il est de toute façon évident que le terme "
sorcellerie " renvoie à quantité de choses
évocatrices. Penchons-nous un peu sur notre passé
autant historique que littéraire et faisons certaines remarques.
La my-thologie n'est pas avare en textes faisant mention de tels
personnages. La mythologie celte, tout d'abord, nous a certainement
laissé le sorcier le plus célèbre : l'enchanteur
Merlin, ami du roi Arthur, qui, ironie du sort, disparaîtra,
ensorcelé à son tour par l'une de ses élèves,
Viviane. Circée, en Grèce, n'a-t-elle pas métamorphosé
Ulysse et ses compa-gnons en pourceaux ? En terme purement historique,
les devins, ha-ruspices et autres pythies ont toujours existé
dans les différentes anti-quités, preuve, s'il fallait
le démontrer, que l'être humain a toujours cher-ché
à obtenir des réponses ou des solutions grâce
à la sorcellerie.
La littérature a fait du sorcier un personnage de premier
plan. Harry Potter en est la marque la plus flagrante et est certainement
devenu le plus célèbre de tous les sorciers. Gandalf
et Saroumane, dans Le Sei-gneur des Anneaux sont, eux-aussi, rentrés
à jamais dans la postérité grâce à
la plume d'un auteur aussi génial que Tolkien. Cependant,
bien avant ces héros contemporains, des écrivains
comme les frères Grimm ou Charles Perrault, ont récolté
des contes mettant en scène ces personnages qui deviennent,
dans leur texte, souvent inquiétants, voire dangereux.
La mauvaise fée qui va jeter un sort, l'affreuse sor-cière
qui va se pencher sur un berceau pour maudire un nourrisson
Ces contes n'ont pas été inventés par ces
auteurs-là qui n'ont fait que retranscrire ce que l'on
appelle des " récits de nourrice ". Ils ont inter-rogé
des femmes qui prétendaient tenir ces histoires de leur
mère, qui elles-mêmes les tenaient de leurs mères,
etc. Nous arrivons ainsi prati-quement à la nuit des temps
avec des récits originaux n'ayant pour ainsi dire reçus
aucune transformation. Ce sont là de véritables
témoi-gnages !
Poursuivons un peu notre voyage dans le temps et arrêtons-nous
sur une période charnière : la Renaissance. Le Moyen-Âge
a vu beaucoup de sorcières et sorciers, mais la si la Renaissance
reste une période de grandes avancées artistiques
ou scientifiques, elle reste aussi celle de l'une des plus grandes
hérésies de notre temps, à savoir l'Inquisition.
Formée par l'Église catholique, l'Inquisition, ou
Sainte Inquisition comme elle se nommait, s'était donnée
pour mission de débusquer et de tuer toutes personnes trempant
dans l'univers douteux de la sorcel-lerie. La plupart de leurs
victimes étaient dénoncées par des voisins
peu scrupuleux dont la seule motivation était la jalousie
car le voisin disposait d'un champ plus rentable que lui, ou de
plus belles bêtes de bétail. Les pauvres bougres
étaient alors arrêtés et étaient torturés
pour des crimes dont la plupart se nommaient épilepsie
ou différence. Leurs membres étaient écrasés,
leurs souffrances atroces et ils avouaient alors, pour mettre
fin à leur tourment, des choses horribles dont ils étaient,
bien entendus, étrangers
Un autre jugement consistait
à jeter le ou la malheureuse pieds et poings liés
avec une lourde pierre accro-chée au cou, dans un profond
bassin : si elle remontait, elle était cou-pable car l'eau,
élément sacré, la rejetait pour cause d'impureté.
Si, en revanche, elle ne remontait pas, elle était innocente
mais morte ! Drôle de façon de rendre la justice
au nom de Dieu
Quoi qu'il en soit, et même de nos jours comme je l'ai déjà
dit un peu plus haut, l'homme interroge, l'homme s'interroge,
et certains dé-tiennent les secrets. Ces individus, utilisant
plantes, pierres, talismans et autres recettes curieuses, ont
porté bien des noms dans l'histoire. Deux nous sont finalement
parvenus : rebouteux, qui désigne un indi-vidu ayant le
pouvoir de soigner, et sorcier, qui désigne un individu
pouvant appeler les puissances infernales pour ensorceler un être
hu-main ou un animal, en faisant appel à des forces qui
dépassent le sim-ple mortel.
Sorcier, le terme est donc lâché. Cependant, il ne
faut pas tout en-fermer dans ce terme particulièrement
fourre-tout. Il nous faut réaliser un distinguo important
entre trois mots précis. La magie tout d'abord, qui peut
être pratiquée par des personnes ayant de bonnes
intentions. Il y a entre autres la magie blanche, servant à
aider un homme dans le besoin, bref, à faire le bien, la
magie rouge qui est fortement à conno-tation sexuelle,
et la magie noire, pratiquée généralement
pour faire le mal en évoquant certains démons. Ceci
étant, les frontières entre ces trois champs de
magie sont ténues et il est aisé de les franchir
: ainsi, un homme réalisant un exorcisme pratiquera la
magie noire pour venir en aide à une personne possédée.
L'alchimie est également une notion très importante,
la seconde qui nous intéressera ici. Elle consiste surtout
en la manipulation et aux mélanges de différentes
substances pour obtenir des résultats précis, comme
la transformation du plomb en or. L'alchimie n'a donc rien de
magique : elle est le résultat de réactions physiques
qui ont d'ailleurs permis à cette matière de faire
de grandes avancées scientifiques. Ni-colas Flamel restera
sans aucun doute l'alchimiste le plus célèbre. Nous
verrons, dans une des parties de cet ouvrage, que la Drôme
a cer-tai-nement abrité un alchimiste sur la commune de
Sahune.
Enfin, le terme sorcellerie, qui va être notre fil conducteur
tout au long de cet ouvrage. Drôme et Ardèche ont
été ce que l'on peut nom-mer des nids à sorciers.
Certains individus n'ont en effet, selon les lé-gendes,
pas hésités à faire commerce avec les puissances
occultes, à passer des pactes avec le diable, pour faire
du mal à leur voisins ou simplement pour obtenir quelques
faveurs. Ces personnes-là, maîtri-sant certains arcanes,
avaient la connaissance des pierres, des plantes, des philtres,
des propriétés magiques des choses, savaient confection-ner
un talisman protecteur ou maléfique, bref, possédaient
tout sim-plement le savoir.
Un homme s'est intéressé au sujet en Ardèche
: Jean-Baptiste Dal-mas, auteur fameux des Sorcières du
Vivarais , a en effet analysé les différents procès
en sorcellerie qui se sont passés durant l'histoire vi-varoise.
Il en a tiré un nombre important de conclusions dont certaines
sont peut-être plus discutables de nos jours. Entendons-nous
bien : il est hors de question de dénoncer ici l'inestimable
travail de Dalmas, mais de le reprendre et de l'analyser en intéressant
la Drôme dans no-tre étude. L'uvre de Dalmas,
aussi respectable qu'elle soit, se doit d'être interrogée
à l'aide de technique de travail dont l'auteur ne dis-posait
pas à l'époque.
Mon ambition est claire : elle veut recouvrir un manque. Rien
n'a été écrit sur la sorcellerie ardéchoise
depuis Dalmas et rien non plus n'a été écrit
sur la sorcellerie drômoise. Cette ambition-là peut
paraître présomptueuse, et elle l'est, dans le sens
noble du terme. Cette ambi-tion-là a surtout un but : il
y a là un pan entier à redécouvrir, tout
un terrain littéraire à défricher, qui malheureusement
s'effrite jour après jour, et cela sous nos regards condescendants.
Rendons hommage à toutes celles et ceux qui, un jour, ont
réussi à faire que ces deux départements
se soient forgés des récits, contes, lé-gendes
diverses et variées.
La plus grande richesse de nos deux départements ne sont
pas les trésors qui sont enfouis sous quelques pierres
ou rochers, ne deman-dant qu'à être découverts
un jour ou l'autre. La plus grande richesse de nos deux départements,
ce sont les femmes et les hommes qui les peuplent et qui les ont
forgés.
Première partie :
Un portrait-robot du sorcier régional
La sorcellerie est un domaine vaste mettant en jeu des puissances
bénéfiques ou maléfiques, mais dépassant
l'entendement du simple être humain. Devenir sorcier n'était
pas donné à tout le monde, et il fallait remplir
certaines caractéristiques bien particulières pour
attein-dre ce statut. Il fallait avoir la connaissance des plantes,
des pierres, des formules magiques qui permettaient, entre autres,
de communi-quer avec le monde des esprits, démoniaques
ou non. Pour cela, beau-coup de conditions devaient être
remplies, et l'imagerie populaire a attribué le rôle
de sorcier à des personnes qui, bien souvent, ne connaissaient
rien à ces pouvoirs-là. Il n'était en effet
pas donné à tous de manier les éléments.
Certains métiers, souvent rebutants, étaient ca-ractéristiques.
Il s'agit donc de procéder à un portrait-robot précis
du sorcier. Qui était susceptible de devenir ce personnage
qui était apparenté à la mal-faisance la
plus extrême ? Comment était-il ? Où vivait-il
?
Essayer de répondre à ces questions avec pragmatisme
et précision nécessite forcément de se pencher
sur certains écrits régionaux qui re-tracent l'histoire
de nos deux départements. Une fois ces textes inter-rogés
et analysés, il apparait alors aisé de faire un
" portrait-robot " du sorcier, un portrait-robot qui
finira par nous indiquer qu'en fin de compte, bon nombre de personnes
étaient aptes à devenir sorcier aux yeux des gens
Une prédestination dès l'enfance ?
L'enfance est l'âge de la vie où se forge généralement
un caractère, où l'on commence déjà
à avoir une petite idée de ce que sera notre vie
plus tard. L'enfance est également une période trouble
dans laquelle plusieurs éléments psychologiques
d'un individu rentrent en conflit. C'est une période dans
laquelle, un peu comme dans l'adolescence, même si cela
est moins prononcé, un individu commence à se cher-cher,
à déterminer son identité.
Force est cependant de constater que certains enfants semblent
avoir une certaine prédestination à avoir un chemin
de vie tout tracé et menant droit vers la pratique de la
sorcellerie. Beaucoup de choses pourraient être dite : un
enfant se pose entre autres énormément de question
sur sa vie, mais surtout sur sa mort. L'enfant aime avoir peur,
l'enfant aime trembler, mais l'enfant aime surtout être
rassuré. Alors, dans ce cas, pourquoi certains semblaient
avoir leur destin déjà écrit ?
Il faut avant tout essayer de cerner quels enfants pouvaient être
susceptibles de devenir sorcier. Quels caractéristiques
pouvaient-ils donc posséder qui les menaient ainsi tout
droit vers ce destin peu en-viable ?
Le premier évènement qui pouvait faire qu'un enfant
devienne sor-cier plus tard est qu'il naisse avant terme .La gestation
humaine dure généralement neuf mois. Cependant,
il n'est pas rare qu'un enfant naisse avant cette durée.
De nos jours, ces faits sont admis et expli-qués scientifiquement.
Il existait cependant une époque où être pré-maturé
était synonyme de mauvais il. Naître en avance
signifiait rompre le cours naturel des choses, le cours divin.
Seuls les personnes ayant fait commerce avec le démon ou
avec le diable pouvait donner naissance à un enfant avant
terme, brisant ainsi le cycle naturel et di-vin des choses.
Beaucoup d'autres enfants étaient prédestinés
à la sorcellerie, et parmi eux pouvait-on retrouver les
enfants nés par césarienne . Cette pratique, qui
permet la délivrance d'un enfant lorsque l'accouchement
se présente mal, est là aussi synonyme de rupture
de l'ordre naturel des choses. La césarienne est d'ailleurs
sujette à diverses croyances populaires : ainsi, en Angleterre,
un enfant né de cette façon possédait le
curieux pouvoir de voir et converser avec les esprits et de découvrir
les trésors . Les enfants nés par césarienne
possèdent donc le pouvoir de divination. Voir les morts
et converser avec eux étaient ainsi une prétendue
attribution du sorcier
De là à imaginer qu'ils
pouvaient ainsi signer un pacte avec les forces occultes, il n'y
avait qu'un pas
Une troisième catégorie d'enfants semble rentrer
en compte : les enfants abandonnés, ou posthume, c'est-à-dire
dont la mère est décé-dée pendant
l'accouchement . Il existait malheureusement des épo-ques
ou perdre un enfant en couche était une chose commune.
Ainsi, au Moyen Âge, l'espérance de vie ne dépassait
généralement pas quatorze ans. Ce chiffre, aussi
impensable qu'il puisse paraître, mérite cependant
d'être interrogé. En ces périodes qui accumulaient
famines, guerres ou autres épidémies, il n'était
pas rare que le fait de perdre un enfant pour une famille soit
proche de la bénédiction. Une bouche de moins à
nourrir pour la famille modeste était toujours une chance.
Ce-pendant, un tel chiffre ne comprend pas que les enfants morts
en bas âge. N'oublions pas que l'espérance de vie
est une moyenne et ce chif-fre comprend aussi la mort de plusieurs
personnes décédées à un âge
plus respectable, mais aussi des mères mourant en couche.
La méde-cine n'était pas ce qu'elle est maintenant
: plus aléatoire, elle faisait très souvent des
erreurs. Quand un accouchement débutait mal (il est d'ailleurs
intéressant de noter que l'on s'entourait de certaines
précau-tions d'ordre magique sur lesquelles je reviendrai
par la suite dans une autre partie) mais il finissait très
souvent de manière funeste. Mourir en donnant la vie a
toujours été considéré comme un acte
de bravoure, un fait héroïque, et les mères
qui donnaient ainsi leur vie était traitée avec
les plus grands égards. Il semblait donc naturel que leurs
enfants aient une sorte de pouvoir spécial. Ainsi, dans
la plupart des régions d'Europe, on dit que l'enfant dont
la mère est morte en couche a de nombreux pouvoirs curatifs.
On fait entre autres appel à lui pour don-ner ce que l'on
nomme le " baiser de la vie ", geste permettant de
soigner ceux qui souffrait de maladies respiratoires. On dit aussi
en France que ce genre d'enfant verra malgré tout sa mère
très souvent : en perdant sa vie pour lui, Dieu va en effet
donner une bénédiction à la mère et
celle-ci deviendra l'ange gardien protecteur de son enfant .
Une dernière catégorie d'enfant peut rentrer en
compte, ceux que l'histoire a retenu sous le nom peu glorieux
de " bâtards ". Terme pé-joratif s'il en
est, ce mot peu sympathique désigne simplement les en-fants
dont le père ou parfois la mère (voir les deux)
sont inconnus . Ce genre d'enfants a toujours été
entouré de mystères liés forcément
à leurs origines inconnues que l'on pouvait parfois supposer
être diabo-liques
Certains ne faisaient pas dans la
demie mesure en affirmant qu'un " bâtard " allait,
quoi qu'il fasse, finir par devenir loup-garou , fait intéressant
lorsque l'on sait que dans certaines régions ardéchoi-ses,
les " bâtards " sont surnommés " enfants
de la Lune "
Mais quoi qu'il en soit, il est vrai que
ce genre d'enfant gardait sa part de mystère et il était
naturel qu'il soit entouré de superstitions et croyan-ces
diverses qui lui étaient liées. Depuis l'antiquité
romaine le " bâtard " est considéré
comme un être à part de par sa position so-ciale
: libéré de la loi romaine dite de " patria
protestas ", c'est-à-dire, en gros, l'autorité
paternelle, il était considéré comme pouvant
jouir d'une chance inimaginable dans tous les domaines et d'une
vie longue et heureuse . Il est intéressant de noter que
dans tout folklore qui se respecte, cette notion de vie heureuse
et de bonheur sans faille est un leitmotiv récurent
Un enfant né d'un grand malheur finira finale-ment par
être heureux
Finissons par noter que, toujours en France, certaines superstitions
ont la vie dure. Ainsi, dans la région rennaise, proche
des terres de Bretagne, on pense encore de nos jours que naître
le jour des morts, ou dans la nuit qui le suit, prédestinera
un enfant à la sorcellerie
Comme on le voit, la prédestination pour la sorcellerie
existe, et certains enfants, sortant de la normalité admise
par le sens commun, étaient forcément condamnés
à pratiquer cet acte barbare qu'est la sorcellerie. Replaçons-nous
dans un contexte temporel. De nos jours, " bâtard "
est devenu un terme insultant au plus haut degré alors
qu'il était nom commun à certaines époques.
La césarienne est de nos jours pratiquées de plus
en plus souvent et de moins en moins de mère meu-rent en
couche. Mais dans certains temps qui finalement n'étaient
pas si reculés que cela, ce genre d'évènements
étaient considérés comme une rupture de l'ordre
naturel des choses, et quiconque venait briser cet ordre naturel
finissait par être maudit. Il n'était pas considéré
comme normal d'aller à l'encontre de phénomènes
admis.
Cette prédestination tenace de l'enfant à la sorcellerie
finissait im-manquablement par lui jouer de vilains tours : ayant
brisé l'ordre natu-rel des choses, l'ordre divin, il ne
pouvait qu'être mis au banc de la société
et, ainsi, accentuer encore un peu plus sa légende
Les caractéristiques physiques du sorcier
Passons maintenant à l'âge adulte et considérons
quelles catégories de personnes pouvaient là aussi
rentrer dans les critères du sorcier. Bien entendu, les
enfants cités plus haut ont grandi et sont devenus ce que
l'on attendait d'eux : placés à l'écart d'une
société qui, du coup, les jugeaient indésirables,
ils se sont pour la plupart lancés dans cer-tains métiers
qui eux aussi avaient pour caractéristiques d'être
fami-liers avec la sorcellerie. Cependant, beaucoup d'autres étaient
considé-rés comme sorcier, beaucoup qui étaient
là aussi totalement différents des normes admises,
en particulier ceux atteints d'une caractéristique physique
peu commune.
Certaines maladies, ou désagréments, étaient
entre autres révélatri-ces. Deux en particulier
retenaient l'attention des observateurs : l'épilepsie et
le somnambulisme .
L'épilepsie est une maladie prenant plusieurs formes dont
la plus terribles fait prendre au sujet plusieurs crises par heure.
Elle est mar-quée par de terribles convulsions et par diverses
réactions physiques impressionnantes et marquantes. S'expliquant
de nos jours rationnel-lement et médicalement, il n'en
a pas toujours été ainsi et force est de constater
que les épileptiques, durant toute l'histoire de l'humanité,
ont toujours cristallisé les croyances et les superstitions
les plus diver-ses. Des personnes aussi illustres que Jules César
souffrait de ce mal que l'on attribuait à l'époque
aux dieux.
L'épilepsie, dans l'univers de la superstition et des croyances
oc-cultes, mérite que l'on s'y arrête un instant.
En Drôme-Ardèche, il est convenu que quelqu'un souffrant
de ce mal était forcément possédé
(" chauché ") par le démon . Fait totalement
déraisonnable ? N'excusons rien mais comme je l'ai souligné
précédemment, nous étions à une époque
où la médecine tâtonnait et ne pouvait pas
tout expliquer étant donné les connaissances médicales
dont disposait les docteurs. Imaginons un instant au Moyen Âge
un homme qui soudai-nement voyait son voisin s'effondrer dans
d'étranges et terribles convulsions et proférant
certains petits cris curieux. La religion était omniprésente
et omnipotente à l'époque et la médecine
n'expliquant pas ce phénomène, on considérait
donc que l'épileptique était possédé
par quelques démons.
La superstition française fait de l'épileptique
un être vraiment à part. Cependant, il est intéressant
de noter que ce mal étrange avait un surnom dans notre
folklore : le mal de Saint-Jean . Ceci, qui ne sem-ble être
qu'un détail, doit cependant nous interpeller. Saint Jean,
selon la superstition qui nous est expliquée, fut ébloui
lorsque Dieu créa le tonnerre et c'est depuis ce jour qu'il
souffrirait de ce mal étrange 15. Nous ne pouvons cependant
pas nous contenter de cette explication. Il nous faut interroger
quelque chose de bien plus ancien. La mention de Saint Jean interpelle.
Ce saint est célébré le 24 juin et était
propice à diverses manifestations de joie : on allumait
entre autres de grands feux par-dessus lesquels il fallait sauter
afin de s'attirer de bonnes grâces et une certaine prospérité.
Ces évènements se déroulent encore dans certaines
régions et mon propre village de Mauves célébrait
la Saint Jean jusque dans les années 90. La Saint Jean
est la fête de la lumière. Il fallait célébrer
l'arrivée de l'été par des jeux qui renvoient
à un culte bien plus ancien. Les celtes, à la même
date, célébraient la fête de Beltain . Cette
fête a donc été christianisée pour
donner au-jourd'hui la Saint Jean. Christianisée, certes,
mais il est intéressant de noter qu'elle n'a perdu aucunement
de sa valeur : les celtes allumaient eux aussi de grands feux
pour célébrer la fête de Beltain. Lors de
ces manifestations, on disait que le monde des esprits, lutins
et autres fées s'ouvrait et laissait voir ses merveilles.
C'était une date propice, fati-dique pour communiquer avec
l'Autre Monde, cet ailleurs fantasma-goriques cristallisant tous
les fantasmes. L'épileptique souffrait du mal de Saint
Jean. Cette simple caractéristique fait de lui non pas
un être fée, mais un être n'appartenant pas
à notre réalité, dépassant l'entendement
et donc initié aux connaissances de l'Autre Monde et, par
conséquent, à ces mystères. Ils connaissaient
donc certainement la sorcellerie et ses recettes magiques transmises
par des créatures que la religion a banni.
Les somnambules étaient donc eux aussi considérés
comme ayant le pouvoir de la sorcellerie. Ce fait, qui semble
n'être attesté qu'en Ardèche, mérite
là aussi une explication. Le somnambulisme s'explique là
aussi médicalement de nos jours. Pour faire simple, ce
mal permet au dormeur de se lever la nuit et de marcher sans qu'il
n'en ait aucune conscience ni aucun souvenir à son réveil.
Cependant, à certaines époques, le fait de se lever
ainsi la nuit et de marcher en dormant rompait en quelque sorte
l'équilibre d'un ordre naturel bien établi : la
nuit était faite pour le repos et le sommeil. C'étaient
les es-prits et autres entités démoniaques qui avaient
alors le pouvoir. Le jour appartenait aux vivants et la nuit était
le domaine de l'inconnu, celui des morts. Une personne se levant
la nuit s'en sans rendre compte et se réveillant le lendemain
sans en avoir le moindre souvenir rentrait forcément en
collision avec ces forces obscures et commerçait avec elles.
L'imagination a donc fait du somnambule un personnage à
part ayant certainement des connaissances très précises
en matière de choses obscures. Les connaissances des sorciers
lui étaient donc ac-quises. D'ailleurs, sans doute pouvait-il
se lever la nuit pour se rendre à des réunions de
sorcellerie
Plusieurs légendes ont trait à
ce per-sonnage atypique : on dit entre autres que sa maladie est
causée par le diable lui-même ou encore qu'il a été
mal baptisé. Il faudra dans ce cas recommencer la cérémonie
Une personne albinos était aussi considérée
comme étant un sorcier potentiel . Albinos : cette rare
affection médicale était là aussi à
cer-taines époques considérée comme étant
une rupture avec le monde familier. Un, ou une, albinos souffre
d'une dépigmentation de la peau qui rend cette dernière
blanche au maximum. Bien entendu, le malade ne supportera pas
la lumière du soleil sur sa peau bien trop fragilisée,
ce qui par conséquent entraînera les croyances les
plus folles. On pen-sait entre autres choses que cette disposition
particulière de leur peau qui entraînait donc cette
fragilité les mettaient directement en contact avec certaines
divinités . Ils étaient ainsi soit vénérés,
soit au contraire méprisés. Ce mépris est
intéressant à analyser : les divinités archaï-ques
avec lesquelles ils étaient en contact étaient sans
conteste des di-vinités primitives et donc païennes,
les mêmes qui par définition al-laient contre les
dogmes de la religion catholique. Ayant la connais-sance des archaïsmes,
ils pouvaient ainsi maîtriser certaines connaissances échappant
aux connaissances de la plupart des mortels. En d'autres termes,
ils connaissaient les sciences obscures des dieux obscurs : ils
étaient donc susceptibles d'être sorciers
L'Ardèche et, par extension, la Drôme, semblent également
avoir montrés une certaine distance avec plusieurs individus
qui semblaient avoir des particularités physiques qui semblaient
en adéquation avec la sorcellerie. Cette particularité,
que l'on retrouve très peu dans les autres régions
françaises, porte un nom par chez nous : on la nomme la
" règle des cinq B ". Cette règle porte
ce nom pour une raison toute simple : les probables sorciers étaient
soit bossus, soit bègues, soit boiteux, soit borgne, ou
encore disposait de cette étrangeté physique nommée
bec de lièvre
Il s'agit de prendre chacune de ces caractéristiques physiques
et de voir ce que l'on peut en tirer dans les différentes
croyances. Pouvons-nous établir des corrélations
avec les autres légendes de France, voir du monde ?
En premier lieu, le personnage du bossu est un exemple assez étrange.
Le bossu a toujours été célèbre :
rappelons-nous entre autres que le célèbre Quasimodo
de Notre Dame de Paris, de Victor Hugo, était frappé
de difformités flagrantes et horribles et qu'il était
notam-ment bossu. Ce type de personnage a toujours enflammé
l'imagination humaine. André Hunnebelle lui a consacré
l'un de ses films, avec Bourvil et Jean Marais, sobrement nommé
Le bossu. Ce personnage-là présente un double aspect
: le rencontrer selon certaines traditions était source
de prospérité et toucher sa bosse était un
porte bonheur. Il était également présent
dans les différentes cours royales ou impériales
d'Europe dans lesquelles il jouait le rôle de bouffon. Plusieurs
bossus se tiennent encore de nos jours devant les casinos afin
de porter chance aux joueurs les plus téméraires.
On le voit donc, le bossu est plutôt connoté positivement,
hormis en Belgique où il pouvait parfois porter malheur
: l'apercevoir était ainsi signe de mauvais présage
et en Italie, lorsqu'on rencontrait ce type de personnage, il
était de coutume de cracher derrière lui, certainement
pour chasser le mauvais sort .
Le bégaiement était donc aussi la marque de la sorcellerie.
Pour-tant, là aussi on peut s'étonner de ce fait
puisque le bègue est généra-lement connoté
de façon très peu péjorative dans nos différents
folklo-res. Rencontrer un bègue peut parfois être
synonyme de mauvaise journée. On dit également que
quelqu'un était bègue car le prêtre qui l'avait
baptisé s'était trompé en récitant
le Crédo. Bref, rien de vrai-ment négatif, même
si, il est vrai, il n'y a rien de follement positif non plus dans
son rôle.
Contrairement au bossu, il ne porte pas chance ou n'a pas sa place
auprès des plus grands .
Le personnage du boiteux est déjà beaucoup plus
nuancé. Claudi-quer était un signe de faiblesse
et pouvait désigner une blessure d'ordre spirituel. C'est
un être fourbe, menteur et faux. La claudica-tion était
une infirmité qui allait certainement plus que les autres
à l'encontre de l'ordre naturel. On prétend que
nombre de sorciers célè-bres étaient atteints
de cette infirmité, ce qui tendrait à accréditer
les thèses ardéchoises ou drômoises .
Un être borgne était quant à lui fascinant,
un peu d'ailleurs comme le personnage du sorcier en lui-même
qui inquiétait et inspirait à la fois. Ce fait réside
certainement dans la possession de l'il unique qui pouvait
être une marque diabolique. Perdre un il, selon les
légendes, s'était perdre la vision diurne au profit
de la vision nocturne, ce qui implique la possibilité de
voir des choses que les autres ne pouvaient voir. La nuit était
le domaine des esprits, des fantômes et autres créa-tures
maléfiques, et le borgne pouvait ainsi faire commerce avec
eux. Notons que bon nombre de personnages mythologiques étaient
bor-gnes : les cyclopes, rencontrés par Ulysse dans l'Odyssée
, dont le plus célèbre reste Polyphème, Horatius
Coclès chez les romains ou encore Odin, l'un des plus célèbres
dieux du panthéon scandinave .
Enfin, ceux qui étaient atteints de la difformité
dites du bec de liè-vre étaient également
susceptibles d'être sorciers. Ce handicap est quasiment
toujours associé à l'animal auquel il se rapporte,
aussi faut-il se rattacher à la signification du lièvre
dans nos régions. Cet animal est quasiment toujours considéré
dans nos deux départements comme ayant un rapport plus
ou moins lointain avec les forces obscures, et parfois même
le diable lui-même. Très souvent le diable et ses
démons se métamorphosent en lièvre pour séduire
les humains . Ainsi, dans les différents folklores de France,
manger une tête de lièvre, donc d'un animal maléfique,
ou encore en contempler un trop longtemps, entraî-nera forcément
la naissance d'un enfant affublé de ce handicap .
Ces cinq difformités sont synonymes avant tout d'un désordre
phy-sique allant contre la nature humaine. Ce sont des êtres
contrefaits présentant une anomalie. Allant ainsi contre
l'ordre établi par une so-ciété pas forcément
toujours bien-pensante, ils démontraient une cer-taine
forme de non abouti. Ce non aboutissement avait forcément
des raisons qui dépassaient l'entendement du simple mortel
: avoir une anomalie de ce genre était toujours équivalents
à une notion maléfi-que, voir diabolique. Ils commerçaient
avec les forces obscures et payaient ce commerce en subissant
un contrecoup physique terrible qui les rendait ainsi infirme
Les métiers exercés par le sorcier
Sorcier n'était pas une occupation à plein temps.
La sorcellerie était pratiquée en dehors d'un cadre
familier. Pratiquer cet art n'était certes pas donné
à toutes et tous, mais le sorcier, dans la vie de tous
les jours, était un être tout à fait normal
essayant justement de s'inscrire dans cette normalité.
Il fallait mener une vie discrète et, par conséquent,
se fondre dans une sorte de masse ou de moule afin de passer inaperçu.
Seuls les initiés pouvaient comprendre qui était
sorcier.
Cependant, plusieurs professions, ou corps de métiers,
pouvaient être plus susceptibles que d'autres d'attirer
en leur sein des sorciers de tous poils. Ces professions étaient
généralement toutes en rapport avec la nature, l'artistique,
la mort ou les choses viles que beaucoup n'osaient pas pratiquer
par peur ou par simple dégoût. Cependant, beaucoup
d'autres, et cela peut sembler plus étonnant, semblent
avoir eu un attrait très particulier alors que ce sont
des professions considé-rées, pour l'époque,
comme nobles.
Essayons de voir ici les nombreuses professions qu'un sorcier
confirmé pouvait exercer en essayant de les regrouper en
différents domaines.
Les professions en rapport avec la mort ou le sang semblent en
premier lieu les plus nombreuses. Plusieurs sont à répertorier.
Tout d'abord, les bourreaux tenaient une grande importance . Ils
étaient les exécuteurs des basses uvres et
tuaient ou torturaient les condamnés à mort. Le
fait d'être bourreau était généralement
toujours connoté péjo-rativement dans toutes les
sociétés. On devenait bourreau de père en
fils : la vocation était ainsi toujours familiale et le
don de sorcellerie allant avec cette corporation était
ainsi transmise de génération en gé-nération.
Cependant, le bourreau avait une particularité assez éton-nante
mais plutôt logique en fin de compte si on regarde de plus
près le travail qu'il effectuait. Il était en effet
réputé pour avoir des talents de guérisseur,
un peu comme la plupart des sorciers. Ainsi, on croyait que ceux
qui brisaient les os et les membres des condamnés avaient
le pouvoir de remettre ces mêmes os ou membres en place.
De plus, nombre de bourreaux avaient la réputation de vendre,
voire d'utiliser à des fins personnelles, certaines parties
du corps d'un supplicié (mains, graisse
) ou des parties
des moyens ayant servi à une exécution (corde de
pendu par exemple). Ce genre de choses sympathiques ren-traient
assez souvent dans la composition de préparations de sorcelle-rie
Le bourreau devenait ainsi le parfait exemple du sorcier
Le barbier, en contact avec le sang humain, est lui aussi prédestiné
à la sorcellerie. Utilisant des instruments tranchants
en fer, il peut par inadvertance ou non couper ou blesser l'un
de ses clients. Le sang ain-si récupéré et
ayant été au contact d'une matière aussi
chargée de si-gnification (comme nous le verrons plus loin)
que le fer pourrait éventuellement rentrer dans la composition
de recettes magiques.
Le boucher pouvait lui aussi faire partie de ces êtres maléfiques,
et ce pour les mêmes raisons. Il est au contact du sang
bestial, un sang qui lui aussi pouvait rentrer dans la composition
de recettes maléfi-ques. Les gens en avaient besoin pour
se nourrir, mais il était craint malgré tout. Tout
personnage rentrant en contact direct avec le sang était
généralement perçu négativement
Plus intéressant, nous pouvons noter qu'en certains lieux,
ce sont carrément les prêtres qui pouvaient être
considérés comme sorciers. Le prêtre a toujours
eu une fonction à part. Chargé de prier pour le
salut des âmes de ses ouailles, il procédait également
aux messes et avait la connaissance des textes sacrés.
Il avait aussi la connaissance des démons contre qui il
devait lutter, mais auxquels il pouvait parfois succomber selon
la croyance folklorique. Un prêtre a souvent été
considéré comme ayant la fonction de magicien :
il pouvait certes contribuer au bien en priant, mais utilisait
aussi dans certains cas cer-taines méthodes obscures pour
venir à bout du mal. L'exorcisme a ainsi toujours été
considéré comme un acte de magie noire servant la
cause bénéfique. Beaucoup de prêtres possédaient
parfois des grimoi-res, notamment le célèbre Agrippa
et pouvaient participer aux sabbats, ces fameuses réunions
de sorciers et sorcières ou le diable en personne intervenait
souvent. La connaissance qu'il avait des démons pouvait
parfois lui permettre d'en invoquer, d'où l'idée
que nombre d'entre eux pouvaient avoir signé un pacte avec
le diable. On leur payait des messes curieuses, dites de "
tormentation " qui permettaient de tortu-rer de pauvres bougres.
On dit aussi que les fameuses messes noires, dans certaines régions
de France, devaient être proférées par un
curé. Notons enfin que si la main droite du prêtre
est bénéfique, la gauche, en revanche, est plus
orientée sur le mal
On évitait de faire baptiser
un nourrisson par un prêtre gaucher de peur que celui-ci
soit frappé par le malheur
Les défroqués, c'est-à-dire les religieux
ayant abandonné le service de Dieu pour mener une vie dite
normale, ont la réputation de mauvais il et peuvent
faire commerce avec le démon. On n'abandonne pas la foi
par hasard et dans l'esprit des gens, abandonner la vocation divine
est synonyme de péché, synonyme de commerce avec
les forces obs-cures.
Les habilleurs et habilleuses de morts rentraient aussi dans cette
catégorie. C'étaient eux qui se chargeaient des
morts, de leur fournir linges et linceuls moyennant une certaine
somme d'argent. Ainsi, au contact du mort et s'enrichissant grâce
à lui, ils pouvaient faire fortune sur le malheur d'autrui
ou bien encore s'approprier là aussi certaines parties
du cadavres (cheveux, poils
) qui pouvaient servir à
préparer certaines recettes secrètes.
Les chanvreurs et cordiers, en corrélation avec les bourreaux,
n'étaient pas là aussi considérés
d'un il bienveillant. Fournisseur de la corde servant à
pendre les condamnés, ils étaient en contact direct
avec la mort, et fabriquaient l'instrument même de la condamnation
du pauvre bougre. La corde de pendu rentrant toujours dans la
consti-tution de certaines préparations, il n'était
pas rare de supposer qu'ils pouvaient la récupérer
après l'exécution du malheureux pour la reven-dre
ou pire, pour s'en servir dans la pratique même de la sorcellerie.
Les tisserands avaient également très mauvaise réputation.
Une rai-son en particulier : ils étaient les concepteurs
des suaires des morts. Le suaire est ce que l'on nomme le linge
mortuaire, c'est-à-dire le drap dans lequel sera enveloppé
le cadavre. C'est en quelques sorte le der-nier bien que le mort
emmènera dans l'au-delà. Ainsi, le tisserand était
le fournisseur du dernier bien terrestre, un bien qui allait dans
un Au-tre Monde par la suite. Bien entendu, une étoffe
d'un suaire, de préfé-rence ayant déjà
servi, était nécessaire pour préparer certaines
recettes relativement néfastes
Enfin, les avorteurs ou avorteuses, nommés généralement
" faiseurs d'ange " étaient certainement celles
et ceux qui avaient les pires ré-putations. Il n'y avait
pas plus grand crime que celui de faire avorter une mère
: non seulement la femme ressentait d'atroces souffrances physiques
et psychologiques pouvant lui coûter la vie, mais on tuait
un être innocent auquel Dieu avait prêté existence.
Cet être ne pouvait même pas voir le jour
Un
petit enfant ne connaissant pas les joies de la vie, tué
avant même la naissance dans le ventre nourricier fémi-nin.
L'outrage était irréparable et les avorteurs ou
avorteuses vivaient souvent en rejet de la société
même si des gens de bonnes familles fai-saient appel à
leur " art ". Au XIXe siècle, on prétendait
encore que la mère qui se faisait avorter, et celui qui
exécutait cet acte étaient pour-suivi par une sorte
de vengeance de la nature : harcèlement perpétuel
par des créatures viles comme les serpents, impossibilité
de trouver le sommeil
Bref, aller ainsi contre l'ordre naturel
à un tel paroxysme faisait immanquablement de l'avorteur
un être diabolique et donc un sorcier
Les métiers en rapport avec la nature sont aussi un véritable
ré-servoir de sorciers en tous genres. Cela est finalement
assez normal. En effet, être au contact avec les plantes,
les pierres, les matières mi-nérales ou encore les
animaux permettaient d'être au contact, et donc dans la
connaissance, des secrets de toutes ces catégories. N'oublions
pas également que la nature au sens large (forêts,
lacs, rivières
) est le domaine de l'Autre Monde merveilleux,
peuplé des fées ou d'autres créatures moins
fréquentables, mais qui sont des êtres aux connaissan-ces
magiques
Passons nos différents métiers au crible et arrêtons-nous
d'abord sur les bergers. Le terme, d'un sens chrétien,
est avant tout plutôt bé-néfique. Ne sont
ce pas les bergers qui, les premiers, ont connaissance de l'arrivée
au monde du Christ ? Il symbolise également la vigilance
et présente une certaine idée de la protection au
sens large du terme : protection de la nature mais également
du bétail dont il a la charge. Ce fait va cependant se
corroborer au fil des siècles : de bon personnage, il va
petit à petit se retrouver connoter péjorativement
pour finir par devenir la représentation la plus maléfique.
Le berger va devenir sor-cier. Ses connaissances touchent un domaine
qui effraie. Il connait les remèdes, il connait les plantes,
on l'accuse de tous les maux possibles et inimaginables (des fléaux
naturels comme entre autres la grêle ou la pluie). Il connait
les mouvements de la lune, des étoiles et des planè-tes,
il sait donc déchiffrer les symboles et, par dérivation,
lire l'avenir . Notons que le berger est l'homme de la nature
et, par consé-quent, son protégé : il connait
les secrets des êtres primordiaux, le sa-voir de l'Autre
Monde, et peut tout à fait l'appliquer pour le bien ou
le mal.
Le meneur de meutes était également un mauvais individu.
Il avait en effet le pouvoir de commander aux animaux et ce de
deux façons révélatrices qui pouvaient faire
croire à une certaine gestuelle maléfi-que. Il pouvait
faire une certaine gestuelle qui correspondait alors à
des signes magiques ou simplement par le regard, ce qui pouvait
être interprété comme une forme de mauvais
il. Quoi qu'il en soit, s'il pouvait commander aux animaux
de cette façon, il pouvait faire de même aux êtres
humains. Et puis, d'où pouvait-il donc tenir son pou-voir
? De Dieu ou bien du diable ?
Une troisième catégorie de métier était
assez spécifique aussi puis-qu'il s'agissait du chasseur.
Le chasseur, sur plusieurs faits, reste un individu hautement
maléfique. Certains n'ont visiblement pas hésité
à vendre leur âme au diable pour attirer sur eux
une bonne chasse. D'autres, qui n'ont pas respectés certains
principes, comme aller à la chasse un vendredi (ce qui
était dans nos différents folklores interdits) sont
condamnés à errer pour l'éternité
en recherche d'un gibier imagi-naire. On les nommait les chasseurs
de la nuit, être mort vivant, dont on pouvait entendre la
nuit les coups de fusil tirés au loin ou les aboiements
de chiens imaginaires ou, du moins invisibles
Le pêcheur rentrait aussi dans cette catégorie. En
ligne directe avec les esprits des eaux et certains poissons réputés
pour avoir certaines vertus, il effrayait les populations par
ses pratiques. Une certaine lé-gende des pays de France
est particulièrement révélatrice : un pêcheur
qui prend la mer le jour de la Toussaint ramènera immanquablement
dans ses filets ossements, cadavres ou squelettes. Ceci le rattache
im-manquablement à la mort . N'oublions pas entre autres
que d'anciens substrats celtiques font de certains poissons, notamment
le saumon, des poissons aux vertus plus que magiques. Le saumon
est ainsi le poisson de la connaissance et il n'est pas rare dans
certaines légendes de l'entendre parler pour dispenser
son savoir . Certains romans mé-diévaux font même
du graal un " plat à poissons " pouvant contenir,
entre autres, des lamproies ou des brochets
Ainsi, cet
objet fabu-leux, censé avoir servi à recueillir
le sang christique, était un plat à poisson ? Il
y a là forcément un lien
De cette façon,
le pêcheur va être en contact avec ce bestiaire fantastique
du monde aquatique et va percer ses secrets
Est-il dans
la connaissance des pratiques magi-ques de l'Autre Monde ? Cela
est probable
Les ermites étaient également mal vu. Le fait de
vivre seul, souvent retiré au fond des bois, à toujours
enflammé l'imagination humaine là aussi souvent
pour les mêmes raisons. Vivant dans un domaine, la fo-rêt,
qui n'appartient pas à l'homme mais aux autres créatures,
ils sont au contact, ils sont dans la connaissance des pratiques
magiques. Ils connaissent également le pouvoir des plantes
et des animaux. Notons aussi qu'une carte représentant
un ermite se trouve dans le jeu de tarot servant à prédire
l'avenir, preuve que le personnage à plus que jamais fasciné.
Il symbolise la connaissance et la lumière, tenant une
lanterne à la main, mais aussi la magie
Enfin, nous avons fait rentrer dans cette catégorie le
forgeron, haut personnage s'il en est. Nous l'assimilons en effet
à la nature car il connait les moyens naturels de la pratique
des alliages des métaux, qui se font par des procédés
certes scientifiques, mais que l'on retrouve dans la nature. Le
forgeron travaille le fer, il travaille une matière no-ble
que l'on crée. Depuis toujours ce personnage semble avoir
joué un grand rôle dans la vie quotidienne humaine,
mais aussi divine. Hé-phaïstos, le dieu grec boiteux
dont la forge était un cratère de volcan, était
forgeron et a fabriqué la plupart des armes divines. Des
créatures fantastiques avaient aussi la réputation
de savoir manier le fer : le cé-lèbre marteau du
dieu scandinave Thor avait été forgé par
des nains, tout comme la lance magique d'Odin. Ainsi, le forgeron
a participé à sa façon à la création
du monde, un peu comme le croit certaines tri-bus, notamment les
montagnards du Viêt-Nam. En Chine, la forge est en relation
directe avec le monde céleste . Cependant, et même
s'il a un pouvoir particulier qui le place souvent en égal
du chef de village ou de tribu, il n'en reste pas moins un être
au contact du monde sou-terrain, car c'est de là que va
provenir le métal qu'il travaille. Le monde souterrain
est le domaine de l'enfer, du diable et des forces in-fernales.
En ce sens, il s'oppose ainsi à Dieu qui lui règne
en maître sur les cieux. Le feu de la forge est un feu souterrain,
ce qui en fait un feu infernal. Ainsi, la forge perd ici son aspect
initiatique au profit d'une valeur beaucoup plus péjorative.
Notons aussi que la plupart des forgerons avaient un handicap
et étaient souvent boiteux. Rappelons-nous tout ce que
nous avons déjà dit sur un personnage atteint de
claudication ! Ce fait va aussi rapprocher du coup le forgeron
de cer-taines créatures diaboliques que ses ancêtres
pouvaient avoir eu. Hé-phaïstos n'avait-il pas les
cyclopes à son service dans son monde souterrain ?
Le forgeron est donc créateur. Il manipule des métaux
qu'il trouve souvent dans le domaine souterrain, qui est aussi
une composante de l'Autre Monde. Il connait la cosmographie, il
est réputé pour être créateur en partie
du monde et certaines sociétés le place au sommet
de l'ordre hiérarchique à l'égal d'un chef
40. Cependant, d'autres tra-ditions, notamment irlandaise, le
place dans le curieux rôle d'un gué-risseur et il
n'était pas rare qu'on lui offre des fruits ou des têtes
d'animaux abattus. Mais c'est bel et bien sur l'Europe continentale
que son rôle de sorcier, associé à celui allant
de pair avec cette fonc-tion, de guérisseur, que cela est
le plus présent. Nombre de rituel ont lieu en présence
d'un sorcier que l'on dit invulnérable au feu : grâce
aux braises de sa forge ou aux éclats de métaux,
il peut guérir celles et ceux qui ont besoin de ses services
.
Les métiers artistiques étaient également
très mal perçus. Nous nous y attarderons cependant
très peu au vu du peu d'informations dont nous disposons.
Quatre métiers sont en effet en rapport direct avec la
sorcellerie dans nos régions. Les quatre ont un lien avec
la mu-sique.
Le premier est tout simplement musicien. Il a mauvaise réputation
car il invite à la débauche les jeunes gens qui
écoutent la musique qu'il joue. Cette débauche fait
ainsi directement échos aux sabbats, ces grandes et fameuses
réunions de sorciers et sorcières sur lesquelles
nous nous attarderons plus longtemps tout à l'heure.
Le second est vielleux, c'est-à-dire le joueur de vieille.
La vieille est un instrument de musique à part : il a souvent
été l'apanage et la personnification même
de la mort. La mort est souvent représentée comme
un squelette jouant de la vieille, et la réputation de
cet instru-ment a parfois aussi été en rapport avec
l'ensorcellement. Quelqu'un qui écoutait jouer un vielleux
risquait son âme.
Le troisième est le cornemusier, c'est-à-dire le
joueur de corne-muse. Il est d'ailleurs assez étrange de
retrouver ce genre d'instrument de musique dans nos régions
qui ne sont pas à tendance forcément an-glo-saxonne.
La cornemuse est l'instrument écossais par excellence,
mais on en retrouve aussi certains joueurs en Bretagne. Elle a
toujours symbolisé le mal et restait un instrument guerrier,
et dont on se servait aussi lors des funérailles. La cornemuse
devenait ainsi un instrument de mort.
Le dernier, enfin, était le métier d'animateur de
bal, qui lui aussi invitait les jeunes gens à la débauche.
L'animateur de bal était un chanteur, qui, par ses chants,
pouvait facilement ensorceler les gens. La chanson a très
souvent été apparenté à un rituel
magique qu'il fal-lait décrypter. Ainsi, un animateur de
bal, un chanteur populaire, pou-vait parfaitement envouter et
charmer celles et ceux qui avaient le malheur de l'écouter
Ainsi, nous voyons se profiler ici toute une caste sociale dont
la musique est partie intégrante. Cela rappelle un mythe
: celui de la danse macabre, exécutait par différents
squelettes ou morts vivants et dans laquelle il n'était
pas bon de se laisser entraîner. La danse maca-bre était
la danse des morts qui attiraient les vivants en les prenants
par la main, les soirs de pleine lune dans les cimetières.
Ainsi, cela prouve bien que musique et chant étaient toujours
associées à une sorte d'interdit tenace en rapport
direct avec les forces obscures et la mort.
Les métiers concernant les choses viles ou rebutantes clôtureront
cette longue partie introductive. Il y a beaucoup de choses à
dire. Il était considéré comme métier
vil ou rebutant ceux que personne, ab-solument personne, ne voulait
pratiquer, mais qui étaient malgré tout nécessaire
au bon fonctionnement d'une société proche de la
nôtre, mais dont certains besoins n'étaient pas les
mêmes.
Les vagabonds, en premier lieu, étaient ceux dont il fallait
se mé-fier en priorité car dépositaire du
mauvais il. Le vagabond est celui qui reste et qui repart,
celui qui n'a pas de domicile, celui dont on ne sait pas d'où
il vient, ni quel âge il peut avoir, celui dont on ne sait
rien. Il a enflammé les imaginations par sa présence
: si l'on ne sait pas d'où il vient, c'est qu'il peut donc
venir de n'importe où
Y compris de l'enfer ! Notons
aussi que si le vagabond est celui qui voyage, celui qui s'est
arrêté à différents endroits, c'est
qu'il a certai-nes connaissances qui lui ont été
fourni par certains peuples inconnus et qu'il pourrait éventuellement
transmettre
Ou utiliser pour faire le mal !
Les nomades, pour à peu près les mêmes raisons,
avaient la même réputation. Voyageant de ville en
ville, voire de pays en pays, il était aussi le dépositaire
d'un savoir inconnu, celui d'autres contrées et d'autres
peuples, un savoir qu'il pouvait utiliser là aussi pour
faire le bien ou le mal là où il s'arrêtait.
Le taupier, celui qui est donc au contact de la terre, porte en
son nom l'animal auquel il se rapporte : la taupe, qui elle aussi
creuse des galeries souterraines dans les jardins par exemple.
Cet animal a une connotation de malheur : il reste celui qui est
au contact de la terre donc du domaine infernal, mais la taupe
est aussi un animal dont on se sert dans la pratiques de certains
rituels et dans la conception de divers talismans. Son cur
monté en amulette protège des voleurs, ses os éloignent
les maladies, sa langue fait revenir la mémoire et ses
pattes portent bonheur . Notons également que le monticule
de terre que ré-alise une taupe en grattant portent souvent
malheur : une motte dans une cuisine entraînera immanquablement
la mort de la maîtresse de maison. Si elle apparait sous
un cep de vigne, le propriétaire du vi-gnoble mourra. La
voir en rêve est annonciateur de grêle ou d'orage.
Enfin, croiser une taupe sur un chemin est un tel présage
de malheur qu'il faudra réaliser le signe de la croix pour
conjurer le mauvais sort
La taupe, animal diabolique ?
Les pauvres rentraient eux aussi dans cette catégorie.
Pauvre n'est pas, bien entendu, un métier. Le pauvre, à
une certaine époque, était celui qui ne vivait de
rien, qui ne possédait rien mis à part les vête-ments
qu'il avait sur son dos. Toujours à l'écart du groupe,
vivant souvent en paria de la société, il intriguait.
Quelles pouvaient donc être les raisons d'une telle pauvreté
? La ruine ? Une mauvaise conduite ? Ou bien alors ses maigres
possessions avaient-elles été sai-sies par le diable
lui-même ? Tant de questions qui pouvaient intriguer les
esprits. Le pauvre, même s'il ne possédait rien,
pouvait en revan-che avoir les richesses spirituelles qui s'opposent
aux matérielles : ainsi, il possèdera malgré
tout une certaine connaissance des artifices qui permettront de
fabriquer talismans ou amulettes. Vivant très sou-vent
au contact de la nature, il sera lui aussi le dépositaire
de ses se-crets. Couchant la nuit dans bois et forêt sauf
si une âme généreuse ou, du moins pas trop
craintive, lui a ouvert sa porte, il connaît les créatu-res
fantastiques et leur savoir. Bref, le pauvre, au même titre
que les autres, est souvent un serviteur du diable.
Le mendiant est associé lui aussi au pauvre. La mendicité
est pour-tant très souvent liée à des choses
plutôt bénéfiques : c'est ; entre au-tres,
l'un des piliers de l'Islam (appelé aumône). Plusieurs
légendes du plateau ardéchois circulent sur le fait
que l'enfant Jésus lui-même a demandé l'aumône
par chez nous, mais il a toujours trouvé porte close, ce
qui a entraîné des évènements terribles
. Il est celui dans nos régions autant ardéchoises
que drômoises qui intrigue. Lui aussi est pauvre, mais vient
réclamer, vient demander. Qui sait ce qu'il pourrait se
passer si on refuse de lui donner ce qu'il désire ? Qui
sait quels malheurs pourraient tomber sur nos foyers ? Le mendiant
ne se sert-il pas de ce qu'on lui offre pour fabriquer ou concocter
des potions peu recommandables ? Et puis, d'où vient-il
? De quelle contrée, de quel pays ? De quel savoir dispose-t-il
? Il n'est pas d'ici, il est d'ailleurs
Il est lui aussi
dépositaire d'un savoir qui nous est inconnu
Les bohémiens sont une catégorie vraiment à
part car dans cette partie, nulle autre catégorie n'a autant
cristallisé les rancurs. Les bo-hémiens (ou
tziganes) sont passés véritablement par toutes les
discri-minations possibles et inimaginables autant dans nos contrées
qu'ailleurs en France. Certaines idées ayant la vie dure,
certaines idées reçues sont encore présentes
de nos jours : ne les traite-t-on pas encore de " voleurs
de poules " ? Quoi qu'il en soit, le personnage a malgré
tout fasciné : son teint de peau si particulier en a fait,
dans l'imaginaire populaire, un être sorti tout droit de
l'enfer. Leur langue mystérieuse, parlée par aucun
autre, semblait être une langue diaboli-que. Ils vivaient
en plus à l'écart de la communauté, ce qui
en faisait donc des êtres à part, des parias refusant
la norme humaine 45. Ils étaient de surcroit passé
maîtres dans les arts divinatoires, en particu-liers la
lecture des cartes et la chiromancie, ce qui bien entendu n'aidait
pas à discréditer la thèse qui faisait d'eux
des serviteurs du démon. Certaines régions les considéraient
d'ailleurs comme tels : des démons ayant pris forme humaine
mais ayant gardé leur teint basané, symbole de leur
appartenance au monde infernal . Les femmes des bohémiens
étaient accusés de se livrer au cannibalisme, de
voler des enfants
Bref de pratiquer toutes sortes de choses
épouvantables. Notons que certaines traditions font des
bohémiens les descendants di-rects de Caïn, le premier
meurtrier de l'histoire qui a assassiné son frère
Abel, et qu'ils ont ainsi gardé la peau noire en raison
de leur pê-ché . Aux XIXe et XXe siècle, la
réputation entourant les bohémiens était
encore tenace : en Bretagne, on ne s'approchait pas de l'endroit
où ils étaient enterrés, et on disait que
dans tous les lieux où ils s'arrêtaient, une épouvantable
puanteur se dégageait. Leur parler por-tait malheur
Le bohémien a véritablement cristallisé toutes
les rancurs d'une époque. Aimant vivre à l'écart
de la communauté humaine, disposant de pratiques ancestrales,
leur teint de peau étant halé, ils n'avaient vé-ritablement
rien pour eux
Discriminés, chassés, souvent
tués ou torturés, le peuple tzigane a littéralement
souffert et continue de souf-frir
Les superstitions ont
décidemment la vie bien dure dans un siè-cle prétendu
fait de raison !
Le dernier corps de métier que nous allons voir et celui
de char-bonnier. À une époque où l'électricité
n'était pas connue et le pétrole pas employé,
le charbon restait le seul et unique moyen de chauffage. Charbon
de bois certes, que l'on extrayait des mines, mais aussi la tourbe
ou tout autre moyen naturel de chauffage. Le charbon est rem-pli
de symbolique. Il est la force du soleil emprisonné au
sein de la terre. Ardent, il est une force matérielle ou
spirituelle contenue. Il ré-alise une sorte de transmutation
alchimique en passant du noir au rouge .
Dans les divers folklores français, le personnage du charbonnier
a toujours été considéré péjorativement,
voir même négativement. Cela semblait être
dû à deux faits : sa noirceur, qui le faisait passer
pour un être diabolique, et son odeur de brûlé,
de combustible, qui rappelait les exhalaisons infernales. Il était
ainsi assimilé à la mort, et sa relation avec cet
élément qu'est le charbon faisait de lui un être
à part. Le charbonnier avait ainsi notamment la faculté
de voir les fantômes et de converser avec les morts. Il
pouvait entendre les chasses fantastiques. Il était aussi
le gardien du feu : nombre de mauvais esprits pouvaient ainsi
essayer de l'éteindre pour l'importuner . Le charbonnier
fait ain-si figure de gardien tutélaire. Chose plus intéressante
en ce qui nous concerne, notons que le charbonnier pouvait aussi
passer pour avoir des dons de guérison .
Ainsi le charbonnier fait lui aussi figure de paria. Considéré
comme un être à part, un peu comme le forgeron, il
est lui aussi assimilé à l'alchimie. Il transforme
les éléments en maîtrisant une chose aussi
capricieuse, changeante et sacrée que le feu. C'est pourquoi
on le connote péjorativement, il est lui aussi en écart
de la société. Ceci étant, il fascine tout
autant qu'il répugne
Arrivé au terme de cette première partie, il apparait
nécessaire de faire plusieurs constats. Tout d'abord, nous
pouvons noter que ce que l'on peut appeler le vivier infernal
est énorme. Beaucoup de gens pou-vaient ainsi basculer
du côté de la sorcellerie. Notons aussi que la normalité
n'est pas de mise : sont accusés de tous les maux les per-sonnes
ne rentrant pas dans un cadre ou un moule. Tout ce qui est en
rapport avec le sang, la mort ou la nature est mal vu. Pourtant,
même si la plupart des métiers par exemple cités
ci-dessus sont vils, on a be-soin de ces gens. Le charbonnier
est recherché pour se chauffer, le boucher pour se nourrir,
le tisserand pour se vêtir, et ainsi de suite
Ces personnages rentraient en fait eux aussi dans une norme, à
cette différence près que leurs métiers pouvaient
à n'importe quel moment les faire basculer. La norme étant
ainsi rompue, ils ne rentraient plus dans un cadre dit normal
et se trouvaient bannis de la société hu-maine
Deuxième partie :
De l'influence de certaines pierres
Le sorcier étant reconnu et identifié, il apparait
bon et logique de s'intéresser maintenant dans diverses
grandes parties sur les différen-tes manières qu'il
utilisait pour réaliser ses guérisons ou ses méfaits,
les formules qu'il utilisait pour envoûter un pauvre être
humain ou en-core comment il pouvait s'y prendre pour passer un
pacte démoniaque ou au contraire se prémunir contre
une attaque diabolique.
Le sorcier avait ainsi pour commencer la connaissance des pierres.
Ce fait est avéré depuis très longtemps maintenant
: les différentes an-tiquités prêtaient de
grandes vertus aux pierres, y compris ce que l'on nomme les pierres
dressées comme les menhirs ou les dolmens. No-tons ainsi
que le territoire Drôme-ardéchois compte plus sur
son terri-toire de menhirs et de dolmens que la Bretagne ! Nous
tenterons d'expliquer cette bizarrerie
La science des pierres
s'est transmise ainsi d'époques en époques, de générations
en générations jusqu'à nos jours, retranscrites
précieusement dans ce que l'on nomme les lapidai-res. Véritables
concentré de savoir, les lapidaires étaient un catalogage
des différentes vertus accordés aux différents
minéraux.
Nous nous attaquons ici à un véritable monument
de l'histoire fol-klorique de nos deux départements. Les
pierres de différentes sortes et aux différentes
vertus sont présentes sur notre territoire. C'est-ce que
nous allons essayer de démontrer ici.
Les pierres dressées
Qu'est-ce que nous appelons pierres dressées ? Il y en
a plusieurs sortes, et deux en particulier, que j'ai déjà
nommé, retiendrons donc notre attention ici : les menhirs
et les dolmens. Le rôle de ces pierres est encore bien mal
connu en vérité. Si plusieurs théories ont
été avan-cées, aucune ne semblent vraiment
satisfaisantes. On a dit que les menhirs servaient à une
sorte de calendrier lunaire, ou solaire. On a dit aussi qu'ils
ont servi aux cultes de diverses divinités. Finalement,
certains esprits éclairés ont fini par affirmer
que les menhirs " ne ser-vaient à rien ". Bien
entendu, nos ancêtres celtes se sont amusés, pour
rire, à planter des pierres droites sur le sol, réalisant
parfois plusieurs kilomètres pour réaliser cela.
Nous avons bien entendu ici une nou-velle preuve de l'absurdité
de certains chercheurs : les celtes n'ont pas existé, barbares
ils étaient, barbares ils sont, barbares ils seront ! Fan-tastique
et lumineuse ouverture d'esprit ! Les menhirs n'ont visible-ment
pas que servi à mettre en valeur ce sympathique personne
de bande dessinée qu'est Obélix ! Ils avaient une
signification certaine-ment bien plus profonde et une utilité
qui pour le moment semble nous dépasser. Il y a une recherche
à réaliser visiblement ailleurs : n'oublions pas
que les druides, ces fameux prêtres celtes, pratiquaient,
comme le dit César lui-même dans La Guerre des Gaules,
le sacrifice humain pour s'attirer la bonne fortune ou les victoires
militaires. Les menhirs avaient-ils une fonction sacrée
?
Les dolmens semblent eux avoir dévoilés certains
de leur secret. En Drôme et en Ardèche, ils se composent
pratiquement toujours de la même façon : deux pierres
dressées sur lesquelles repose une grande pierre plate
faisant en quelques sorte office de table. Une troisième
pierre dressée se trouvait derrière les deux autres,
fermant ainsi l'ensemble. Nous avions ainsi une sorte de table
fermée. De récentes fouilles ont permis de prouver
que ces dolmens avaient une grande utilité puisqu'ils semblaient
servir de tombe funéraire. Des cadavres ont été
retrouvé enterrés sous les dolmens. Cela n'est pas
spécialement étonnant : les hommes préhistoriques
réalisaient des funérailles pour rendre un dernier
honneur aux morts. Les celtes ont poursuivi cette démarche
en honorant ces monuments, ce qui est ainsi étonnant pour
un peuple barbare
Menhirs et dolmens jalonnent ainsi les paysages de nos deux dé-partements.
Certains sont encore parfaitement conservés, d'autres,
en revanche, sont tombés en ruine mais ont été
pour la plupart restaurés. Ils ont subi un lent processus
de christianisation : la plupart des men-hirs ont été
mis à bas par les représentants de la religion nouvelle
qu'était la chrétienté à l'époque
et ont y a gravé une croix dessus pour " exorciser
" la pierre et les croyances obscures auxquelles elle pou-vait
être liée. Les exemples sont légions, au contraire
des contres exemples : ainsi, le site de Sainte Abeille, que cite
Jean-Marc Gardès semble avoir gardé une étrangeté
toute païenne. Pour faire cesser les vieilles croyances qui
prétendaient que les vieilles pierres du lieu avaient le
pouvoir de guérir les maux d'oreilles, on encastra l'une
de ces pierres dans un mur de l'église . Menhirs et dolmens
ont donc toujours pullulé sur nos deux départements
tant et si bien qu'un petit ouvrage a été consacré
sur le sujet. Il nous démontre entre autres que certains
lieux possédants une de ces fameuses pierres portent des
noms assez révélateurs : ainsi, à Champvermeil,
près de la commune de Bidon, on trouve un ensemble de dolmens
connus sous le nom de Plourouses (pleureuses) . Nombre de ces
pierres sont ainsi associés à des légendes.
Le terme plourouse, signifiant donc pleureuse, est ainsi révélateur
: qui, ou quoi pouvait-on donc venir pleurer sur ces pier-res
? Pleurer ou se lamenter pour une guérison ? N'oublions
pas que nous sommes en présence de pierres dressées
druidiques, pour certai-nes, et donc assimilés à
un pouvoir de guérison.
D'autres pierres dressées auxquelles on vouait un culte
sont pré-sentes un peu partout, même si la Drôme
semble en net repli en termes de légendes sur le sujet
que l'Ardèche. Ces pierres dressées, nommées
très souvent rochers dans les récits folkloriques,
semblent être la de-meure de bien curieuses créatures.
Près des mégalithes (le terme est ici révélateur,
un mégalithe étant généralement l'autre
nom du menhir) de Dissonenches se trouvait un curieux personnage
féminin qui battait, puis lavait son linge. Malheur à
celui qui s'approchait ou lui deman-dait son aide ! Notons, la
remarque est ici fort judicieuse, que cette créature étrange
se trouve près d'une fontaine appelée Curo Biasso
. La même chose avec la même créature se retrouve
prés de Saint-Pierre-Le-Déchaussat où cette
fameuse laveuse de linges fait entendre son battoire près
d'un amas de rochers . Là aussi le lieu cela semble se
situer vers une source ou, du moins, un jet d'eau assez bizarres.
Laco-nique, Jean Durand précise, sans chercher plus loin
à propos de la la-veuse de linge de Curo Biasso : "
ils en avaient de l'imagination ces anciens ! " Vive le bizarre
! Et bien intéressons-nous à cette bizarrerie laissée
de côté. Notons tout d'abord que ce personnage n'est
pas issu de l'imagination pourtant très fertile de nos
anciens mais certainement d'un mythe aussi vieux que le monde
lui-même. Les anciens de Breta-gne avaient certainement
la même imagination que nos anciens ardé-chois ou
drômois puisque cette étrange laveuse de linge se
retrouve elle aussi dans cette région ! Ce personnage est
connu dans nos légen-des sous l'appellation de lavandière
de la nuit. Ce sont des âmes dam-nées pour avoir
tué leur enfant et elles sont condamnés à
jamais à la-ver dans un cours d'eau le linceul du bébé
pour expier leur faute. Mal-heur à qui proposera leur aide
!
Une fois ces personnages cernés, personnages comme nous
l'avons vu hautement maléfiques, il faut s'intéresser
à la présence étrange de ces rochers qui
sont incontestablement des pierres dressées. Le terme mégalithe
est lâché pour Dissonenches, nous savons donc déjà
à quoi nous en tenir. Ces rochers se situent tous prés
de fontaines ou de sour-ces, sans nul doute miraculeux et permettant
la guérison. Ainsi, la pierre dressée prend la fonction
de la guérisseuse des maux divers, prenant le pouvoir de
l'eau miraculeuse. Nous assistons ainsi à de vé-ritables
processions vers ces dolmens, orchestrés par le sorcier
ou re-bouteux local, remplacé par la suite par le prêtre
ou le curé. Nombre de ces fameuses pierres ont ainsi été
christianisés et ont perdu de leur fonction druidique originelle
pour devenir des roches miraculeuses : on a rajouté, surélevé
ou gravé sur ces pierres une croix ou un sym-bole chrétien.
Les noms ont été christianisé également
et les pierres miraculeuses sont devenues des pierres saintes.
Les exemples sont lé-gions : un groupe de rochers prés
de Lalouvesc, dessinant vaguement une silhouette humaine, est
devenu le lit de Saint Régis. Comme de bien entendu, une
croix a été dressé juste à côté
L'exemple de Fau-gères est encore plus frappant : une pierre,
carrément nommée pierre du Gaulois, est surmonté
depuis une centaine d'année d'une croix lui aussi
Ces précautions semblaient malgré tout bien inutiles
: il n'était en effet pas rare d'entendre, surgi d'un très
lointain passé, près du cromlech de Soulages, retentir
les voix et les chants des druides
Fantômes venant
ici pour pratiquer les rituels exécutés de leur
vivant ? Possible
Dans ce cas, cela accréditerait
fortement la thèse des pier-res guérisseuses !
Le pouvoir guérisseur de ces pierres dressées est
attesté dans plu-sieurs communes ardéchoises. Ainsi,
l'église de Lachamp Raphaël a été construite
sur un dolmen. Nous avons une nouvelle fois ici la preuve de la
christianisation que nous avons évoquée plus haut.
Il était conservé dans cette église une dalle
noire, certainement la table du dolmen et qui avait une étrange
propriété : elle pouvait redonner la santé
aux enfants chétifs. Pour cela, l'enfant susdit devait
être placé sur la pierre et le prêtre, faisant
ici office de druide des temps obscurs, récite les évangiles.
Si l'enfant fait pipi sur la pierre, il guérira . Nous
avons ici la parfaite illustration d'un rite ancestral, certainement
im-mémorial, qui a était christianisé. Le
prêtre fait véritable office de druide et prend le
rôle de guérisseur ou de sorcier en utilisant la
pierre comme médium. L'urine produite par l'enfant est
une purgation sym-bolique : le mal, cause de son aspect chétif,
s'écoule avec le liquide.
Près de Saint-Marcel d'Ardèche se trouve une église
qui, là encore, a été construite au-dessus
d'un dolmen. La table principale de l'ancien monument celte a
été utilisé dans un but particulier : située
dans l'église elle-même, on y étendait toutes
personnes souffrant de mala-dies de peau et leur corps était
roulé ainsi. Généralement, les malades laissaient
là en remerciement leurs anciens vêtements. Cette
pratique a été signalée jusqu'en 1967 . Ici,
la pierre, sacralisée une nouvelle fois, permet de guérir
une affliction directement en rapport avec le corps. Puisque c'est
la peau qu'il faut soigner, il est logique de penser dans ce cas
que le pouvoir réside en la pierre elle-même. C'est
son contact, contre celui de la peau du patient, qui fera guérir.
Le fait de laisser ses vêtements n'est pas non plus innocent
: le patient réalise ainsi une double chose. Une offrande
tout d'abord, qui rappelle curieusement le genre d'offrandes que
l'on peut faire à une divinité païenne, mais
c'est aussi une façon de sortir de l'église comme
quelqu'un de nouveau. Les vêtements ne sont-ils pas une
seconde peau ?
Nous citerons rapidement un troisième exemple. La commune
du Roux abritait une pierre gauloise qui servait à guérir
les maux d'oreilles. Cette pierre a eu un dessein bien particulier
puisqu'elle fut recueillie par des moines alors qu'elle semblait
destinée à la base pour célébrer le
culte d'un dieu gaulois, Obélio. Nous sommes une nouvelle
fois dans l'exemple de christianisation que nous citons sans cesse
dans cette partie
Les menhirs semblaient, quant à eux, de par leur forme
phallique, servir à des cultes de la fécondité,
mais au sens large du terme : fé-condité sexuelle
certes avec la joie de voir un foyer s'agrandir un jour, mais
aussi richesse en tout genre
Nous avons donc un premier aperçu des pierres et de leurs
diffé-rents rôles dans nos régions. Elles
ont une signification très lointaine, qui font échos
à un passé ou le Dieu chrétien ne régnait
pas en maître. Elles sont les échos d'un passé
fait de traditions respectables et que la critique, hélas,
méconnait ouvertement et consciemment
Les pierres à cupules
Nous entrons ici dans un domaine proche de celui que nous avons
évoqué plus haut. La pierre à cupules, ou
pierre à empreintes, est sur-tout beaucoup plus présente
en Ardèche, même si la Drôme en compte quelques-unes
sur son territoire. Elle renvoie à une époque très
loin-taine, certainement celui des premiers hommes en Drôme
et Ardèche. N'oublions pas, et comme l'a si magistralement
démontré Jean Clot-tes, les hommes préhistoriques
pratiquaient eux aussi une sorte de sor-cellerie proche du chamanisme
. Ces pierres, véritables curiosités de nos régions,
ont souvent eu un rôle méconnu. On a d'abord cru
qu'il s'agissait phénomènes naturels, mais cette
idée fut rapidement balayé par les études
modernes. La pierre à cupules est en fait une sorte de
trou creusé à même la roche, présentant
ainsi une sorte de " cuve ". Elles faisaient généralement
une dizaine de centimètres de profondeur et entre cinq
et sept centimètres de large. Elles se remplissaient d'eau
lors des pluies et des orages, ou bien étaient remplies
par les person-nes appropriées pour servir une sorte de
culte. Car la pierre à cupule servait à guérir
: il n'était pas rare de voir des processions entières
se diriger vers les endroits comportant ce type de pierre afin
de couvrir les blessures de l'eau contenue à l'intérieur,
réputée curative. Les lieux où se situent
ces pierres portent tous des noms plus ou moins évocateur
: pierre de Gargantua, pierre des fées, pierre du Ganel
Fait du hasard ? Peut-être pas : il faut analyser ces noms
pour se ren-dre compte qu'elles sont associées à
diverses légendes plus ou moins sombres
Ces lieux ont, par la suite et comme les pierres dressées,
été chris-tianisés et ont été
voués au culte des saints prétendus guérisseurs.
La sacralisation des lieux a une nouvelle fois fait son uvre
: on a voué à la religion des lieux païens
et les légendes entourant ces endroits ont été
enjolivés pour correspondre à un idéal religieux.
Ainsi, les pierres à cupules sont devenues " l'empreinte
de Saint Martin ", " le berceau de Saint François
Régis " et bien d'autres choses encore
Il est
ce-pendant intéressant de noter que certains lieux, comme
ceux que nous avons cité plus haut, ont conservé
certains noms évocateurs que nous pourrions éventuellement
interroger pour tenter de comprendre un peu leur histoire
La pierre à cupules contient donc ce l'eau, car contrairement
aux pierres dressées déjà évoquées
plus haut, elles ne subissent pas les ou-trages du temps. Ainsi,
si un menhir peut être mis à bas et un dolmen s'écrouler,
la cupule restera à jamais creusée dans le rocher.
C'est certainement cette eau, associée au pouvoir de la
pierre, qui pouvait amener la guérison du patient. Cela
passait par un rituel immuable qui était toujours dirigé
par un personnage mystique qui faisait figure de guérisseur-sorcier.
Une procession s'installait et on menait le patient jusqu'à
la pierre à cupule dans laquelle on trempait la partie
malade du corps. On pouvait également l'asperger d'eau.
Quoi qu'il en soit, ces pratiques sont immémoriales : les
datations des cupules remontent à des milliers d'années
et il est attesté qu'elles faisaient partie d'un culte
que l'on associait aux dieux du soleil et des sources.
La meilleure des définitions que l'on peut donner des pierres
à cupules est fournie par Gabrielle Sentis qui déclare
que ce sont " des roches, marquées de trous réguliers,
plus ou moins grands qui se re-trouvent d'un bout à l'autre
des Alpes et du Vivarais ". Cette expli-cation est hautement
intéressante car elle démontre une origine vrai-semblablement
lointaine de ces pierres, mais aussi une origine commune. Il y
a eu une communication. Fait étrange, on a retrouvé
traces de ces pierres à cupules dans toutes autres régions
du monde comme dans l'Himalaya. Que peut-on penser ? Une origine
commune d'anciens rites indo-européens semblent bel et
bien être présents ici
Les pierres à cupules ne sont pas isolées : on les
retrouve par grou-pement souvent anarchique de trois, quatre et
jusqu'à huit pierres par zones
Un tel foisonnement
ne peut que laisser perplexe. Si, en re-vanche, on interroge les
noms associés à ces endroits, on va se rendre compte
que nous sommes en présence d'un véritable "
hôpital " : tel pierre est en rapport avec un pied,
une autre en rapport avec la tête, une dernière avec
la main
Ainsi, chaque cupule possède son propre pouvoir
guérisseur. Certaines de ces cupules, présentes
sur un même et unique rocher, étaient reliées
entre elles par des sortes de petits ca-naux, ce qui montre certainement
une communication entre elles, cer-tainement pour tenter de conserver
le pouvoir guérisseur et qu'il ne se perde pas. Notons
aussi que les cupules étaient utilisées pour certains
sacrifices d'animaux ou de plantes
Il est aussi une tradition
beau-coup plus sombre : certains prétendent en effet que
les cupules ser-vaient à recueillir le sang d'une victime
humaine sacrifiée au-dessus du rocher. Le sang coagulait
ainsi et le prêtre, en l'occurrence ici le druide, récoltait
une sorte d'hostie, constituée de sang séché,
qu'il pouvait distribuer à ses fidèles
Beaucoup d'exemples mériteraient d'être cité
ici, mais nous ne re-tiendrons que ceux qui sont frappants pour
cette étude. Les pierres à cupules sont tellement
nombreuses en Drôme et Ardèche qu'elles sont présentes
pratiquement de partout. Notons cependant que les environs de
Peaugres, en Ardèche, sont particulièrement fournis
À Arlebosc se trouve une pierre à cupules fort intéressante.
Située à l'entrée de la chapelle locale,
dite de Saint-Just, elle semble faire par-tie intégrante
d'une sorte de socle en pierre très ancien. Quelques mè-tres
plus loin on retrouve plusieurs autres cupules que la légende
lo-cale a baptisées les " petits berceaux ".
Fait étrange, il était dit qu'en cet endroit étaient
réalisés des sacrifices de bébés
Second fait étrange, la chapelle de Saint-Just est consacré
à une sorte d'ersatz de Saint-Nicolas, protecteur des enfants
Voilà une légende digne d'intérêt qui,
en fait, présente plusieurs choses. Les pierres à
cupules sont visiblement antérieures aux celtes, mais nous
savons que ces derniers les ont malgré tout utilisés.
Nous savons aussi, et Jules César le mentionne parfaitement
et clairement dans sa Guerre des Gaules, que les druides pratiquaient
le sacrifice humain pour s'attirer les bonnes faveurs des dieux
avant de partir en guerre. Le socle en pierre faisant partie de
l'entrée de l'église semble avoir joué un
rôle plutôt inquiétant, vraisemblablement celui
d'autel
Un autel à sacrifices païen que l'on
aurait intégré à l'église dans le
but de le purifier et de le christianiser ? Une autre chose doit
nous mar-quer : il est dit dans cette histoire que les pierres
à cupules des lieux avaient pour fonction de recueillir
le sang de bébés sacrifiés. Nous verrons
plus tard dans cet ouvrage la symbolique du sang dans les re-mèdes
anciens, mais notons simplement ici que les lieux ont gardés
les souvenirs de cette période puisque les pierres à
cupules sont claire-ment nommées " petits berceaux
"
La présence de cet ersatz de Saint-Nicolas
au sein de la chapelle ne peut qu'interpeller : Saint-Nicolas,
toujours accompagné de son âne et représenté
avec plusieurs enfants est en effet le saint patron de ces derniers
Alors, figure tu-télaire veillant au repos des âmes
des bébés sacrifiés ici ? Consécra-tion
d'un lieu placé sous la tutelle d'un saint protecteur,
qui n'est pas n'importe lequel ? Nous sommes ici incontestablement
en présence d'un temple païen christianisé
par la construction d'une bâtisse à fonction religieuse.
À Arcens se trouve la chapelle Saint-Julien. Cette chapelle
est construite sur une pierre à cupules en forme de bassin.
Elle est entou-rée d'une légende assez curieuse
aux motifs plutôt étonnants. Trois frères,
du nom de Julien, Martial et Andéol, décidèrent
un jour de se faire ermite. L'un partit à Saint-Martial,
l'autre à Saint-Andéol de Fourchades et le dernier
resta à l'endroit où il était. Ils décidèrent
d'allumer chaque soir un feu devant leur ermitage. Un soir, celui
de Julien ne s'alluma pas : il était mort
En hommage,
la chapelle fut élevée en sa mémoire
Nous ne pouvons que rester perplexe face à une telle légende
qui soulève tout un nombre d'interrogation. Elle renvoie,
de par deux énormes points communs, à l'une des
légendes les plus célèbres du Moyen Âge
et à l'un des romans les plus célèbres de
cette période : Le conte du graal de Chrétien de
Troyes
Deux énormes points communs donc qui renvoient à
l'uvre la plus célèbre de l'univers du célèbre
écrivant champenois médiéval. Tout d'abord,
notons que Julien fait partie d'une fratrie de trois frères.
Pouvons-nous supposer qu'il s'agit du dernier ? Nous ne nous avance-rons
pas car la légende n'est pas exposée dans sa totalité
mais cela ne serait guère étonnant. Deuxième
fait étrange, les trois frères devien-nent ermite
et vivent en forêt, comme notre héros médiéval
qui, dans un autre texte littéraire (La Quête du
Saint Graal ), finit ses jours seul et en ermite
Deux points
communs aussi énormes que cela ne peu-vent qu'interpeller.
Il y a là matière à creuser sur les origines
celtiques des romans médiévaux
Mais ce fait
peut être encore accentué. Si l'on se penche très
attentivement sur cette légende, une chose est vé-ritablement
frappante : la présence du feu, qui est ici protecteur
et bé-néfique. Un feu qui s'éteint est synonyme
de mort pour l'un des frères. Il devient par conséquent
aussi un moyen de communication : c'est par l'absence de feu que
l'on sait que Julien est passé de vie à trépas.
Nous sommes ici incontestablement en présence d'un culte
solaire, comme l'avait deviné Pierre Ribon . La lumière
est un véritable hommage au soleil protecteur, elle se
substitue à l'astre du jour pour conserver la vie. Ces
feux sont indéniablement allumés pour un autre but
que celui de signaler la vie. Ce sont de véritables hommages
à la lumière, des sortes de témoignages anciens,
mais christianisés, des vestiges d'un autre temps où
l'homme croyait au dieu solaire. La lé-gende totale doit
montrer que Julien, sans doute le troisième frère,
est mort dans la nuit du 21 décembre
En conséquence,
les cupules de ces lieux semblaient donc être primitivement
consacrés à l'usage des feux
Peut-on penser
que, à l'instar des trois frères, des feux y étaient
allumés chaque soir par nos ancêtres ?
Signalons en dernier exemple la présence à Saint-Marcel-d'Ardèche
d'une pierre à cupules qui permettait de guérir
les enfants grognons. Le 28 août, jour de Saint-Augustin,
les enfants étaient ame-nés prés de cette
cupule remplie d'eau. On lui plongeait la tête à
l'intérieur et on lui administrait une solide fessée.
Il fallait, pour sa guérison, qu'il pleure afin que son
aspect grognon s'en aille
Beaucoup de choses sont également à dire ici. Saint-Augustin
est célébré le 28 août, il fait donc
partie de ce que nous appelons les " Saints Caniculaires
", c'est-à-dire, célébrés en
été alors que le monde est écrasé
par la chaleur. Avons-nous là ici un ersatz d'un Saint-Nicolas
local désirant soigner la santé des enfants ?
Les pleurs sont également importants : ils montrent une
sorte d'expiation, d'évacuation. Le mal doit partir par
un autre moyen que l'eau : les ablutions ne suffisent pas. Les
larmes, liquide lacrymale si-gnifiant l'émotion, comme
la douleur, font ici office d'évacuation na-turelle : pleurer,
c'est faire sortir ce que l'on a au fond de soi
Ainsi évacués,
les maux ne contamineront plus l'enfant
Véritables curiosités, les pierres à cupules
sont une réalité. Elles existent et sont une forme
de notre passé. Elles sont un témoignage à
jamais figés des façons dont on pouvait se soigner
à une époque où la nature et ses composantes
avaient un sens
Les pierres de foudre
Moins connues que certaines autres pierres, les pierres de foudre
méritent cependant que l'on s'y arrête ne serait-ce
qu'un court instant afin de démontrer leur spécificité
et leur originalité.
Le tonnerre est un fait naturel parfaitement expliqué de
nos jours de manière scientifique, mais il existait une
époque lointaine ou l'homme n'expliquait pas tout, loin
s'en faut. Aux premiers âges de l'humanité, imaginons
un instant la stupéfaction et la peur de nos ancêtres
face à ce bruit sourd et puissant venant du ciel, accompagné
de puissantes lueurs qui pouvaient amener le feu sur la terre
! Devant cet effroi, les hommes ont ainsi crée le premier
dieu tutélaire : celui du ciel, bien-veillant ou parfois
colérique. Sa colère s'exprimait ainsi, par de grands
bruits et de grands éclairs. Il possédait plusieurs
noms : Taranis chez les gaulois, Thor chez les scandinaves, Jupiter
chez les romains, Zeus chez les grecs
Tous étaient
les maîtres des cieux et la foudre étaient leurs
attributs.
Sachant cela, qu'étaient donc les pierres de foudre ? Ces
pierres curieuses que l'on trouvait un peu partout étaient
de formes générale-ment étranges, parfois
trouées, et étaient toutes assimilées à
l'orage. On prétendait qu'elles tombaient ainsi du ciel.
Elles portaient deux noms : les " bétulos " qui
étaient noires et rondes, et les " céraunies
", qui étaient allongées et souvent de couleur
rougeâtre. Ce dernier terme est révélateur
: céraunie vient en effet du grec " cheraunos ",
c'est-à-dire tonnerre en grec .
Alors finalement, que sont ces pierres de foudre ? Ce sont en
réalité des fossiles : haches en pierre polie, pointes
de flèches ou cailloux roulés. Mesurant généralement
entre huit à dix centimètres, elles ont la réputation
d'apparaître là où la foudre est tombée.
Les gens du cru se rendaient alors à cet endroit précis
dans l'espoir de trouver une de ces fameuses pierres. Généralement,
ils ne trouvaient rien, mais il était établi que
la pierre de foudre s'enfonçait dans le sol et ressortait
quel-ques années plus tard. Elle rejaillissait du sol,
poussée par une force inconnue, et c'était à
ce moment précis qu'il fallait la recueillir .
Quelle valeur et quelles utilités pouvaient donc avoir
ces pierres curieuses ? Plusieurs en fait. On les portait parfois
en collier quand elles étaient trouées en leur centre,
mais elles avaient une signification et un rôle beaucoup
plus précis que cela. Porter un collier avec une pierre
est une bonne chose, mais quelle utilité cela amène,
hormis un aspect esthétique ? En vérité,
ces pierres protégeaient de la foudre : souvent, les maisons
étaient construites à l'endroit où la foudre
s'était déjà abattu. Ainsi, le logis s'élevait
dans une zone où il était prétendu qu'une
pierre de foudre était tombée et qui pouvait donc
prémunir l'habitat de la colère céleste.
En d'autres endroits, on prenait la pierre de foudre et on la
logeait dans les murs de la maison ou alors dans le linteau ou
même le seuil. Quand cela était impossible, on la
posait sur la cheminée. Ainsi, le pouvoir de la pierre
rayonnait dans l'ensemble du foyer et protégeait ce dernier
des colères célestes. Cependant, la pierre elle-même
semblait du même coup avoir un pouvoir curatif sur les maladies
bénignes des animaux .
Notons que les pierres de foudre étaient parfois nommées
" pierres du diable ". En effet, certaines traditions
prétendaient que la pierre, comme nous l'avons déjà
dit, jaillissait de la terre, venant sans doute parfois des profondeurs
infernales . C'étaient le plus souvent des pier-res de
couleur noirs, aussi noire que l'enfer ? Vraisemblablement, même
s'il est curieux de voir que les profondeurs infernales aient
un étrange pouvoir curatif
Plus rares étaient
des cailloux roulés. Il s'agit de cailloux que l'on a retrouvés
à des altitudes assez élevées, parfois jusqu'à
900 mètres, et pour lesquelles on avait aucune expli-cation
recevable. Ces cailloux semblaient en effet ressembler à
ceux que l'on retrouve dans le lit des fleuves et rivières,
ou tout autres cours d'eau
Le problème est qu'aucun
cours d'eau ne coulaient à proxi-mité
Comment
expliquer ce fait ? C'est pour cela qu'on a appelé ces
cailloux les " pierres de tonnerre ". On n'arrivait
pas à expliquer leurs origines ? Elles étaient pourtant
forcément arrivées là d'une fa-çon
ou d'une autre
Elles avaient donc une origine divine
Et étaient arrivés là par la foudre
L'explication est arrivée par la suite : ces pierres sont
issues des anciens cours d'eau qui coulaient ici à cer-taines
époques plus reculées
Les pierres de foudre sont donc des vestiges très anciens,
des fos-siles, des traces des anciens hommes qui peuplaient nos
deux dépar-tements. Au cours d'une cérémonie
aussi remplie de symboles qu'étaient l'édification
d'une maison, on plaçait ces pierres dans les murs ou à
l'intérieur même du logis afin que son pouvoir rayonne
dans toute la maison. Construire un habitat, comme nous le verrons
plus tard, était un acte fondateur de domination d'un territoire.
L'homme, pratiquant d'anciens rites ancestraux, devait s'attirer
les bonnes grâces de génies pas toujours amicaux,
mais qu'il devait néanmoins concilier pour vivre en bonne
harmonie avec lui. L'usage de la pierre de foudre rentrait dans
ce cadre : elle faisait alors office de bon génie du lieu
et protégeait habitants et animaux de la foudre et de petites
maladies
Les pierres de la pigote
Cette notion de pierres de la pigote est mentionnée plusieurs
fois et surtout en Ardèche. Elle est malgré tout
fort peu connue ou, du moins, se rapproche véritablement
soit des pierres de foudre, dont nous avons déjà
parlé, mais aussi des pierres à venins que nous
traiterons plus tard.
Il s'agissait de pierres généralement vertes que
l'on rapprochait alors de la variolite. Ces pierres avaient une
double fonctionnalité et servaient surtout à protéger
les troupeau d'une maladie que l'on nom-mait la clavelée,
ou pigote, d'où le nom des pierres. Ces pierres pou-vaient
également servir de pierres de foudre : il suffisait pour
cela de mettre la pierre dans la bergerie où les troupeaux
se reposaient. Les bêtes étaient ainsi protégées
de la colère céleste.
Notons que pour protéger les troupeaux de la clavelée,
il fallait que les bestiaux portent la pierre sur eux, généralement
dans la cloche qui pendait autour de leur cou. On pouvait aussi
créer un collier de plu-sieurs pierres que l'on mettait
au cou de la bête. Quand celle-ci était malade, il
fallait frictionner au moyen de cette pierre la partie de la peau
ou du corps qui semblait être souffrante
Le frottement semble être primordial dans le soin apporté
aux ani-maux. La pierre semble agir comme purgatif : faisant office
de sorcier primitif, le berger va, au moyen de pierre, extraire
un mal du corps d'une bête. Les vétérinaires
étaient rares et la médecine autant hu-maine qu'animal
très mal connue. Il fallait donc se soigner en utilisant
la science que les ancêtres avaient transmise, une science
qui semble être à mille lieux de celle que nous connaissons
maintenant, où l'usage des pierres et des plantes remplaçaient
les lois physiques ou mathé-matiques. Frotter la partie
malade d'un membre avec une pierre était un geste qui avait
une signification profonde : cela revenait à panser une
sorte de plaie. La pierre absorbait le mal dont la bête
souffrait, puis la garder en son sein. Chaque pierre avait une
fonction particu-lière et chacun veillait sur ses pierres
avec une vigilance accrue.
Les pierres à pigote sont le parfait exemple que la médecine
popu-laire, pratiquée par l'un des descendants du sorcier,
s'appliquait aussi aux animaux. Il fallait certes soigner l'humain,
mais à une époque lointaine les troupeaux avaient
énormément de valeur : ils apportaient nourriture
et de quoi se vêtir, ils apportaient aussi de l'argent au
foyer quand on les vendait à une foire quelconque. Prendre
soin de ses bê-tes, c'était assurément prendre
soin du foyer et assurer sa pérennité.
Peu de choses en revanche sont dites sur ces pierres. Pierre Ribon
les mentionne dans ses diverses études inestimables sur
le sujet, mais c'est à peu près tout. Le nom même
de pigote fait débat : nous avons donné l'explication,
un nom ancien de la maladie nommée clavelée, qui
nous semblait la meilleure et vers laquelle M. Ribon semble lui
aussi se tourner. Malgré cette " inabondance "
de témoignage, il faut noter tout de même que cet
usage des pierres à pigote ne fait pas partie d'un lointain
passé : certains témoignages semblent prouver qu'elles
étaient encore utilisées jusqu'au milieu du XXe
siècle
Les pierres pour les yeux
Nous rentrons ici dans un domaine relativement dense qui va, petit
à petit, nous emmener vers les pierres à venins.
Nous arrivons ici au niveau des pierres guérisseuses touchant
l'être humain en général. Il ne s'agit plus
ici de protéger sa maison de la foudre ou de soigner les
bêtes. Il ne s'agit plus non plus de mener une personne
malade près d'une cupule ou d'un dolmen. Les pierres, les
" petites pierres ", en opposition avec les " grandes
pierres " (menhirs ou dolmens) sont un véritable apanage
de nos deux départements. Elles ont existé, et exis-tent
toujours, et certains de nos anciens les ont précieusement
conser-vés, car il ne fallait surtout pas qu'elles tombent
entre de mauvaises mains. L'imagination laisse croire qu'elles
pourraient d'ailleurs tou-jours être utilisées
Qu'est-ce qu'une pierre pour les yeux ? La définition est
en fait dans l'énoncé même de la question
: une pierre pour les yeux va soi-gner les yeux, certes, mais
de quelles façons ? Il existait en effet plu-sieurs moyens
de guérir les yeux d'une maladie et nombre de sources prétendues
miraculeuses dans nos départements semblent avoir, entre
autres qualités, celle de guérir les infections
oculaires. Mais tout un rituel précédait l'utilisation
de ces pierres particulières, et nous allons essayer d'analyser
ce rituel bien particulier.
Il existe en fait plusieurs façons de guérir les
yeux grâce aux pier-res. La première consistait à
poser délicatement sous la paupière du patient les
pierres qui avaient été préalablement trempées
dans de l'eau. La seconde consistait à placer les pierres
dans un récipient contenant de l'eau, attendre un instant
et rincer les yeux avec l'eau ainsi imprégnée de
pouvoirs " magiques ". La dernière, plus courante,
consistait à poser les pierres sur un linge blanc immaculé
que l'on avait placé sur les genoux du patient .
Que pouvons-nous dire sur ces différentes façons
de se soigner les yeux avec les pierres ? Beaucoup de choses en
vérité. Essayons de voir les trois méthodes
en détail. La première consistait donc à
placer la pierre sous la paupière de l'il malade
du patient. On appliquait donc directement la pierre sur le mal,
en contact direct avec la source de la souffrance, et on retirait
la pierre par la suite, après guérison. Même
si cela n'est pas explicitement dit dans les textes ou dans les
traditions, nul doute que l'on devait, après cette opération,
recueillir délicatement la pierre et la rincer avec de
l'eau afin d'en chasser le mal. Un mal qui est ici " aspiré
" par cette pierre, un mal qui est du coup rejeté.
Le pouvoir guérisseur agit directement sur une sorte de
plaie. Le pouvoir curatif est ici direct : il permet d'absorber
le mal et de le ressortir par la suite. Par ce fait, beaucoup
de choses ont été dé-clarées, mais
la plus frappante est que la pierre pouvait devenir noire après
la guérison : le mal absorbé prend ici toute sa
valeur. Il pervertit la pierre, d'où la certaine nécessité
de la passer dans l'eau après la guérison.
La deuxième méthode consistait donc à utiliser
directement une eau dans laquelle les pierres auraient trempé.
Nous avons ici une certaine différence avec la première
méthode : le pouvoir guérisseur passe par un médium
qui n'est pas physique. De tout temps l'eau a été
considé-rée comme un élément pur,
certainement le plus pur qui puisse exister. L'eau est purificatrice,
elle est symbole de virginité. L'utiliser pour " tremper
une pierre " n'est pas anodin. Le pouvoir de la pierre va
ainsi de diffuser, va " infuser " dans l'eau. Le patient
recevra donc ainsi un double remède : le pouvoir des pierres
va s'associer à celui de l'eau virginale. Les deux faits,
en s'associant de cette façon, vont ainsi créer
une sorte de panacée miracle, une certaine " potion
magique ", ou un philtre qui va guérir la plaie lorsque
l'eau sera appliquée dessus. Nous avons ici une véritable
recette de sorcellerie, certes très simple, mais qui est
néanmoins attestée.
La troisième méthode est certainement la plus curieuse,
mais elle est également remplie de symbolisme. Les pierres
sont posées sur un linge qui se doit d'être d'un
blanc immaculé. Cela est particulièrement surprenant
! Cependant, il faut interroger ici la symbolique du blanc pour
avoir une esquisse de réponse. Le blanc est là aussi
la couleur de la pureté, et, par conséquent, et
comme pour notre seconde méthode, le pouvoir de la pureté
originelle va être associée aux pouvoirs bénéfi-ques
de la pierre à venin. Il est cependant fort curieux de
noter que les pierres ne sont pas appliquées directement
sur l'il mais sur les ge-noux. Chose étrange en effet
: le patient doit être allongé dans son lit avec
ce linge blanc sur les genoux, sur lequel les pierres pour les
yeux seront posées ! Pourquoi cette partie précise
du corps ? La raison en est toute simple : les genoux sont les
parties du corps qui permettent la génuflexion, c'est-à-dire
la prosternation ou l'adoration devant une idole. Ces pierres
pour les yeux avaient sans aucun doute une origine divine pour
nos anciens, mais elles s'ancrent dans un passé qui lui
est certainement païen. Livrées sans aucun doute par
des divinités du pas-sé, elles ont été
christianisées par la suite. Ainsi, il y a toujours cette
notion de dévotion. Nous sommes devant des pierres sacrées.
Peu im-porte presque qu'elles soient chrétiennes ou païennes
: l'essentiel est de se mettre à genoux devant elle afin
de les remercier et de les adorer. Ici, le patient est couché
et la génuflexion impossible : par conséquent, on
posera la pierre sur un linge blanc posé sur les genoux,
ce qui fera office d'adoration
Ainsi, voilà comment ces pierres étaient administrées.
On voit bien qu'il y a ici plusieurs faits qui pourraient nous
faire penser à un rituel quasi ancestral, presque mystique,
rappelant presque une procession. Les pierres étaient utilisées
avec précaution et on ne les employait pas à la
légère : il y avait toute une procédure à
suivre si on voulait qu'elles soient efficaces.
Maintenant que nous avons vu comment ces pierres étaient
utili-sées, il s'agit de voir à quoi elles pouvaient
donc ressembler. Là aussi il existait un vaste panorama
de différentes pierres.
Les premières sont nommées pierres d'hirondelles.
Ce sont de pe-tits coquillages marins généralement
très lisse et dont la forme évoque très souvent
un il. La légende raconte que certaines pierres repré-sentant
certains de ces coquillages étaient connues à l'époque
romaine et qu'ils étaient appelées " Turbo
". Ces " Turbo " avaient déjà le
pouvoir de soigner les yeux. La légende raconte toujours
que ces pier-res sont en fait des grains de sable que les hirondelles
ramassent sur les plages pour les ramener en Vivarais . Nous n'avons
ainsi plus qu'à les ramasser
La légende est
belle, mais les hirondelles n'ont jamais ramené de grains
de sable dans notre département et n'en ramènerons
sans doute jamais. En revanche, la présence de ces "
Turbo " romains ne peut qu'interpeller. Ce sont sans aucun
doute des fossiles de co-quillages comme il s'en trouvent beaucoup
dans nos deux départe-ments. Notons que cette pierre d'hirondelle
est également usitée dans la Drôme. Les hirondelles
auraient-elles fait un détour par le départe-ment
voisin pour y déposer un peu de sable ? La légende
est belle, elle ne mérite pas d'être discréditée
Les agates forment la seconde catégorie. Elles sont lisses
elles aus-si, ronde mais beaucoup plus grosses. Elles sont généralement
vertes, et un il est représenté dessus. Cet
il consiste en fait en une curiosité naturelle qui
fait voir cet organe dessiné sur la pierre. Tout fonctionne
sur l'imagination. Ces agates sont utilisées contre les
poussières qui peuvent s'immiscer sous les paupières.
On les place sous les paupières et elles ressortent naturellement.
Elles peuvent rester des heures, voir même des jours, sans
que le patient n'en ressente aucune gêne, et res-sortent
en emportant avec elles l'ensemble des impuretés présentes
. La pierre permet ainsi à l'il de subir une sorte
de nettoyage : elle apaise la douleur tout en enlevant les impuretés.
Elle agit comme une panacée naturelle. L'il est ainsi
soigné sans dommage.
La troisième pierre ne porte pas de nom précis.
Olivier de Serres déclare simplement que ce sont des petits
cailloux lisses que l'on met dans les yeux et qui ressortent là
aussi d'eux-mêmes après avoir enle-vé toutes
les impuretés (ce qu'il nomme les " ordures ")
qui pouvaient les contaminer . Curiosité ! Ceci étant,
il est bon de noter que ces pier-res sans nom agissent de la même
façon que les agates, mais que ce n'en est pas. Alors ?
Que peuvent-elles être ? Le mystère reste, et res-tera
certainement entier !
L'homme a toujours cherché à se soigner. Il a pour
cela utilisé dif-férents moyens, même les
plus étonnants, pour arriver à ses fins. Les pierres
soignant les yeux font partie d'une symbolique dont l'origine
se perd dans la nuit des temps. Cependant, les pierres ont toujours
eu, selon la légende, des vertus curatives. Les celtes,
en particulier les gaulois, pratiquaient des opérations
des yeux. Cela a été prouvé. Ainsi, les pierres
pour les yeux ont eu leurs utilités et il semble acquis
qu'elles l'ont encore de nos jours. Faut-il pour cela crier à
l'obscurantisme ? Crie-t-on à la folie lorsque l'on se
soigne par les plantes ? Elles font office d'une culture millénaire
qui ne semble pas morte, ce qui est, n'en doutons pas, un motif
de réjouissances.
Les pierres à venins
Nous abordons ici une nouvelle sous-partie qui va traiter de ce
qui est certainement les pierres les plus célèbres
de nos deux départe-ments, même si la Drôme
semble être relativement en retrait ici. Il s'agit des fameuses
pierres à venin.
Diverses pierres de diverses couleurs sont exposées dans
nos diffé-rents musées régionaux et départementaux
et toutes présentent les mêmes similitudes : guérison
de certaines afflictions, mode de traite-ment
Les pierres
à venins sont ainsi de véritables moyens de traite-ment,
une véritable pharmacopée populaire dont l'origine
se perdrait elle aussi dans la nuit des temps
Ces pierres étaient généralement trouvées
dans des endroits remplis de broussailles, là où
logeaient tout un tas d'animaux vils et venimeux comme les serpents
par exemple. Cependant, leurs origines ne sont pas si véritablement
obscures que cela. Un ancien texte composé du-rant l'antiquité
romaine par Pline l'Ancien et nommé Histoire natu-relle
semble vouloir nous présenter l'ancêtre directe
de la pierre à ve-nins. Voici ce que nous déclare
l'auteur :
" En outre, il est une espèce d'uf très
renommée dans les Gaules, et dont les Grecs n'ont pas parlé
: il se rassemble une multitude in-nombrable de serpents qui sont
collés les uns aux autres, tant par la bave qu'ils rejettent
que par l'écume qui transpire de leur corps ; il en résulte
une boule appelée urinum. Les druides disent que cet uf
est lancé en l'air par les sifflements de ces reptiles
; qu'il faut alors le re-cevoir dans un manteau sans lui laisser
toucher la terre ; qui celui qui l'a pris doit s'enfuit à
cheval, vu que les serpents le poursuivent jus-qu'à ce
qu'une rivière mette une barrière entre eux et lui
; qu'on re-connaît cet uf s'il flotte, même
s'il est attaché avec de l'or. Mais comme les mages sont
ingénieux à donner le change sur leurs trompe-ries,
ils prétendent qu'il faut choisir une certaine lune pour
se procu-rer cet uf, comme s'il dépendait de la volonté
humaine de faire ca-drer l'activité des serpents avec l'époque
indiquée . "
Dans ce foisonnement incroyable que représente son Histoire
natu-relle, Pline, dans ce court paragraphe, nous donne des informations
très importantes d'un point de vue symbolique. Plusieurs
faits inter-pellent et il convient de les analyser correctement.
Un premier fait est important : la naissance de l'uf en
lui-même, qui est issu de la bave et de la transpiration
des serpents qui sont ras-semblés ici en une sorte de boule,
un " nud de serpent " comme au-raient dit nos
anciens. Ce venin et cette transpiration se solidifient pour former
une pierre de forme ovoïdale que les serpents envoient en
l'air avec leur sifflement. Il s'agit donc d'une pierre vibratoire,
sensi-ble aux sons produits, aux sons aigües comme peuvent
l'être ceux produits par un serpent. Pour que cet uf
conserve ses pouvoirs, il faut le recevoir dans un manteau avant
qu'il ne touche terre. Ce fait est important et intéressant
car il démontre toute la pureté de la chose crée
par les serpents qui ne doit en aucun cas être souillée.
L'uf doit être recueilli dans un manteau, une sorte
de linge, avant qu'il ne soit corrompu par le contact d'une terre
qui n'est alors plus nourricière, mais bel et bien corruptrice.
L'uf de serpent est pur et il doit rester pur. Le manteau
qui permet de recueillir l'uf rappelle étrangement
les pierres pour les yeux que l'on posait sur un linge immaculé
sur les genoux du patient : nous avons donc bel et bien ici une
sorte d'ancêtre de notre pierre de guérison. Ne doutons
pas une seule seconde que le manteau devait certainement être
lui aussi blanc immaculé. L'uf ne doit pas être
corrompu, et la blancheur virginale de ce manteau lui au-rait
assuré une non-contamination. Notons aussi que l'homme
suffi-samment téméraire pour récupérer
cet uf devra s'enfuir très vite à cheval car
les créatures viles le prendront en chasse afin de récupérer
leur bien : cela ne peut que nous interpeller et nous évoque
une autre créature serpentiforme possédant elle-aussi
une pierre aux biens étran-ges pouvoirs. Il s'agit de la
Vouivre.
Nombre de créature serpentiforme hantent nos cours d'eau.
Qu'on les nomme Dragons, Dracs ou Vouivre ou Tarasque, elles ont
toujours fasciné les hommes. Cependant, la Vouivre a certainement
cristallisé un merveilleux beaucoup plus symbolique. Il
arrivait que la Vouivre, qui sévissait dans le Berry, aille
se baigner dans un étang ou un cours d'eau quelconque afin
de se délasser. Pour se faire, elle enlevait son il
unique, qui était une escarboucle énorme et violette,
et la laissait sur le rivage. Cette escarboucle, une pierre précieuse
aux pouvoirs fa-ramineux mais aussi d'une grande richesse, aurait
permis à celui qui la posséderait de voir se réaliser
ses rêves les plus fous. Certains ont es-sayé : ils
devaient prendre la fuite ensuite car ils étaient poursuivis
par les serviteurs du puissant serpent. Ils devaient passer un
autre cours d'eau pour s'assurer de ne plus être en danger.
Cependant, la Vouivre a toujours son il magique et précieux
et aucun humain n'a réussi le larcin parfait
Le passage
d'un autre cours d'eau est également inté-ressant
ici : il permet de noter le franchissement d'une frontière
vir-tuelle qui permet à l'homme de se sortir d'un mauvais
pas. Nous sommes incontestablement chez une créature de
l'Autre Monde celti-que : l'homme franchit un cours d'eau pour
se retrouver dans le monde étrange de la Vouivre, un cours
d'eau qu'il devra franchir à nouveau pour pouvoir se sauver.
Si certains êtres humains ont tenté de voler la Vouivre,
aucun n'y est parvenu
La Vouivre n'est cependant pas une
créature ogresque : elle ne tue pas ceux qui ont tenté
leur chance
Ainsi, l'uf que nous décrit Pline l'Ancien dans son
Histoire Natu-relle est bel est bien l'ancêtre de l'il
de la Vouivre. Notons aussi que Pline souligne un autre détail
qui, pour lui, n'a cependant rien à voir avec l'uf
de serpent : les druides prétendraient en effet que cet
uf ne pourra se former qu'à une certaine date. Si
Pline ne prend pas ce détail au sérieux, il faut
néanmoins noter qu'il peut avoir son impor-tance : en effet,
certaines dates celtiques étaient remplies de significa-tion
comme nous le verrons plus tard. Peut-être était-ce
au cours de la Saint-Jean d'été ?
La pierre formant l'il de la Vouivre était sensée
guérir les morsu-res de serpents et chasser le venin du
corps contaminé. En cela, l'il de la Vouivre et son
ancêtre l'uf des serpents de Pline font donc bel et
bien partie de cette généalogie des pierres à
venins. Nos deux dé-partements ont ainsi été
contaminés par cet arrière-plan celtique qui montrent
que ces fameuses pierres ont une histoire qu'il faut prendre au
sérieux.
À quoi ressemblent ces pierres à venins ? Elles
peuvent en tout cas être de différents coloris en
fonction du genre de venin qu'elles peu-vent soigner. Elles peuvent
aussi avoir la couleur de la peau d'un ani-mal venimeux .
Elles sont donc ainsi en rapport avec une certaine forme d'animalité.
Le mimétisme de la pierre est en rapport ainsi direct avec
l'animal venimeux qu'il peut guérir. Ainsi, par exemple,
ces pierres de couleur jaune sont efficaces contre le venin de
crapaud. On dit aussi que les pierres bleues sont efficaces contre
les salamandres. Elles sont aussi utiles pour le traitement du
venin de guêpe, de serpent ou bien encore de scorpion. Bref,
l'usage des pierres à venins est donc univer-sel et traite
une foule énorme de différents maux.
Nous pouvons aussi noter que les pierres à venins pouvaient
parfois prendre la forme de l'animal dont elle soignait le venin
: il n'était ainsi pas rare de voir des statuettes de pierre
en forme de crapaud ou d'autres créatures, montrant ainsi
que nous avons un pouvoir assimilé aux forces de la nature,
certainement des vestiges d'ancien culte païen.
Quelles étaient ces pierres et d'où pouvaient-elles
donc bien venir ? C'était en général une
pierre que l'on nommait variolite et présentant différents
aspects de couleurs ou de formes. Elles étaient semblables
à de petits galets, souvent plates, parfois percées
d'un petit trou (ce qui tendrait à prouver que ces pierres
étaient certainement utilisées en bi-joux à
une certaine époque), lisses et semblaient avoir été
usées par un cours d'eau ou par le cours du temps. La plupart
de ces pierres étaient issues d'une rivière que
l'on nomme la Durance.
Utiliser ces pierres relevait d'un rituel plutôt étrange.
Il fallait les conserver dans un sac en toile que l'on nommait
sachou en patois. Elle ne devait, dans certain cas, ne jamais
prendre la lumière et la chaleur du soleil. Certains les
conservaient aussi dans un récipient rempli d'eau par soucis
pratique : il fallait en effet parfois procéder par trempage
et laisser baigner les pierres dans l'eau. C'était dans
ce cas précis l'eau qui servait à la guérison.
En effet, comme pour les pierres pour les yeux, les pierres à
venins pouvaient être utilisées de différentes
façons : soit on appliquait la pierre directement sur la
mor-sure ou sur l'endroit du corps où l'on soupçonnait
la présence du poi-son, soit ou utilisait de l'eau dans
laquelle la pierre à venins avait trempée. On pouvait
même " mixer " les deux utilisations et, dans
certains cas, faire boire l'eau au patient .
Il existait différentes pierres à venins ou, parfois,
le terme venin est assimilé à celui de maladie.
Après tout, la maladie n'est-elle pas une sorte de venin
contaminant le corps ? Il s'est ainsi constitué très
rapi-dement un corpus de pierres soignants différents maux
et que l'on uti-lisait très souvent dans certains cas précis.
Jean-Marc Pastor en cite quelques exemples que nous allons reprendre
pour essayer de les analyser ici.
La pierre de sang est un galet rouge, parfois veiné de
blanc, que l'on utilisait contre les écoulements de sang
ou les graves hémorra-gies. Il fallait pour cela appliquer
la pierre sur la nuque du patient. Cette pierre était également
utilisée contre les règles douloureuses des femmes.
La pierre prend la couleur du mal qu'elle permet de soigner. L'application
sur la nuque est intéressante puisqu'elle permet au pa-tient
de se courber. C'est généralement la position qui
permet au flux sanguin de cesser immédiatement.
La pierre de la peste est beaucoup plus étonnante. Parfois
rouge, souvent noire, elle permet de se prémunir contre
l'un des fléaux épi-démiques les plus redoutables
que le monde n'ait jamais connu. Cette pierre était percée
d'un trou qui permettait le passage d'un cordon. Elle était
donc portée en parure soit en collier, soit en bracelet.
Le contact de la pierre sur la peau permettait ainsi au corps
d'être immu-nisé contre le fléau que représentait
la peste. Nous verrons dans une prochaine partie que certaines
pierres précieuses avaient le même pouvoir.
La pierre à crapaud était utilisée pour protéger
le bétail. Le cra-paud a, de tout temps, était considéré
comme un animal maléfique, compagnon des sorciers au même
titre que les hiboux ou les chats noirs. Généralement
jaune, cette pierre pouvait être constellée de dif-férents
motifs rappelant les pustules de la bête.
La pierre de la salamandre était une pierre jaunâtre,
striée de noir et rappelant la texture de la peau de la
bête. La salamandre était consi-dérée
comme un animal maléfique elle aussi, ayant la particularité,
selon la croyance populaire, de résister au feu. Il fallait
donc s'en prémunir et en prémunir les bêtes
du troupeau. Ainsi, cette pierre permettait de guérir une
bête qui avait bu de l'eau contaminée par le venin
d'une salamandre
La pierre universelle est une panacée quasiment miracle
qui per-met de guérir absolument tout. C'est une pierre
dont on retrouve un seul et unique exemple en Ardèche,
mais qui ne possède aucune ca-ractéristique particulière
qui permettrait de la différencier des autres. Par attouchement
ou par trempage, elle guérit absolument tout : peste, saignement,
venins divers et variés
Cette pierre était
portée en ba-gue : ceci n'est pas anodin et rappelle certains
talismans de sorciers que nous verrons plus loin dans cette étude.
La pierre des femmes était de couleur verte veinée
de lignes noi-res et blanches. On la posait sur le ventre d'une
femme en train d'accoucher pour apaiser les douleurs de l'enfantement.
La pierre de lait est à mettre en rapport avec la pierre
des femmes. Il s'agit d'une pierre ronde et blanche que l'on posait
sur la poitrine d'une femme après son accouchement afin
qu'elle donne du lait. Cette pierre était aussi souveraine
pour guérir toutes affections de la poitrine de la femme.
Une pierre jaunâtre était également utilisée
pour guérir les abcès du sein.
La pierre de contusions sphérique et grisâtre était
appliquée sur n'importe quel membre qui souffrait d'une
contusion quelconque.
La pierre de la mort était une pierre noire à croix
blanche. Elle ne permettait pas à son détenteur
de devenir immortel, mais bel et bien de rendre la mort beaucoup
plus douce. Partir sans souffrance était une préoccupation
de nos anciens, et cette préoccupation semble avoir un
écho assez curieux de nos jours avec les multiples débats
sur l'euthanasie
D'autres pierres semblent avoir été signalées
un peu partout dans nos deux départements : certaines soignaient
l'eczéma, d'autres la dy-senterie, certaines éloignaient
les cauchemars, d'autres étaient bonnes pour soigner le
venin de scorpion ou de guêpe
Que penser des pierres à venins ? Elles ont existé
et existent en-core, cela est évident. Plusieurs témoignages
tendent à prouver que nos anciens les utilisent encore
avec soin. Il est en tout cas curieux de noter, et cela est attesté,
qu'elles étaient souvent efficaces. Nombre de médecins
semblent s'être poser des questions sur le pourquoi du comment
de la chose. Plusieurs théories, souvent farfelues, semblent
avoir été avancées : la radioactivité
des pierres, radiesthésie, transfert de maladies, etc
Après tout, le pouvoir mystérieux des pierres ne
date pas d'hier. Depuis des temps immémoriaux l'homme utilise
des pierres pour se soigner, et ceci se vérifie à
nouveau de nos jours : la lithotérapie refait un retour
en force. Cet art, qui permet de se soigner et de se relaxer par
les pierres, est universellement reconnu. Quoi qu'il en soit,
il est évident que les pierres à venins ont fait
parler d'elles et qu'elles conti-nueront d'enflammer notre imaginaire.
Les pierres précieuses
Nous conclurons cette partie très dense sur les pierres
et leurs utili-sations par un aspect moins connu, mais qui pourtant
a existé. Les pierres précieuses ont été
utilisés dans nos deux départements et en traiter
n'est pas anodin. De tout temps les pierres précieuses,
dont la science s'est transmise au gré des textes que nous
nommons les lapi-daires, ont été réputés
pour avoir une certaine forme d'influence sur l'homme, sa santé,
son bien-être. Il s'est toujours servi de ce genre de pierres
pour créer des remèdes ou encore pour repousser
les mauvais esprits. En ce sens, la pierre, généralement
monté sur un anneau, fai-sait office de talisman. Nous
ne traiterons pas des talismans magiques ici, mais simplement
de l'usage des pierres dans le cadre de soins.
Les pierres précieuses étaient cependant rares :
elles étaient en effet très chères et ce
n'étaient pas toutes les bourses qui pouvaient se les offrir.
En revanche, leur utilisation thérapeutique est attestée
par plu-sieurs écrits. Olivier de Serres, ardéchois
célèbre, a, entre autres, pré-senté
certaines pierres comme possédants certaines vertus . Cepen-dant,
si l'on se base bien plus loin, ce célèbre personnage
du XVIe siècle semble tirer ses informations de récits
et de croyances beaucoup plus anciennes. Olivier de Serres nous
fait remonter presque cinq cent ans en arrière, mais des
lapidaires existaient bien avant : celui de Mar-bode, que nous
allons utiliser, date du XIIe siècle alors que d'autres
sont bien plus anciens encore. Les traditions arabes, celtes,
scandina-ves ou mêmes romaines font mention de pierres précieuses
aux étran-ges pouvoirs. La Bible elle-même, notamment
dans le récit de l'Apocalypse, use et abuse des pierres
précieuses. Que faut-il y voir ? De tout temps ces pierres,
qui présentent quand même certaines parti-cularités
étonnantes, ont attirés l'il. Leur aspect
esthétique en ont fait de potentiels remèdes.
Nous allons ici en voir quelques-unes sans rentrer dans les détails
les plus flagrants, et ce pour deux raisons essentielles : la
première est que la pierre précieuse fait souvent
office de talisman et que nous y reviendrons donc dessus en temps
voulu. La seconde est que les té-moignages relatant des
remèdes à base de pierres précieuses sont
plu-tôt rares, mais ils ont le mérite d'exister.
Le rubis en premier lieu est une pierre de couleur rouge. Cette
couleur tellement particulière lui a tout de suite valu
certaines pro-priétés. Il était préconisé
contre la mélancolie, c'est-à-dire la dépres-sion.
Il était également salutaire contre tous les maux
oculaires. Il pouvait aussi soigner l'hydropisie . Notons qu'en
Drôme-Ardèche, il sert à soigner la peste
.
L'émeraude est quant à elle de couleur verte. Outre
le fait qu'elle soit signalée pour guérir la peste
elle-aussi dans nos deux départe-ments, sa renommée
est séculaire. Elle était placée sous la
garde des gryphons, créatures mythiques auxquelles elle
semble être rattachée, ce qui accentue son statut
légendaire. Elle était efficace contre diver-ses
formes de fièvres et de maladies des yeux . Elle avait
aussi des vertus qui soignait l'érection masculine .
La jacynthe, ou hyacinthe, possède la vertu elle aussi
de soigner les yeux et de guérir la mélancolie .
Elles sont généralement de trois couleurs : rouge,
jaunes et bleues . Si la Drôme et l'Ardèche en ont
aussi fait une pierre capable de guérir la peste, il faut
noter cependant que ce type de pierres précieuses est beaucoup
plus efficace montée en anneau et donc en talisman. Nous
y reviendrons par la suite.
Le saphir de couleur bleu guérissait aussi la peste dans
nos deux départements. Elle permet de guérir les
ulcères à la condition expresse qu'elle soit pilée
dans du lait . Elle permet aussi de guérir les cépha-lées
(ou migraines) ainsi que les abcès .
Le grenat est la dernière des pierres précieuses
permettant d'éloigner et de soigner la peste dans nos deux
départements. Elle permet, selon la croyance populaire,
d'étancher la soif et de soigner toutes formes de venins.
Elle chasse la tristesse et rend la santé aux vieillards
.
Le corail avait une utilité enfin en Drôme-Ardèche
puisqu'il per-mettait, réduit en poudre très fine
que l'on appliquait, de soigner cer-taines maladies de la vue
. Le corail, en tradition populaire, est réputé
pour soigner l'épilepsie. Il agit aussi sur certains maux
oculaires et permet de soigner les hémorragies et le sang
présents dans l'il lors-que ce dernier a pris un
coup .
Arrêtons-nous là
pour l'instant ! Les pierres
précieuses seront retraitées un peu plus loin dans
cette étude, mais tirons déjà certaines conclusions
qui s'imposent, du moins une en particulier. Les pierres précieuses,
dans nos deux départements, étaient prescrites par
un re-bouteux ou utilisées par un sorcier dans un cas bien
particulier : se soigner contre ce terrible fléau qu'était
la peste
Bien entendu, toutes les bourses ne pouvaient pas
se délier pour s'offrir pareille pharmaco-pée et
cela était réservé aux nantis. Cela explique
certainement la non-prolifération des pierres précieuses
ou, du moins, des légendes qui leurs sont rattachés,
par chez nous. Les écrits existent et sont particu-lièrement
intéressants car ils nous renvoient vers un passé,
une " mythique " qui résonne étrangement
à l'heure actuelle lorsque l'on sait que la médecine
utilisant les pierres fait un retour fracassant dans notre monde
Tendance " new age " ? L'avenir seul pourra nous le
dire
Ainsi s'achève cette longue partie sur l'utilisation des différentes formes de pierres en médecine et en sorcellerie de cette étude. Une telle abondance de matière, une telle pharmacopée minérale serait-on tenté de dire, est révélatrice. Les légendes, prises ou non au sérieux, témoignent d'une tradition antique. Les hommes préhistoriques, suivis des celtes, puis des romains et enfin des chrétiens, ont voués un culte aux pierres, leur ont attribué des propriétés magiques. Les sorciers et guérisseurs en connaissaient les secrets qu'ils livraient à celles et ceux qui venaient les consulter. Issus d'une tradition très ancienne qui a survécu jusqu'à nos jours, nous ne pouvons que penser que le pouvoir des pierres n'a pas fini de nous émerveiller
Table des matières
Introduction : Sorcellerie, magie, alchimie
une place
dans notre monde ? 7
Première partie : Un portrait-robot du sorcier régional
12
Une prédestination dès l'enfance ? 12
Les caractéristiques physiques du sorcier 16
Deuxième partie : De l'influence de certaines pierres 34
Les pierres dressées 34
Les pierres à cupules 39
Les pierres de la pigote 46
Les pierres précieuses 57
Troisième partie : Plantes magiques et médicinales
61
L'herboristerie Drôme-Ardéchoise 61
La date de cueille 75
Le mode de traitement 79
Quatrième partie : Animaux, insectes et recettes ignobles
84
D'autres animaux : le cas particulier du loup 100
Quelques exemples de l'utilisation d'autres animaux 103
Les recettes ignobles 110
Cinquième partie : Conjurations, sorts, talismans et grimoires
en tous genres 113
Les conjurations et les sorts 114
La confection de quelques amulettes 119
Les grimoires régionaux 127
Les merveilleux secrets du Grand et du Petit Albert 130
Sixième partie : Ensorcellements dans les campagnes 132
Le mauvais il, définition et méthode 132
Une petite démonologie rapide 137
Les apparitions diaboliques en Drôme Ardèche 139
Conjurer le mauvais sort, mode d'emploi 145
L'étrange histoire de Monsieur de Sahune 148
Septième partie : La sorcière Chauche Vieille
ou Cauquemare, une légende ardéchoise 151
Récit de la légende 151
Le Cauquemare, ou Chauche Vieille 156
Un peu d'analyse textuelle
158
Huitième partie : Jean-Baptiste Dalmas, ou l'histoire
revisitée 163
Exemple numéro un : la sorcière Peyretone 164
Exemple numéro deux : le procès d'Isabeau Cheyré
166
Conclusion : Et maintenant, fin de la sorcellerie ? 171
Remerciements et dédicaces 173
Bibliographie 174
Table des matières 179