Note de l'éditeur en guise de préface
Libraire ancien depuis plus de quatre décennies, j'ai vu
passer entre mes mains d'innombrables livres, manuscrits, gravures,
cartes postales et autres documents ardéchois. C'est toujours
un émerveillement que de voir surgir du passé ces
vestiges d'une époque révolue.
C'est aussi un grand plaisir que de faire partager ses trouvailles.
C'est ce que je vous propose de faire dans ce livre, fruit du
hasard et de la collaboration de fidèles amis. Cette nouvelle
édition a été profondément remaniée
et enrichie de nombreux documents, la plupart inédits.
Le rapport du président du tribunal, conservé aux
Archives Nationales, vaut à lui seul le détour,
lui qui assure à son ministre : " Jamais président
d'assise n'aura un jury mieux composé. "
Je vous livre ici une nouvelle version du texte de d'Albigny :
" Le coupe-gorge de Peyrebeille ", un grand classique
fréquemment édité, dont il n'en existe pas
d'édition illustrée. Une version populaire de l'Auberge
Rouge nous a fourni les gravures anciennes. Mais ne fallait-il
pas ajouter le poivre après avoir mis le sel ?
Un ami, grand collectionneur et bibliophile averti, mis dans la
confidence de notre projet, me confia un manuscrit dactylographié
des années 1920 concernant une controverse sur le procès
de Peyrebeille. Grâce à l'aimable autorisation de
la famille de Maître Malzieu, nous publions à la
suite du livre de d'Albigny, ce texte introuvable intitulé
" L'affaire Peyrebeille, les aubergistes étaient-ils
coupables ? "
Histoire de mieux " manipuler " la lectrice ou le lecteur,
la plus grande partie de l'iconographie provient du célèbre
roman feuilleton de Beaujoint : " Les auberges sanglantes
".
Ce volume n'ayant pas la prétention de clore le débat
ni de répondre à toutes les questions, on se reportera
pour plus de rensei-gnements à la bibliographie sommaire
des ouvrages sur Peyrebeille et au dossier joint à cet
ouvrage.
Maintenant, à vous, Lecteur-Lectrice, qui devenez juré
en ce procès qui défraya la chronique, de vous faire
une opinion et de vous prononcer en votre âme et conscience.
Vous pouvez donc nous retourner votre " bulletin verdict
" qui est impri-mé en fin d'ouvarge.
Alors : coupables ou innocents ?
Bibliographie Sommaire
sur l'affaire Peyrebeille
Pour plus de renseignements, le lecteur pourra
se reporter aux ouvrages et films suivants présentés
chronologiquement :
- L'auberge de Peyrebeille de Gustave Hallay, drame présenté
au Puy le 12 Novembre 1835.
- L'ossuaire du Vicomte d'Arlincourt, 1835.
- Le Coupe Gorge de Peyrebeille par d'Albigny, 1886.
- Première année de la Revue du Vivarais, 1893.
3 articles concernent Peyrebeille. p 163 : Article de P. d'Albigny
sur " Les Suppliciés de Peyrebeille " avec les
photos des masques mortuaires. p 250 : A. Mazon sur " Le
Baron Haussmann à Peyrebeille ". p 73, 113 et 168
: études d'Albin Mazon en 3 livraisons sur " Enjolras-Laprade,
juge de paix sous la Révolution " (ce dernier article
qui n'a rien de commun avec l'auberge nous renseigne sur l'atmosphère
de l'époque sur le plateau, les rancunes, les règlements
de compte et les séquelles de la Révolution).
- Les Auberges sanglantes par J. Beaujoint (Éditions populaires
du début du XXe d'où sont tirées les gravures
qui illustrent notre édition)
- Les aubergistes étaient-ils coupables ? par J. Malzieu,
1921.
- L'auberge de Peyrebeille par Pierre Bouchardon, Albin Michel,
1923.
- Peyrebeille par Roger de Pampelonne. Éditions du Pigeonnier,
1933.
- L'auberge sanglante de Peyrebeille. La mort cévenole.
Marcel Lecoq, 1937.
- Guignol à Peyrebeille ou l'auberge de Payaboire par Henri
Bernet, Édition du Pigeonnier illustrée par Jean
Chièze,1939.
- Peyrebeille par Charles Alméras et Félix Viallet,
1945.
- L'auberge rouge, Film de Claude Autan-Lara de 1951.
- L'énigme de Peyrebeille par J. de Montgros, Ed. du Pigeonnier,
1958.
- L'auberge Rouge de Régis Sahuc,1973.
- L'auberge de la Mort de Michel Peyramaure, Éditions Pygmalion,
1976.
- L'affaire Peyrebeille. Et si les aubergistes étaient
innocents ? L'auberge rouge. Pour la première fois, deux
versions s'opposent. Éditions de la Bouquinerie.1991
Premiere partie
LE COUPE-GORGE
de
PEYREBEILLE
(Ardèche)
Si tristement célèbre dans les
Annales du crime
par 26 ans de vols et d'assassinats
PAUL D'ALBIGNY
Né en 1831 à Bourg d'Argental
(Loire). Directeur du Journal d'Annonay puis du Patriote de l'Ardèche,
il fonda en 1893 la Revue du Vivarais. Journaliste, poète
mais aussi historien, ami d'Albin Mazon dit le Docteur Francus,
il publia l'Auberge de Peyrebeille en 1886 à partir des
documents disponibles à l'époque. Il mourut à
Paris en 1912.
Le Coupe-Gorge
Histoire de l'auberge de
PEYREBEILLE
Ce n'est point un roman, ce n'est point une
uvre de pure imagination que nous nous proposons d'offrir
à la curiosité de nos lecteurs. Le titre seul de
cette histoire à la fois si terrible et si véridique,
qui émut si profondément le département de
l'Ardèche, il y a 120 ans, oblige à plus de sincérité,
d'exactitude et de vraisemblance, qu'il n'en peut entrer d'habitude
dans un simple roman d'aventures.
La réalité est d'ailleurs tellement émouvante
par elle-même, qu'il n'est point nécessaire d'y ajouter,
par un effort quelconque, de l'imagination. Les faits se déroulant
dans leur ordre chronologique et tels qu'ils ont été
recueillis dans les dépositions des témoins appelés
au procès criminel qui mit fin à cette lugubre série
de crimes, suffisent à imprimer au récit cet intérêt
à la fois poignant et terrible que les romanciers recherchent
et que quelques-uns atteignent dans leurs uvres. Tout se
prête dans cette sinistre histoire à un pareil intérêt.
Le nombre des assassins, la longue impunité de leurs forfaits,
la quantité et la diversité des victimes, le mystère
qui régna si longtemps sur de tels forfaits par des complicités
qu'il est sans doute plus facile de supposer que d'établir
avec certitude, sont des éléments d'intérêt
qui n'ont rien à demander à l'invention.
On peut lire dans un des ouvrages du savant naturaliste Faujas
de Saint-Fond, dans ses " Recherches sur les volcans éteints
du Vivarais " croyons-nous, cette curieuse opinion de l'abbé
de Mortesagne. En parlant de l'auberge de Peyrebeille, le savant
abbé écrivait : " Il n'y a point d'habitation
aussi isolée, il n'y a point d'année que quelques
voyageurs ne doivent leur salut à cet abri ". S'il
eût vécu 70 ans plus tard, l'abbé de Mortesagne
n'eût pu tenir le même langage et rendre un aussi
flatteur témoignage à l'auberge de Peyrebeille,
plus moderne.
La famille Martin l'avait transformée en coupe-gorge. Qui
étaient donc les gens venus là, dans ce site quasi
alpestre, mais surtout désert, âpre et sauvage, pour
y faire une fortune au prix de la plus hypocrite comédie
de l'honnêteté et de la plus horrible cruauté
? Comment s'y étaient-ils implantés et maintenus,
faisant souche, et associant leurs enfants, deux filles, à
leur sanglante industrie, jusqu'au jour où celles-ci devinrent
libres par le mariage dit-on, et purent s'échapper de cet
antre infernal où elles n'avaient vu que mort et carnage
! Une question se pose tout d'abord à l'esprit lorsque
l'on envisage cette longue série de crimes, commis par
plusieurs personnes. On se demande comment de tels attentats ont
pu rester si longtemps ignorés, inaperçus et enfin
impunis.
L'auberge de Peyrebeille, quoique isolée de centres de
population à une distance de plusieurs kilomètres,
était cependant placée sur cette grande voie de
communication de Clermont et du Puy à la vallée
du Rhône par Viviers, qui porte le n° 102 dans le classement
des routes nationales. En face d'elle aussi débouche le
chemin de Coucouron, le chef-lieu du canton, qui n'est qu'à
environ une lieue de là vers le Nord-Ouest. Tous les voyageurs
qui allaient de l'Ouest à l'Est et au Sud du département,
tous ceux qui venaient de la Lozère ou de la Haute-Loire,
comme ceux qui avaient à faire quelque excursion dans cette
région peu habitée, étaient forcément
conduits à faire une halte dans l'auberge fatale.
Mais, il faut bien le dire, tous n'étaient pas traités
d'une façon également cruelle et inhospitalière.
C'est cette même circonstance, bien des fois constatée,
qui explique comment les soupçons s'égarèrent
si longtemps, comment la défiance fut si longue à
venir, ainsi que l'intervention de la justice.
L'aubergiste Martin, dit le Blanc, avait pour certains clients
des amabilités, des prévenances et des soins qui
mettaient l'éloge de son hospitalité dans bien des
bouches, et le défendaient contre les soupçons les
plus dangereux. Il est notoire que les gens de Peyrebeille ne
tuaient pas et ne volaient pas les personnes du pays qui venaient
fréquemment pour les besoins de leurs affaires se reposer
dans cette auberge et le plus souvent y coucher.
M. M..., avocat, fils d'un avoué de Largentière,
racontait à un de ses amis qui nous donna ce renseignement,
que son père, dont beaucoup de clients étaient de
la montagne, c'est-à-dire du canton de Coucouron, de St-Étienne-de-Lugdarès
ou de Montpezat, avait couché plusieurs fois à Peyrebeille.Il
s'était fort souvent trouvé porteur d'assez fortes
sommes, dans ces circonstances, et Pierre Martin, qui le connaissait
fort bien et savait ce qu'il était venu faire dans ces
parages, n'avait jamais donné lieu à la moindre
défiance par son attitude. D'autres hommes d'affaires et
des magistrats, qui avaient été également
conduits vers la terrible auberge par les hasards ou les nécessités
de leur profession, ont rendu le même témoignage.
Aussi M. Tanc, substitut du procureur du Roi à Largentière
à l'époque où la justice fut mise en éveil
à l'égard de la sinistre renommée de l'auberge
de Peyrebeille, racontait-il, en 1865, qu'il avait eu la plus
grande peine pour continuer les poursuites commencées contre
la famille Martin-Blanc.
Si certains crimes avaient été l'objet de graves
accusations répandues dans la contrée par le mendiant
Chaze, et par d'autres témoins des mystérieuses
et sanglantes opérations auxquelles elles se livraient,
il se rencontrait aussi, dans un certain public, des personnes
qui se portaient garantes de l'honnêteté des Martin.
Des gens de Largentière, dont on ne pouvait pas plus soupçonner
la sincérité que le désintéressement
en pareil cas, s'efforçaient d'empêcher l'action
de la justice, de dérouter ses recherches, d'écarter
ses soupçons. Ils considéraient comme des calom-nies
tous les bruits terribles qui circulaient contre les Martin, et
leurs protestations comme leurs critiques étaient des plus
vives à toute nouvelle mesure que l'instruction prenait
pour faire la lumière au milieu de ces sanglantes ténèbres.
Un magistrat qui remplissait les fonctions de juge d'instruction
à Largentière et eut par conséquent à
s'occuper fort en détail de l'affaire de Peyrebeille, M.
Teyssier, qui mourut vers 1856, à Toulon, où il
était juge, avait conservé des faits de ce drame,
des souvenirs analogues à ceux que nous avons rapportés
plus haut. C'est lui qui parvint à retrouver le principal
et pour ainsi dire l'unique témoin du crime non prescrit,
sur lequel la justice devait fonder son accusation.
Il fit tant et si bien qu'il put remettre la main sur le pauvre
Chaze, ce mendiant moitié idiot, moitié philosophe,
que tout le Bas-Vivarais a connu, mais qui, en raison de son existence
nomade, échappa longtemps aux recherches.
Le juge d'instruction Teyssier, dont nous venons de rapporter
le témoignage, était de Thueyts, où son frère
a été longtemps juge de paix. On comprend donc qu'entre
les récits du pauvre Chaze, les vagues rumeurs qui se répandaient
dans la contrée, et l'opinion, malheureusement trop favorable
que partageaient beaucoup de personnes notables du pays sur les
aubergistes de Peyrebeille, la justice ait pu longtemps hésiter
ou s'égarer. C'est ce qu'il importait de faire ressortir
avant d'entrer dans le vif du récit. Il nous reste enfin
à dire quelques mots des auteurs du drame sanglant qui
va se dérouler, afin que le lecteur soit plus en mesure
de les suivre et de les juger.
Ainsi, en consultant les actes de décès des criminels
de Peyrebeille, après leur exécution, on constate
que Pierre Martin, dit le Blanc, le principal instigateur et fauteur
des crimes de Peyrebeille, avait 60 ans, que sa femme Marie Breysse
avait 54 ans, et que Jean Rochette, le domestique le plus terrible
de ce trio de meurtriers, avait 48 ans.
Pierre Martin était né en 1773 ; sa femme vers 1779
et le domestique en 1785. C'étaient des enfants de ce siècle
plein d'orages, qui devait nous donner la Révolution, et
ils avaient déjà atteint l'âge de raison,
les deux premiers au moins, lorsqu'éclatèrent les
scènes terribles qui marquèrent ses dernières
années.
En s'en référant à l'état civil des
principaux personnages, tel que l'établit la procédure
criminelle, Pierre Martin dit le Blanc était né
à Peyrebeille et sa femme à Lanarce, commune dont
Peyrebeille dépend.
Quant à Jean Rochette, qu'on a représenté
avec beaucoup plus d'imagination que de vérité,
sans doute, comme un nègre ou un mulâtre, il était
né au hameau de Banne, commune de Mazan. Ce faux nègre
était donc aussi un ardéchois, dont le teint plus
ou moins coloré a pu donner lieu à cette version
plus corsée d'un mulâtre exécuteur des hautes
uvres de Martin et de sa digne épouse, ces pirates
de la montagne. Dans les renseignements que nous avons recueillis
auprès de quelques contemporains et témoins de l'exécution
des assassins de Peyrebeille, nous n'avons pas retrouvé
cette remarque, assez particulière cependant, relative
à l'aspect de ce prétendu nègre ou mulâtre
qui avait nom Rochette, et que l'on a désigné aussi
sous le nom de Fétiche, mais dans les romans seulement.
Les mariés Martin, dits Blanc ou le Blanc, ainsi qu'ils
sont désignés dans les documents judiciaires, étaient
grangers ou fermiers du domaine de Chabourzial, près de
Choffour, dans la commune de Mazan avant d'aller se fixer à
Peyrebeille. Lorsqu'ils vinrent s'établir sur ce théâtre
élevé, dans ce désert de landes et de pierres,
que recouvre si longtemps la neige, les époux Martin étaient
mariés depuis peu d'années sans doute. La naissance
de leur fille ne datait que de l'année 1800, et c'est au
domaine de Chabourzial qu'elle avait vu le jour. Elle reçut
au baptême le joli nom de Marie !
Les époux Martin eurent une seconde fille le 20 novembre
1805, et celle-là aussi reçut un nom charmant, plein
de sourires printaniers et que Gthe a immortalisé
dans sa belle création de Faust. Elle reçut le nom
de Marguerite.
.......
deuxième partie
L'Affaire
de
PEYREBEILLE
Les aubergistes étaient-ils coupables
?
Le Puy - 1922
JOSEPH MALZIEU
Joseph Malzieu est né à Dunières
le 8 mars 1883. Issu d'une famille qui compta de très nombreux
notaires à Goudet, il s'inscrivit au Barreau de la Haute
Loire en 1905. Il s'installa au Puy où il exerça
sa profession jusqu'en 1960. Rédacteur en chef du journal
L'Avenir de la Haute-Loire de 1909 à 1913, il publia à
petit nombre l'ouvrage : " L'Affaire Peyrebeille, les aubergistes
étaient-ils coupables ? " Il est mort au Puy le 24
septembre 1969.
Avant-Propos
Août 1922
Faire douter de la culpabilité des aubergistes de Peyrebeille
paraîtra une gageure. Je ne veux point pourtant qu'on croie
à un trait d'originalité ou à une fantaisie
de vacances. Depuis bien longtemps, j'ai le projet d'opposer à
la légende de Peyrebeille l'examen critique de l'affaire
judiciaire. Cela ne m'est pas venu d'ambition d'auteur, mais d'une
tradition trouvée dans ma famille.
Mon grand-père Jacques Malzieu, notaire à Goudet,
était né en 1800. Il eut, vers sa vingtième
année, à rechercher les bribes de la fortune paternelle
détruite par la Révolution. Cela l'amena à
faire dans la région d'Aubenas de nombreux voyages et des
règlements de quelque importance. Quatre fois au moins,
il revint avec des sommes formant un total d'environ sept mille
francs. C'était beaucoup pour le temps et pour le pays.
A l'aller comme au retour, il coupait son voyage d'une nuit passée
à l'auberge de Peyrebeille, et chaque fois il confiait
à l'aubergiste son pécule, en pièces d'argent,
contenu dans des arçons détachés de la selle.
Cela se passait en 1820 et 1825, c'est-à-dire pendant la
période des crimes attribués à Pierre Martin
et à sa femme Marie Breysse. Mon grand-père ne crut
jamais à la culpabilité de Pierre Martin, qu'il
ne cessa de défendre devant ses fils, malgré l'entraînement
de l'opinion autour de lui.
Par contre, il racontait le fait suivant : au retour d'un de ses
voyages, traversant le soir la forêt de Bauzon, il fut surpris
par un orage et s'égara. Les éclairs apeuraient
le cheval qu'il fallait traîner par la bride. Trempé
et las, le cavalier s'arrêta au premier feu rencontré.
Singulier feu. Dans une maison à moitié ruinée
et sans mobilier, des hommes étaient assis en demi-cercle
auteur du foyer. L'un d'eux se leva, dévisagea le nouvel
arrivant, et l'ayant reconnu : "Vous êtes le Notaire
de Goudet ? - Vous tombez bien avec moi. - Je suis de vos côtés."
On fit une place à mon grand-père sur l'une des
grosses pierres rangées autour de l'âtre. L'impression
était si pénible dans cet intérieur désolé,
que l'orage fini, le voyageur manifesta le désir de continuer
sa route. "Oh ! vous ne craignez rien ici. Vous pourriez
attendre le jour. Cependant, si vous tenez à vous rapprocher,
je vais vous conduire jusqu'à la route, à la sortie
de la forêt."
Un homme alla détacher le cheval, arrêté au
gond de la porte de l'écurie et le conduisit par la bride,
précédant mon grand-père. "Fais attention
qu'il n'arrive rien", recommanda celui qui paraissait le
chef. Comme on approchait de la route, deux hommes, attirés
par le bruit des fers du cheval sur la rocaille, apparurent au
bord du chemin. Le guide siffla d'une certaine façon et
expliqua la mission qu'il avait reçue. On continua sans
autre incident. Mon grand-père resta persuadé qu'il
avait été, cette nuit-là, l'hôte des
bandits de Bauzon, dont la bande, reformée plusieurs fois,
ne cessa d'exercer ses méfaits jusqu'en 1830, comme on
en trouve maintes affirmations au cours des débats de l'affaire
de Peyrebeille. J'ai ainsi recueilli, avec mes premières
impressions d'enfant, l'opinion, aujourd'hui perdue, que les crimes
attribués à la famille Martin étaient le
fait de brigands de grand chemin.
On imagine combien ma curiosité fut piquée, lorsqu'en
1903, dînant à Paris auprès d'un ecclésiastique
qui a fréquenté les hauts cantons de l'Ardèche,
on en vint à parler de Peyrebeille. Mon voisin de table
disait tenir de l'un des prêtres qui assistèrent
les condamnés (directement ou par intermédiaire,
je ne sais plus) les traits suivants :
Quand le convoi partit de Mayres, dernière étape
avant l'échafaud, le froid de l'aurore faisait grelotter
les malheureux, étroitement liés sur la charrette.
Le représentant du Parquet eut la charité de faire
apporter du rhum et on en présenta un grand verre à
Pierre Martin. Mais la femme supplia son mari et le domestique
Rochette de ne pas boire, "Vous êtes faibles, leur
dit-elle ; cela vous enivrera. Or, vous êtes des chrétiens,
vous devez utiliser les dernières heures qui vous restent
pour prier et affirmer votre innocence ."
C'est devant vingt mille personnes au moins (des contemporains
ont écrit 60 000), que le bourreau trancha les têtes.
Ignoble comme toujours, la foule hurlait de joie. Alors, se frayant
un passage jusqu'à l'échafaud dressé très
haut et bravant l'hostilité bruyante des spectateurs, l'aînée
des filles de Pierre Martin, Jeanne, vint s'agenouiller près
du panier de son père. Elle prit la tête ensanglantée
de son père, celle de sa mère, les baisa longuement,
d'un geste pieux abaissa les paupières et ne se retira
que lorsque les aides la repoussèrent. Quel crédit
accorder à ces anecdotes ? Quand il s'agit de dépouiller
un dossier criminel, aucun. Je ne les ai rapportées que
pour montrer comment j'ai été amené à
m'intéresser à l'affaire de Peyrebeille.
Il était donc possible de mettre en doute la culpabilité
des Aubergistes de Peyrebeille, des monstres de " l'Ossuaire
", de " l'Auberge sanglante ", du " Coupe-Gorge
" ...
Et je fus avec avidité aux documents judiciaires. Ceux-ci
hélas, sont rares. Le greffe de Privas, ni celui de la
cour de Nîmes ne possèdent plus les dossiers. C'est
du moins ce qui me fut répondu il y a quinze ans. Mais
des chercheurs, de ceux qui ont le divin privilège des
longs loisirs, les peuvent retrouver. Puissent ces quelques pages
n'être pas l'amorce d'une intéressante controverse.
Si démunis que nous soyons, nous avons cependant l'acte
d'accusation, le Verdict, l'Arrêt de la Cour, la déposition
à peu près complète des trois témoins
principaux, le sens général des réponses
des prévenus, le récit des rumeurs controuvées,
le résumé des plaidoiries, l'aveu des médecins
légistes, de bons plans des lieux . C'est sur ces pièces,
en attendant mieux, que doit porter un examen impartial.
Cet examen révèle d'abord ceci : accusés
d'un bien plus grand nombre de crimes, Pierre Martin, sa femme
Marie Breysse et leur domestique Jean Rochette, ne furent poursuivis
que pour deux assassinats, quatre tentatives d'assassinats et
six vols. Enfin le jury déclara tous les prévenus
non coupables des crimes de tentative d'assassinat, et Martin
et Rochette innocents du délit de vol. Le verdict ne retint
à la charge de Marie Breysse qu'un vol de cent francs,
mais tous les trois furent déclarés coupables de
l'assassinat d'Enjolras. Également poursuivi, un neveu
de Pierre Martin, André Martin fut complètement
acquitté.
La peine de mort prononcée contre les trois accusés
principaux fut donc la sanction d'un crime unique. Et encore,
ce crime était-il nettement établi ? Nous allons
le rechercher en toute liberté, car si l'ordre public exige
le respect muet des décisions judiciaires, cela n'est vrai
que pour un temps. Il y a près d'un siècle que le
couperet ensanglanta l'herbe du clos de Peyrebeille. A ces distances,
on peut bien, sans risquer de troubler la conscience publique,
se demander si les charges réunies contre les Aubergistes
ne laissaient subsister aucun doute.
Troisième partie
DOSSIER
PEYREBEILLE
- Rapport du Président du tribunal (Archives
nationales).
- Les commentaires d'auteurs ardéchois.
- Et si les aubergistes étaient jugés aujourd'hui
?
- Poésies, chansons et complaintes de Peyrebeille.
- Bibliographie.
Rapport du président du tribunal
(Archives nationales)
Section moderne
Cote BB 67, rapport sur les assises de l'Ardèche; 2e trimestre,
année 1833. Affaire de l'auberge de Peyrebeille. Deux pièces
dont un cahier de papier de 14 pages.
Expédié le 13 août 1833
À M. Fornier de Claussonne, conseiller en la cour royale,
président de la cour d'assise de Nîmes.
J'ai reçu, monsieur le compte que vous m'avez adressé
du résultat des assises tenues sous votre présidence,
dans le département de l'Ardèche pour le 2e trimestre
de 1833.
J'ai lu avec intérêt les renseignements qu'il contient,
ainsi que les observations que vous y avez jointes.
Vu le 26 juillet vu le 20 juillet
Division des affaires criminelles de Grâces
1er bureau
Rapport sur les Assises de l'Ardèche
2e trimestre de 1833. Président M. Fornier
de Clausonne. Rapport sur les assises du 2e trimestre de 1833
dans le département de l'Ardèche.
Adressé par le Baron Fornier de Clausonne, conseiller à
la Cour Royale de Nîmes
À S. Exc. le Garde des Sceaux de France, Ministre de la
Justice.
Nîmes, 8 juillet 1833
Monsieur le ministre
Les Assises du 2e trimestre de l'Ardèche, ouvertes le 10
juin, ont été clôturées le 28 du même
mois par le jugement des Contumaces. Elles ont occupé tout
cet intervalle de temps, sans aucune interruption.
La longueur de cette session est due principalement à une
seule affaire, dont l'importance est telle que je ne crois pouvoir
mieux faire que de débuter par vous en présenter
l'analyse. Elle remplira la moitié de mon rapport. Je renverrai
à une seconde partie les vingt autres affaires que nous
avons eu à juger, en les faisant précéder
de quelques observations générales.
1 - Pierre Martin, ancien aubergiste, âgé de 60 ans,
2 - Marie Breysse, sa femme âgée, de 54 ans,
3 - Jean Rochette, leur domestique, âgé de 47 ans,
4 - André Martin, leur neveu, âgé de 32 ans.
Tous habitants du lieu de Peyrebeille, commune de Lanarce, canton
de Coucouron.
Cette affaire, digne de figurer dans les annales du crime, aurait
suffi à elle seule à remplir une assise. Elle nous
a occupés pendant sept jours consécutifs. La gravité
de l'accusation, l'audition de 120 témoins, leurs hésitations
et leurs craintes en présence des accusés, des incidents
variés et dramatiques, l'affluence extraordinaire de monde
attirée par l'importance de la cause, tout a concouru à
nous donner pendant une semaine entière le spectacle le
plus digne d'intérêt et le plus solennel.
Peyrebeille est situé sur un point culminant des montagnes
de l'Ardèche, faisant séparation entre le bassin
du Rhône et celui de la Loire. Le lieu quoique fort isolé,
est néanmoins un passage nécessaire pour les personnes
qui se rendent du sud du département aux villes de Pradelle
et de Langogne. Cette route est assez fréquentée,
de sorte qu'il y avait souvent des voituriers, charretiers et
voyageurs qui s'arrêtaient à l'auberge de Pierre
Martin. Il paraît même que cette auberge était
assez achalandée, et c'est par là que Martin a prétendu
expliquer la fortune considérable dont il jouissait. Mais
l'opinion publique attribuait cette fortune à une cause
bien différente, et il existait un bruit sourd et généralement
répandu, que Martin s'était enrichi des dépouilles
de plusieurs voyageurs que lui, sa femme et son domestique avaient
assassinés dans leur auberge.
Les débats ont justifié cette affreuse renommée
qui pesait ainsi depuis plusieurs années sur la famille
Martin. En faisant la part de la dose d'exagération et
de merveilleux qui plaît toujours à la foule, et
dont il est permis de croire qu'ont été ornés
et embellis quelques-uns des crimes attribués aux Martin,
en supposant qu'il y en a une portion qui pourrait bien être
controuvée, il en reste encore un assez grand nombre dont
la réalité a été établie sur
des preuves assez certaines, pour exciter justement contre eux
la haine et la réprobation publiques.
C'est ainsi notamment qu'un témoin, âgé de
70 ans, a déposé avec un accent de vérité
et de gravité qui a fait frissonner tout l'auditoire, qu'il
avait rencontré, il y a dix-huit ou vingt ans, Martin et
son domestique Rochette transportant sur un cheval un cadavre
dont les bras et les jambes pendaient. Il en reçut un avertissement
et des mena-ces énergiques qui ne se sont pas effacés
de son souvenir, et qui, jus-qu'à ce jour, lui avaient
lié la langue. Cette déposition a merveil-leusement
concordé avec plusieurs autres qui tendent à établir
qu'à la même époque, Martin avait assassiné
en effet un riche marchand juif qu'un hasard cruel avait fait
tomber en ses mains, nanti d'argent, de bijoux et de valeurs considérables.
Il a été question de 20 ou 30 mille francs. Ce serait
donc là qu'il faudrait faire remonter la source de sa fortune.
.....
chansons
Fragments recueillis par Maître Malzieu
On avait dans la montagne
De Thueyts à Coucouron
Pour Le Blanc et sa compagne
De la considération
En amis les gendarmes
Venaient causer avec lui.
C'est vraiment un phénomène
Auquel on ne comprend rien,
Que cette femme inhumaine
Ait fait quelquefois du bien,
Qu'elle ait soigné sa cuisine,
Élevé ses deux enfants,
Et fait souvent bonne mine,
À ses malheureux clients.
.......
La Complainte de Peyrebeille
de LAURENT-CEYSSON de Saint-Cirgues-en-Montagne
Chrétiens, venez tous écouter
Une complainte véritable :
C'est de trois monstres inhumains
Leurs crimes sont épouvantables,
Il y a bien environ vingt ans
Qu'ils assassinaient les passants.
A Peyrebeille, en Vivarais
Dans le département de l'Ardèche,
Sur une montagne isolée
Ils établirent leur commerce.
L'auberge est sur le grand chemin
Où ils égorgèrent les humains.
Leurs noms sont : Pierre Blanc Martin,
Dit Lucifer, avec sa femme,
Et Jean Rochette, aussi inhumain,
Était domestique exécrable.
Trop tard le crime est découvert
Pour épargner de grands malheurs.
Le premier homme assassiné
Était marchand de dentelles.
Dans le lit, il fut assommé,
Pour eux, c'était une bagatelle,
Ce premier coup était garant
De vingt-sept ou huit mille francs.
Un curieux Parisien courait,
Disait-il, pour sa fantaisie.
Chez Lucifer il vint loger :
Le mauvais temps lui fit surprise,
Son cheval, dans les champs,
Annonça la mort au passant.
Plus tard les morts étaient traités
D'une méthode différente :
Dans une chaudière la chair cuisait
Couverte avec indifférence.
Avec cette préparation
Ils engraissaient leur cochon.
Un bon préfet disgracié
Sous la chute de Bonaparte,
Chez Lucifer il fut logé
Croyant être en sûre porte
Femme, enfants, fortune et lui
Périrent tous la même nuit.
Le dernier, enfant de huit ans,
Voyant ses parents morts à terre,
Poussa les cris les plus perçants
Demandant vie aux téméraires.
Ces monstres furent sans pitié :
A l'instant il fut assommé.
Un dortoir était réservé
Aux voyageurs portant fortune ;
Double porte était pratiquée.
La nuit, sans faire de murmure,
Rochette, armé de son trident,
Au cou saisissait les dormants.
La victime, la bouche ouvrant
Pour implorer quelque assistance
La femme, avec l'huile bouillante,
Lui gorgeait la bouche béante.
Lucifer, à coups de marteau,
Mettait la victime au tombeau.
Alors Martin faisait grand bruit,
Feignant de maltraiter sa femme ;
Pour que personne ne comprit
Qu'ils assassinaient leur semblable.
- Dis donc, pourquoi viens-tu troubler
Ceux qui viennent se reposer ?
Un grand four était embrasé
Pour consumer bien des affaires :
Carrosses, manteaux et harnais,
Pour eux des signes téméraires.
Il en sortait exhalaisons
Qui empestaient les environs.
Dans le principe ces brigands
Étaient dépourvus de fortune :
Mais bientôt de l'or, de l'argent
Trouvèrent bien leur aventure.
Pour famille, deux filles ont,
Qui secondent bien leur maison.
On ne pourra jamais savoir
Le nombre de tant de victimes ;
On les porte à cinquante trois,
Qu'a révélé le domestique.
Frémissez toutes nations,
Des crimes de cette maison.
Plus longtemps on aurait tardé
D'en faire quelque découverte ;
Ce dernier était réservé
Par ainsi Dieu voulut leur perte.
Au crime ils sont si acharnés
Qu'un parent n'est pas épargné.
L'an mil huit cent trente-trois,
Justement le second d'octobre
Devant la maison des forfaits
Vers midi fut leur dernier rôle :
Trente mille témoins voyant
trancher la tête aux trois brigands.
Grand Dieu ! La terre préservez
De jamais porter de tels monstres
Aucune histoire n'a prouvé
Qu'il y en eût jamais de la sorte.
par les soins de l'Autorité,
Nul n'y sera plus exposé.
Table des matières
TABLE DES MATIÈRES
Note de l'éditeur en guise de préface 7
Bibliographie Sommaire sur l'affaire Peyrebeille 8
LE COUPE-GORGE DE PEYREBEILLE (PAUL D'ALBIGNY)
Le Coupe-Gorge 11
Claude Béraud 16
L'Auberge de Peyrebeille 36
Vincent Boyer et le vieillard 52
André Peyre 69
Jean-Baptiste Bourtoul 73
Rose Ytier 78
Le vol de Cellier 86
L'assassinat d'Anjolras 90
Le cadavre 101
La découverte du cadavre 106
L'arrestation de Pierre et d'André Martin 109
L'arrestation de Rochette 116
Arrestation de Marie Breysse, femme Martin 120
Épilogue 121
L'interrogatoire 125
Les dépositions. 126
Le réquisitoire 133
La défense des accusés 133
Plaidoirie pour Pierre Martin 134
Plaidoirie pour Marie Breysse 144
Plaidoirie pour Jean Rochette 144
Plaidoirie pour André Martin 144
L'Arrêt de la Cour 146
Après l'Arrêt 147
Le départ pour l'échafaud 149
La triple exécution 152
L'AFFAIRE DE PEYREBEILLE (JOSEPH MALZIEU)
Avant-Propos 161
Un cadavre dans l'Allier 165
La légende 168
Les charges de l'accusation 170
Le mendiant Chaze 174
Les invraisemblances du récit de Chaze 178
Marie Armand 182
Le mystère de la mort d'Enjolras 185
Les audiences 189
La défense 194
Le dénouement 201
LE DOSSIER PEYREBEILLE (PIECES INEDITES)
Rapport du président du tribunal (Archives nationales)
208
Les commentaires d'auteurs ardéchois 222
Et si les aubergistes étaient jugés aujourd'hui
? 225
Poésies, chansons et complaintes de Peyrebeille 233
Peyrebeille ? 233
Peyrebeille 234
Fragments de complainte de Peyrebeille 236
La Complainte de Peyrebeille 237
TABLE DES MATIÈRES 242
Possibilité de commander
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DVD L'AUBERGE ROUGE
avec Balasko, Clavier et Jugnot sorti en 2007.
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Le film et le livre = 30 euros franco
offre valable jusqu'à épuisement des stocks
Document retrouvé en 2023 dan sles archives bouquinerie
l'article dans le Dauphiné libéré sur la première édition de cette version coupable/non coupable
Il nous reste quelques exemplaires de cette première édition : Prix 25 euros +8 euros frais de port