Nouvelle couverture 2e edition février 2023 |
parue le 15 février 2023 ANDRÉ DESMARAIS Un parcours criminel en Drôme-Ardèche GUILLOTINÉ À VALENCE LE 19 FÉVRIER 1929 Né en 1908 à Dun-sur-Auron, dans le Cher, René F. a tout juste 20 ans lorsque son destin est confié à Anatole Deibler, lexécuteur des hautes uvres. On dit que la valeur nattend pas le nombre des années. Il en va de même pour les bons comme pour les mauvais garçons. Enchaînant les vols dès la prime adolescence, il finit par tuer, à Valence, pour voler alors quil na que 18 ans. Souffrant dhéliotropisme, le déterminisme social qui lui traçait un destin en région parisienne la amené dans le Sud : Aix-en-Provence, Valence et Romans dans la Drôme puis Gluiras en Ardèche. Et enfin Montpellier puis Sète dans lHérault. Ce récit sappuie essentiellement sur lanalyse des pièces des dossiers criminels et de la presse de lépoque. Lauteur sest intéressé à aborder ces différentes affaires autant sur lanalyse sociale que criminalistique, certains acteurs de la scène judiciaire tels quEdmond Locard ayant également été amenés à apporter leurs concours aux enquêtes. André Desmarais a travaillé pendant une trentaine dannées dans différents services du ministère de lIntérieur, avant de participer à des missions de coopération. Aujourdhui, il a rejoint un centre de recherches qui traite de la violence par armes à feu. Il intervient également ponctuellement dans des actions de formation, tant en France quen Asie ou en Afrique. « UNE SUPERBE ENQUÊTE QUI VOUS TIENDRA EN HALEINE DE BOUT EN BOUT », RENÉ SAINT-ALBAN 16 x 24 cm. 212 pages. Photos, gravures Prix public 19 euros.
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Avant-propos.
Cette histoire débute comme une rencontre. En septembre
2015, je viens de faire valoir mes droits à la retraite
de la fonction publique. Accueilli par un groupe d'historiens
amateurs valentinois, je débute des recherches aux archives
départementales de la Drôme. Guidé dans mes
travaux sur un thème dont je vais finir par m'écarter,
la documentaliste me conseille de commencer mes recherches en
compulsant le registre des écrous de la maison d'arrêt
de Valence correspondant à la période que j'ai choisie.
La double page référencée soixante-et-onze
comporte les informations relatives à l'entrée et
à la sortie de trois détenus. Alphonse Millet* ,
condamné à deux mois d'incarcération pour
tentative de vol, Henri Boucher*, purgeant deux ans d'emprisonnement
pour incendie volontaire et à la rubrique 213, René
F.. Un bordereau est collé dans l'angle de la page et recouvre
partiellement les champs du formulaire consacré à
ce détenu. Le procureur de la République l'a rédigé
le 18 février 1929, à l'intention du surveillant
chef de la maison d'arrêt de Valence. Il lui ordonne "
de remettre à l'exécuteur des hautes uvres,
le nommé F. René pour lui faire subir la peine capitale
". La page de gauche rassemble des observations effectuées
lors de son arrivée dans l'établissement pénitentiaire.
On y apprend que René est entré dans les lieux le
3 août de l'année précédente. Il portait
alors un " chapeau marron [une] chemise de couleur, un complet
marron [et des] souliers bas ". Sur ce même document,
on nous indique qu'il sait lire et écrire et qu'il se déclare
catholique. La page de droite est consacrée à sa
" sortie " de la maison d'arrêt. Anatole Deibler
y porte la mention : " Reçu le Nommé F. René
Valence, le 19 février, l'exécuteur des hautes uvres
". Suit une signature tracée dans une écriture
de sang, nous renvoyant à cette époque où
la République punissait certains criminels du châtiment
suprême. La mention est lapidaire. Le style est tranchant.
J'obtiens le dossier criminel. Pas très épais. Tel
qu'on les faisait à l'époque. Un gamin. Exécuté
en 1929 à tout juste 20 ans. Pourtant, au fil des pages
je découvre qu'il ne s'est pas contenté de tuer
une femme à Valence avant de la cambrioler, mais qu'il
a aussi été impliqué dans plusieurs affaires
criminelles, certaines commises avec un complice.
Je vais de surprises en surprises. À Valence, le bureau
de tabac, lieu de son premier crime, est situé à
moins de deux cents mètres de l'endroit où j'habite
aujourd'hui. Une maison qui existait déjà à
l'époque. La mère de mon épouse à
laquelle je présente ce projet de recherche est née
et demeurée dans ce quartier. Elle conserve quelques bribes
de souvenirs de cette affaire et se rappelle l'avoir entendue
évoquée par ses parents. Agée de quatre ans
lors des faits, elle se remémore être venue à
plusieurs reprises dans cette boutique avec sa mère pour
y acheter des friandises. Son père, menuisier installé
à une centaine de mètres de la scène de crime
pourrait être cet homme de l'art requis par la police pour
découper la lame de plancher supportant une trace de sang.
Dommage. Le nom du menuisier ne figure pas dans le dossier.
Ces affaires criminelles sont symptomatiques d'une époque
révolue à plusieurs titres. Tout d'abord, elles
s'inscrivent dans le premier tiers de l'ultime siècle de
la peine de mort. L'année 1929 verra cinq têtes tomber
dans le seau en zinc, sans compter les territoires ultramarins.
Peine capitale censée apaiser la violence en offrant l'exemple
de la mort d'un condamné. Un temps où policiers
et gendarmes solution-naient leurs énigmes à l'aide
d'une enquête de voisinage, d'un interro-gatoire approfondi
et d'une dose de bon sens. Le règne de l'aveu circonstancié.
Une période où les témoins se réjouissaient
d'aider les enquêteurs.
Enfin, une époque, celle-ci également révolue,
où la presse donnait en pâture les noms des suspects,
n'hésitant pas, à l'exemple de la " fille Taupin*
" à laisser filtrer qu'il s'agissait d'une "
fille soumise ". Des journaux omnipotents puisque commençant
tout juste à partager la scène médiatique
avec la radiophonie. Des journaux qui parvenaient même à
reproduire in extenso certains procès-verbaux !
C'est également une période où les pères
fondateurs des sciences criminelles pénètrent dans
le paysage judiciaire, tel le lyonnais Edmond Locard.
René F. est le personnage principal de ce récit.
Ce texte n'est ni une hagiographie, ni une diatribe. Des faits.
Seulement des faits. La justice de son temps l'a reconnu coupable
à plusieurs reprises et l'a condamné dans différents
dossiers. Il est évident qu'il s'agit d'un voyou doté
de peu de scrupules. J'aimerais toutefois, à l'image des
jurés montpel-liérains accorder à René
des circonstances atténuantes. Cet ouvrage vous appartient.
Faites-vous donc votre propre opinion.
Valence, le 24 Septembre 2020.
Table des matières
AVANT-PROPOS. 9
RENÉ. 19 FÉVRIER 1929. VALENCE. DES BRUITS ÉTOUFFÉS
AUPRÈS DE LA PRISON. 13
1ÈRE PARTIE : LA JEUNESSE DE RENÉ F. 1908-1927
15
1908 - 1916 : UNE ENFANCE BERRICHONNE. 15
1916 - 1925 : UNE ADOLESCENCE MOUVEMENTÉE. 18
1926, LE TEMPS DES PREMIÈRES CONDAMNATIONS. 23
2ÈME PARTIE : LE PARCOURS CRIMINEL DE RENÉ. AOÛT-
NOVEMBRE 1927. 29
RENÉ. AOÛT 1927, VALENCE. LES PRÉPARATIFS
DE L'AGRESSION DE MARIE BLANC*. 29
RENÉ. 11 AOÛT 1927, VALENCE. L'AGRESSION DE MARIE
BLANC*. 33
12 AOÛT 1927, VALENCE. LA DÉCOUVERTE DU CORPS DE
MARIE BLANC*. 38
LES POLICES, EN 1927. 45
13 AOÛT 1927, VALENCE. LES " MOBLOTS " S'EN MÊLENT.
49
LA POLICE SCIENTIFIQUE EN 1927. 51
AOÛT 1927, VALENCE. " UNE BURALISTE ASSASSINÉE
". 53
10 AOÛT 1927, GRENOBLE, VALENCE. " L'ASSASSINAT DE
LA BURALISTE : UNE TRIPLE ARRESTATION ". 57
LA PROSTITUTION, DANS LES ANNÉES DE L'ENTRE-DEUX-GUERRES.
62
19 AOÛT, VALENCE. LA GARDE À VUE DU TRIO SE PROLONGE.
64
RENÉ. ETÉ, AUTOMNE 1927, NÎMES. LES JOURS
HEUREUX. 68
SEPTEMBRE 1927, VALENCE. L'ENQUÊTE PIÉTINE. 70
RENÉ. 11 NOVEMBRE 1927, NÎMES. LA RENCONTRE AVEC
LÉON R.. 72
15 NOVEMBRE 1927, PARIS, VALENCE. LE SANG DE LA SCÈNE DE
CRIME EST ANALYSÉ. 75
L'ANALYSE DES TACHES DE SANG JUSQU'EN FIN DES ANNÉES 1930.
79
NOVEMBRE 1927, MONTPELLIER. " EN PLEIN DRAME BALZACIEN ".
81
LE COMMERCE ET LE PORT DES ARMES À FEU, JUSQU'À
L'AUBE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE. 87
RENÉ, LÉON. 13 NOVEMBRE 1927, MONTPELLIER. UN JUTEUX
CONTRAT. 91
RENÉ, LÉON. 13 NOVEMBRE 1927, MONTPELLIER. UNE TENTATIVE
DE MISE À MORT BIEN TUMULTUEUSE. 94
13 NOVEMBRE 1927, MONTPELLIER. UNE BLESSURE SUPERFICIELLE. 99
L'EXPERTISE BALISTIQUE JUSQU'AU DÉBUT DES ANNÉES
1930. 102
14 ET 15 NOVEMBRE 1927, MONTPELLIER. DES POULETS CHEZ LES POULES.
104
LÉON. 14 NOVEMBRE 1927, CETTE. UNE BONNE VOLONTÉ
SI MAL RÉCOMPENSÉE. 107
RENÉ, LÉON. 22 NOVEMBRE 1927, NÎMES. L'ATTAQUE
DU TRAIN DE VOYAGEURS ! 108
RENÉ, LÉON. 25 NOVEMBRE 1927, GLUIRAS. L'ASSASSINAT
DE BAPTISTE PEYRARD*. 108
RENÉ, LÉON. 25 NOVEMBRE 1927. LA FUITE DE GLUIRAS.
112
25 ET 26 NOVEMBRE 1927, GLUIRAS. LE SIGNALEMENT DE LA DISPARITION
DE BAPTISTE*. 113
26 NOVEMBRE 1927, GLUIRAS. LA PRISE EN COMPTE DE LA SCÈNE
DU CRIME. 114
27 NOVEMBRE 1927, GLUIRAS. LA POURSUITE DES INVESTIGATIONS. 119
DÉCEMBRE 1927, MONTPELLIER. L'ENQUÊTE SUR LA TENTATIVE
D'ASSASSINAT DU PROXÉNÈTE MARQUE LE PAS. 124
3ÈME PARTIE : LE DÉBUT DE LA FIN. NOVEMBRE 1927-
FÉVRIER 1929. 127
RENÉ, LÉON. FIN NOVEMBRE - DÉBUT DÉCEMBRE
1927. SAINT-JEAN-DE-VÉDAS, MONTPELLIER, NÎMES. TOMBÉS
POUR UN CASSE. 127
RENÉ. DÉCEMBRE 1927, MONTPELLIER. UN REBONDISSEMENT
DANS L'ENQUÊTE DU MEURTRE DE MARIE BLANC* ? 132
DÉCEMBRE 1927, PRIVAS, MONTPELLIER. DE L'ART DE REFAIRE
CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ FAIT. 133
RENÉ, LÉON. JANVIER 1928, PRIVAS. UNE BIEN SOMBRE
AFFAIRE ÉLUCIDÉE. 135
RENÉ. 23 JANVIER 1928, PRIVAS. RENÉ SE MET À
TABLE DANS L'AFFAIRE DE LA BURALISTE. 136
RENÉ. 30 JANVIER 1928, PRIVAS. UNE ENVIE DE SE FAIRE LA
BELLE. 139
2 FÉVRIER 1928, VALENCE. UNE VICTIME MORALEMENT ACCEPTABLE
? 140
RENÉ. 8 FÉVRIER 1928, VALENCE. L'AVENUE VICTOR HUGO
DE NOUVEAU EN ÉMOI. 142
RENÉ, HERVÉ*. FÉVRIER 1928, VALENCE. DANS
L'HUIS-CLOS DU CABINET DU JUGE. 143
LE 28 FÉVRIER 1928, RENÉ CONFIRME DEVANT LE JUGE
GUILLOTTE LA PARTICIPATION D'HERVÉ* DANS LE PROJET D'AGRESSION.
143
RENÉ. MARS 1928, VALENCE, PRIVAS. L'EXPERTISE PSYCHIATRIQUE
DE RENÉ F. 144
RENÉ, LÉON. JANVIER - MAI 1928, MONTPELLIER. UN
MÉCÈNE OFFRE DE QUOI CANTINER À NOS DEUX
COMPÈRES. 146
RENÉ, LÉON. 28 MARS 1928, PRIVAS. L'AGRESSION DE
BAPTISTE PEYRARD* DÉFINITIVEMENT RÉSOLUE. 152
AVRIL, MAI 1928, MONTPELLIER. LE COÛT DU PISTOLET. 154
RENÉ, LÉON. AVRIL, MAI 1928, PRIVAS. EN ROUTE POUR
LE GRAND CARREAU. 157
RENÉ, LÉON. JUIN, JUILLET 1928, MONTPELLIER. DE
NOUVEAU EN CHEMIN POUR LES ASSIETTES. 159
RENÉ. ETÉ-AUTOMNE 1928, VALENCE, RENÉ POURSUIT
SEUL SON MARATHON JUDICIAIRE. 161
PRIVAS, MONTPELLIER, VALENCE. LA TYPOLOGIE DES MEMBRES DES JURYS.
166
RENÉ. 19 FÉVRIER 1929, VALENCE, SUR LA BASCULE À
CHARLOT. 167
REMERCIEMENTS 176
RÉFÉRENCES DES DOSSIERS CRIMINELS : 177
TABLE DES MATIÈRES 179
EXTRAIT
René. 19 février 1929. Valence.
Des bruits étouffés auprès de la prison.
Recroquevillé sous une couverture d'où n'émerge
qu'une touffe de cheveux hirsutes, René grelotte. La lune
s'invite dans sa cellule, jetant le contour de la fenêtre
barreaudée sur le sol. Les radiateurs ne parviennent pas
à dissiper le froid glacial de la nuit. Dans ce silence
assourdissant, René cherche à décrypter les
bruits étouffés qui lui parviennent. Le raclement
d'une chaise métallique sur le sol. Un rire gras. Celui
de ses voisins, les deux surveillants installés dans la
cellule contiguë qui prennent leur repas nocturne. Il doit
être un peu plus de minuit. Déchirant le silence,
une psalmodie de cris et de pleurs semble provenir d'une cellule
éloignée. Tout bien considéré, ce
secteur de la prison est plutôt calme. C'est tout l'intérêt,
en qualité de condamné à mort, de figurer
parmi les personnalités importantes de la prison.
Deux ans plus tôt, René était déjà
pensionnaire de la maison d'arrêt de Valence. Rien à
voir en terme de confort entre la cellule située au premier
étage du bâtiment, un dortoir de quinze lits, et
cette vaste cellule. Située entre les parloirs et la salle
de repos des gardiens, cette dernière communique avec le
couloir principal du bâtiment péniten-tiaire. En
face, sont alignées les portes de cinq cellules indivi-duelles,
accueillant des détenus devant être protégés
de leurs congénères. Des silencieux, ceux-là.
Le rond-point, cet espace central de distribution des ailes de
détention conforme à la norme péniten-tiaire
établie par Alfred Normand, le bâtisseur des lieux
de privation de liberté de la seconde moitié du
XIXe siècle, est situé sur la gauche. Sur la droite,
le hall se transforme en espace administratif : greffe, archives,
classe d'école. Le portail d'entrée est placé
à l'extrémité de cette aile. Dans quelques
heures, les différentes portes menant jusqu'à l'avenue
de Chabeuil seront exceptionnellement maintenues ouvertes.
Pour l'instant, René lit dans les silences entrecoupés
de quintes de toux que le repas de ses voisins a pris fin. Bientôt
ce sera le départ des rondes. Chacune d'entre elles débute
systématiquement par une visite des surveillants venant
s'assurer que René n'a pas mis fin à ses jours.
Chacune des rondes se termine invariablement par une visite au
condamné à mort. Comment dormir dans ces conditions
?
C'est l'été. Sur les berges du Rhône. René
est étendu sur le ventre dans un carré d'herbes
folles. Il observe Chanat* qui accroche une ficelle au goulot
d'une bouteille de vin blanc avant de la lancer dans les eaux
du fleuve. Dans un moment, le vin aura atteint une tempé-rature
idéale. Chanat* rejoint René. Les deux garçons
échangent des banalités. Le Tour de France qui a
été remporté haut la main par des belges
et un luxembourgeois. La scintillante Michèle Verly interpré-tant
pourtant un rôle modeste dans Belphégor. Un film
qu'ils ont vu la veille au Palace. Les jolies filles qui les reçoivent
dans les maisons de la rue du Coq. L'argent qu'il faut se procurer
pour manger et pour s'offrir les jolies filles. Puis Chanat* se
redresse, court et plonge dans le Rhône. René se
lève à son tour et s'approche du petit ponton, avant
de se jeter dans l'eau glacée
Il se réveille. Sa peau est moite. Il a froid. Un surveillant
s'éloigne. Il lui semble que l'homme a haussé les
épaules avant de quitter la cellule.
René frissonne. La prison est parfaitement calme. Un homme
mar-che dans les coursives des étages supérieurs.
C'est l'un des surveil-lants qui poursuit sa ronde. Soudain, un
bruissement imperceptible rompt le silence glacial. René
se redresse dans son lit, aux aguets. Oui, il en est maintenant
certain, il entend les sabots d'un cheval claquer sur le pavage
de l'une des rues qui bordent la prison. Le cheval s'arrête,
immédiatement suivi du crissement métallique du
frein d'un fourgon hippomobile. De nouveau le silence, rapidement
rompu par le trot de plusieurs chevaux. Ils semblent s'arrêter
et se regrouper près de la prison. Un hennissement, puis
le calme. René s'enfonce sous sa couverture. Pas longtemps
car maintenant le pas cadencé d'une troupe semble s'approcher.
Progressivement, le grondement laisse place au claquement des
semelles cloutées. La colonne s'approche et s'arrête
brusquement. Une grille claque dans le corridor principal de la
maison d'arrêt. René s'étend sur le dos et
renonce à chercher le sommeil.
1ère partie :
la jeunesse de René F.
1908-1927
1908 - 1916 : une enfance berrichonne.
La France dans laquelle René voit le jour, ce 4 avril 1908,
demeure clivée en deux groupes sociaux. Une élite
parfois d'essence nobiliaire continue à monopoliser les
postes prestigieux : professeurs agrégés, magistrats,
officiers, médecins, ingénieurs. Une masse compacte
rassem--ble le petit peuple des villes et des campagnes : ouvriers,
employés, journaliers. D'où peine à émerger
un groupe bénéficiant de l'ascen-seur social : instituteurs,
agents de maîtrise, sous-officiers. Une France hyper militarisée,
confiée autant aux bons soins de l'armée, des curés
que des élus républicains. Le capitaine Alfred Dreyfus
n'est complè-tement réhabilité que depuis
deux ans.
René voit le jour à Dun-sur-Auron, située
à une trentaine de kilo-mètres de Bourges, dans
le département du Cher. Le passé prestigieux de
la bourgade tend à se déployer avec difficulté,
le long des rues et des places. Le beffroi, le châtelet
et des hôtels particuliers rappellent que Dun-sur-Auron
fut cité royale. En 1101, le roi Philippe 1er s'y faisait
construire un château. On parlait alors de Dun-le-Roi. Charles
VII y séjournait quelques siècles plus tard. La
Révolution pourfendant les représentations de la
monarchie sous toutes ses formes eu rapide-ment raison du nom
original du village. En 1906, Dun-sur-Auron compte 4687 habitants.
Les clichés illustrant les cartes postales mises en vente
dans le premier quart du XXe siècle représentent
un gros village semblable à tant d'autres. Une place du
marché coiffée d'une halle sous laquelle l'animation
des jours de foire va bon train. Des rues pavées et bordées
de trottoirs, sur lesquels les habitants se figent le temps du
cliché, le jour où " le photographe "
vient direc-tement de Poitiers pour immortaliser les lieux. Des
vues représentant la rue de l'Hirondelle, la Grand-rue
et son horloge ou encore les Tourbières de la Houille Grise
essaiment à la faveur des services pos-taux.
Etienne vient trouver le maire afin de déclarer la naissance
de son fils. Ce n'est pas le premier enfant qu'il fait enregistrer
à l'état civil. Sa paternité étant
établie, il se précipite au café pour célébrer
la bonne nouvelle avec ses acolytes. René est le neuvième
enfant du couple. Un frère et trois surs vont encore
venir au monde. Au final, Marie donnera naissance à quatorze
enfants . Une formalité devenue habi-tuelle au fil des
années. Un nourrisson décède en bas âge.
Deux fils leur sont enlevés durant la Grande Guerre. Henri,
né le 1er avril 1892, est " tué à l'ennemi
" le 3 octobre 1914 à Apremont, dans la Meuse. Un
autre fils est porté disparu sur le front quelques mois
plus tard.
....
Suivez l'auteur dans un de ses papiers parus en AVRIL 2021
Gazette des armes
N° 540
Avril 21
Pages 16-24
https://www.francebleu.fr/emissions/le-grand-invite/drome-ardeche/le-grand-invite-24