La création
des Relais & Châteaux en Ardèche En préparation. 16x24 cm. Photos,
documents. Environ 192pp. |
Il y a quatre points cardinaux et une seule Cardinale. Vénérable corps de pierre, celle-ci doit son titre au cardinal de Richelieu qui séjourna derrière ses murs épais en 1642.
Trois cent dix ans plus tard, en 1952, un couple dartistes de music-hall, chassé de Paris par linvasion allemande de 1940, ouvre en ces lieux une hôtellerie de prestige.
Cette reconversion, nullement envisagée lors de lachat de la bâtisse en 1941, résulte des erreurs dappréciation de lépoux, Marcel Tilloy qui engageait des paris à tout propos. Or, démontrant plus daudace que de perspicacité dans ses engagements, cest son épouse : Nelly Tilloy (Nelly Nell à la scène), qui acquittait les dettes dhonneur en accueillant à table les parieurs réjouis. Lasse de se prête à ces fantaisies, elle décida que, si convives il devait y avoir, ceux-ci paieraient leur écot.
Deux années plus tard, Marcel Tilloy fit preuve dun sens plus aigu des réalités en proposant une formule originale de regroupement de sept hôteliers présents sur litinéraire Paris-Côte-dAzur. Critère principal : offrir des prestations de qualités à lécart des grandes métropoles. La Chaîne des Relais de Campagne était née. Au cours des ans, elle devait sinternationaliser sous la bannière des Relais de Campagne, puis des Relais et Châteaux, Relais Gourmands et rayonner sur les cinq continents parée du label de « plus belle chaîne du monde ».
Cest lépanouissement de « La Cardinale », intimement lié à lévolution de la Chaîne internationale, que nous rapporte avec tendresse, sincérité, humour, Nelly Tilloy, Présidente dhonneur des Relais et Châteaux.
Il est dit : « lamour na pas dâge ». Que dire dune passion ?
Par certains aspects, celle qui métreint alors que je devrais avoir acquis la sagesse généralement reconnue aux personnes ayant fait ample moisson dannées relève, vraisemblablement dune affection qui pourrait être désignée : le démon DU midi. Car, cest bien dans le sud de la France, au cur dune région qui flirte avec la Provence, que jai connu ce coup de foudre.
Pourtant, lheure nétait pas à linsouciance, à lépanchement des bons sentiments. Lactualité était nourrie daffrontements, de combats. Lincertitude du lendemain interdisait de rêver. Dans cette atmosphère lourde, inquiétante, était-il possible, raisonnable, desquisser quelque projet ? De faire échange de promesses ? La nécessité de bénéficier dune relative sécurité, ou, à tout le moins, dun peu dapaisement, le désir de se situer ne faussaient-ils pas le jugement ? Il est des circonstances au cours desquelles il est malaisé de faire la part des choses. Il importe, avant tout, de ne pas tergiverser.
Tergiversations bien vite dissipées quand on est sous le charme dun être, fut-il de pierre.
Indépendamment de sa désignation, de son histoire dont jignorais même les grandes lignes, la vaste demeure que je découvrais exerçait sur moi une espèce de fascination. Dès lapproche, elle présentait tous les agréments quil est logique dénumérer quand on souhaite être bien chez soi. Fort caractère, élégance naturelle dévolue à la noblesse authentique, elle soffrait sans retenue ni ostentation, dans lampleur de ses volumes et la discrétion dune intimité sauvegardée. Jétais séduite, envoûtée. Sans vraiment percevoir toutes les incidences, immédiates ou future de cet élan irrésistible, je ressentais confusément que ma vie allait être transformée. Rien ne serait plus comme avant.
La création des Relais & Châteaux
Au-delà de toute considération dancienneté ou de modernisme, jestime que sil y a vraiment deux cuisines, il sagit simplement de la bonne et de la mauvaise.
Jignore la définition de la nouvelle cuisine, en revanche je suis tout à fait de lavis de Raymond Oliver pour dire : « la bonne cuisine doit plaire à ceux qui ont faim et donner de lappétit à ceux qui nont pas faim ».
Forte de cet axiome, et sans vanité aucune, je dois avouer que je réussis assez bien dans mes uvres si jen juge par les fins gourmets qui viennent fréquemment à La Cardinale : hauts fonctionnaires, industriels, hommes politiques, artistes de toutes disciplines, cinéastes... Plus que les flatteries gentiment délivrées par les amis ou membres de la famille cest cette clientèle de connaisseurs qui, par sa fidélité, mapporte les plus sérieux encouragements. La consécration viendra un peu plus tard avec lattribution dune étoile au guide Michelin.
Plus quun cadeau tombé du ciel, cette promotion qui récompense un travail acharné, une application de tous les instants, positionne La Cardinale, consolide sa place parmi les établissements ayant pour ambition dêtre les ambassadeurs de la gastronomie française.
Avant même cette admission sur le seuil de la cour des Grands, londe de renommée de La Cardinale sest largement propagée dans lhexagone et a atteint Paris par le biais dun projet de publicité. En effet, fin 1953 début 1954, nous envisageons la réservation dune page annonce dans le journal Plaisirs de France. Cette éventualité retient dautant plus notre attention que lun des responsables de cette publication nest autre que Monsieur Olivier Quéant, cousin de mon mari. Létude plus approfondie révélera une impossibilité majeure : le coût élevé de linsertion.
Nos disponibilités financières sont nettement insuffisantes pour assumer la dépense correspondante. À notre grand regret nous sommes daccord sur la forme, mais non sur les fonds...
Cest alors que mon mari, qui, déjà, sinquiétait de notre avenir du fait de notre isolement relatif, lequel ne manquerait pas dêtre accentué par la création et le développement des autoroutes, a une idée lumineuse qui aéra un impact certain sur lhôtellerie française et même mondiale.
Ne pouvant admettre dêtre absent de la publication à grand tirage que représente Plaisir de France, il sollicite la participation de plusieurs hôteliers-restaurateurs amis. La sélection de ceux-ci seffectue suivant des critères précis, qualité de létablissement, présence sur laxe Paris-Côte dAzur, à lécart des grandes villes.
Recomposant, sur le papier, litinéraire que nous empruntions lors de nos tournées de music-hall ou pour visiter notre parenté résidant à Nice, nous faisons apparaître sur ce tracé, véritable tronc commun, les rameaux où sépanouissaient les fleurons du bon goût français. Fleurons dont nous avions humé le parfum et apprécié tous les agréments.
Nelly Tilloy dans sa jeunesseCe qui est appelé à devenir la première génération des Relais va donc être constitué de :
« LAuberge des Templiers » à Nogent-sur-Vernisson (45290) où officient madame et monsieur Dépée. Abondamment fleurie, la maison respirait la sérénité. Sérénité personnifiée par Madame Dépée qui accueillait les clients sourire aux lèvres, en amis. Le service était assuré par des jeunes filles ravissantes et je me souviens de lune delles qui, un jour, mavait fait cette confidence : « Vous savez, notre patron (Jacques Dépée) est licencié en Droit. »
« LHôtellerie du moulin des Ruats » à quatre kilomètres dAvallon. Admirable bâtisse bercée par le clapotis dun cours deau. Cadre magnifique, bonté rayonnante de Madame Bertier.
« LHôtellerie du chapeau rouge » à Feurs. Véritable bouquet tant par le site que par lélégant agencement adopté à lintérieur. Létablissement disposait dun équipement ultra-moderne. Lavant-gardisme, présent partout, jusque dans les sanitaires, témoignait du souci de confort maximal qui habitait Madame et Monsieur Jean Péronnet.
« LHôtellerie La Roseraie » à Civrieux-dAzergues. Blottie dans la riante campagne de la vallée de lAzergues, La Roseraie navait pas usurpé sa désignation. Ancrée dans les monts de louest lyonnais, territoire giboyeux à souhait, elle offrit une savoureuse cuisine du terroir accompagnée dun vin dont monsieur Gourdon ne cessait de vanter la renommée. Lui-même disait ne pas se lasser de « humer le Beaujolais ».
« Lhôtellerie La Cardinale » à Baix, demeure envoûtante dont je ne me suis jamais détachée après y avoir vécu mes plus belles années.
« La petite auberge » à Sauveterre (30). De nombreux liens nous unissent à Madame et Monsieur Robert Lalleman : un tronçon de la R.N.86, la proximité relative (85 km), la présence au fourneau de Madame Lalleman. Nos relations seront toujours empreintes de la plus parfaite amitié et je suis heureuse, aujourdhui, de constater que leur fils André et son épouse Jacqueline, qui servent si bien notre profession à lAuberge de Noves (13), prolongent cette chaleureuse sympathie qui mest chère.
« Le château de Meyrargues » (13). Enveloppé de toutes les senteurs et du savoureux accent de Provence létablissement resplendissait de la douceur orangée de ses riantes façades. Serti dans un parc guilleret de fantaisies florales et doriginalités sylvestres, il était paré de toute la délicatesse et du rayonnement de madame et monsieur Segond.
« Lhostellerie du monastère royal de labbaye de La Celle » à Brignoles (13). Propriété de Madame Fournier le domaine présentait une élégante architecture romane dans un site au riche passé historique. La sobriété de ton acquérait une expression flatteuse par le jeu de la superbe décoration obtenue par madame et monsieur André Bonnard. Brignoles devait sentourer dune résonance particulière lorsque jappris que cette cité était la patrie de François Raynouard, auteur dramatique, philologue, historien dont lune des uvres sintitulait : « Les Templiers ». Jai perçu dans cet écho à la propriété de Jacques Dépée, aux Bézards, comme un heureux présage pour la réussite de notre association.
Les réponses ne se firent point trop attendre. Le consentement à notre initiative était général, exprimé sobrement ou complété par des suggestions fort judicieuses.
Robert Lalleman faisait part de la nécessité dobserver quelques principes essentiels : ladhésion impliquait une meilleure connaissance entre tous, connaissance pour laquelle il proposait une rencontre dans un établissement qui ne soit pas à la charge de lun de nous afin que, débarrassé de tout souci daccueil, chacun puisse participer pleinement à la définition des objectifs communs.
Ces propositions, très pertinentes, ont subi une petite modification, les premiers contacts seffectuant par regroupement géographique. En allégeant le nombre de participants il devenait possible de se réunir chez lun dentre nous. Les Relais Sud (Abbaye de La Celle, Château de Meyrargues, Petite Auberge de Sauveterre) se sont réunis à La Cardinale, les Relais Nord (La Roseraie, Le Chapeau Rouge, Le Moulin des Ruats) se sont réunis aux Templiers.
Cette approche a permis de préciser le projet ce qui devait bien vite donner à celui-ci une orientation dépassant le cadre dun regroupement circonstanciel autour dune annonce publicitaire. Latmosphère toute de cordialité enregistrée au cours des travaux, lidentité de vues quant aux perspectives générales nous engageaient résolument vers une concertation générale et lofficialisation de notre union.
Conformément à lidée de Robert Lalleman nous nous sommes donc retrouvés hors de chez nous, et cest à Thoisssy (01) chez Paul Blanc, qua été scellé ce qui était principalement un pacte damitié. Les clauses les plus significatives faisaient référence à un haut degré de qualité dans tout ce quest en droit dattendre la clientèle : accueil, confort, cuisine... Avait été adopté simultanément un genre de passeport pour la vie de Château. Les clients descendus chez nous se voyaient remettre une fiche spéciale, laquelle, présentée dans un autre établissement de la chaîne, attribuait une récompense de fidélité traduite par une libéralité substantielle.
Notre préoccupation essentielle étant doffrir les prestations les plus affinées, aussi bien en hôtellerie quen restauration, et ceci dans un cadre épargné par le bruit, lensemble des maillons de la Chaîne constituait ce que nous avions désigné Les Relais de Campagne. Et pour bien marquer la caractéristique de nos établissements, ceux-ci étaient désignés : « Hôtels où lon vend du calme ».
Cette notion de tranquillité figurait dès les premières lignes de présentation de notre Chaîne dans le modeste document que nous avions décidé déditer. Mais sil est exact que nous étions tous ancrés dans des secteurs baignés par une ambiance paisible, il est non moins incontestable que la fondation de la Chaîne des Relais de Campagne allait mimposer un surcroît dactivités. Car sa structuration avait conduit à la formation dun bureau, restreint certes, au sein duquel par respect dune simple logique mon mari avait été élu Président.
Tout dévoué à sa nouvelle mission, doté dune soif insatiable dinnovations, mon mari va consacrer toujours plus de son temps aux Relais. Dès lors, il me revient dassurer la compensation au bénéfice de La Cardinale qui, en 1954, doit encore confirmer sa notoriété naissante. Accaparée de toutes parts, à lapprovisionnement et au piano, un il sur le service en salle, lautre sur lentretien général de la maison, il mincombe aussi de compléter lameublement, de veiller à la décoration, de faire vibrer toutes les fibres de cette demeure dont la situation, la distribution et la dimension des pièces témoignent quelle a été conçue suivant un désir affirmé doffrir un maximum de bien-être.
La publicité originale et son commentaire
Inspirés par « Plaisirs de France » à loccasion de son numéro spécial sur lhôtellerie française, les Relais de Campagne répondent à une nécessité nouvelle. Le développement de lautomobile a augmenté considérablement, avec le bruit qui en découle, le désir légitime du touriste de trouver des coins tranquilles loin des anciennes étapes traditionnelles des villes. Dans des sites souvent inconnus, mais merveilleux, très près des routes à grand trafic, des hôteliers ont réalisé dans la campagne des installations dotées du plus grand confort. Le voyageur y goûte par dessus tout un délassement et un repos que la vie moderne lui refuse ailleurs.
Ces hôteliers, anciens châtelains eux-mêmes, ont mis non seulement leur demeure mais leur courtoisie au service du tourisme et ont à cur de conserver les grandes traditions de lhospitalité française. Ils ont adopté une charte très stricte, signée librement entre eux, et dont le but est la satisfaction totale de leurs hôtes. Les Relais de Campagne vous présentent une sélection sur la route de Paris à Nice de ces hôtelleries où le calme, le confort, la courtoisie vous attendant. Vous y trouverez dans de jolis sites une cuisine de classe et des vins généreux. Cest une sorte de route du bonheur que nous avons tracée pour vous. Il vous appartiendra daccélérer avec modération pour en prendre largement votre part sur ce ruban de 1 000 kilomètres que vous parcourez souvent un peu trop hâtivement, ne croyez-vous pas ? Les Relais de Campagne vous attendent.
lannée 1994 sera, elle aussi, riche en temps forts vécus en assemblées ou partagés en petits groupes.
Le premier janvier je suis à nouveau dans « mon domaine ». Journée ensoleillée dans toute lacception du terme que celle qui me conduit, en compagnie damis, à La Cardinale.
Aussitôt mis pied à terre je ressens fortement létreinte de cet environnement ami. Avant même davoir fait quelques pas, je menivre des senteurs caractéristiques de la saulaie ourlant les berges du Rhône alangui. Dès franchi le seuil de cette maison, que je nai jamais vraiment quittée, je ressens profondément quelle et moi vivons en étroite communion. Quelles que soient les modifications intervenues dans lagencement, le mobilier, jai tôt fait de retrouver mes aises, en me gardant bien dempiéter sur les prérogatives dévolues à ceux qui en ont la charge. Je connais là, dans cette demeure où, elle et moi vibrons à lunisson, un contentement ineffable. Dautant quà limmense plaisir dêtre dans ce qui demeure mon inséparable univers, sajoute la gentillesse de tous, employés fidèles ou nouveaux responsables.
En ce premier jour de lan Éric Sapet et sa brigade nous régalent dun déjeuner digne dune grande cérémonie. Bonheur intense de partager le contentement des nombreux convives. Enveloppée de cette atmosphère chaleureuse et distinguée La Cardinale rayonne pleinement. Incontestablement, elle est au nombre des lieux prédestinés aux agréments de la vie.
Il en est de même de lauberge des Templiers, aux Bézards où la famille Dépée honore brillamment la tradition dexcellence reconnus aux établissements de la Chaîne. Éclatante démonstration en a été donnée le 25 avril 1994, lorsque nous nous sommes retrouvés entre pionniers pour fêter les quarante ans de notre première rencontre.
Placées sous le signe de la fidélité inaltérée ces retrouvailles nétaient baignées daucune nostalgie. Il est plutôt réjouissant dêtre à nouveau côte à côte après un parcours de quarante années. Parcours qui a vu les uns continuer dans la profession, y compris sous la bannière des Relais, tandis que dautres ont baissé pavillon pour goûter à une reconversion tranquille ou à une retraite bien méritée.
En ce jour mémorable chacun a pu constater, avec ravissement, que laccueil aux Templiers est toujours autant débordant dattentions, de distinction sans préciosité. Merveilleuse maison où se perpétue avec naturel cet accueil raffiné qui a fait la renommée de la courtoisie française. Aux Templiers toutes les conditions sont réunies pour que létape soit parée des couleurs de la fête.
Dans ce cadre douillet orné dun magnifique parterre floral, de par les salons ou autour de la table se sont pleinement réaffirmés de profonds sentiments damitié. Dans cet environnement empreint dune sincère unité de tons comment ne pas percevoir au plus intime de soi lexpression de Jean de La Fontaine quand il déclarait en parlant de lamitié : « Rien nest plus commun que le nom, rien nest plus rare que la chose » ? Insigne privilège que de bénéficier de cette rareté.
Conter par le détail cette journée inoubliable reviendrait à évoquer en priorité les délices du menu. Avant même den capter le fumet il était loisible den apprécier loriginalité par la décoration du carton de présentation. Celui-ci souvrait sur une composition colorée dont la fantaisie nenlevait rien à sa puissante symbolique. Un vaisseau, toute voilure déployée, voilure ornée du premier logo des Relais, avait rassemblé les huit timoniers du premier départ. Ceux-ci, qui ne pouvait sen remettre au seul souffle dÉole, devaient aussi donner de leur personne en sactivant aux avirons. Amusant clin dil dAndré Claveau dont le sens de lhumour dans sa libre créativité naltérait nullement ses talents de décorateur.
Lannonce prometteuse était savoureusement honorée à lheure de la dégustation du déjeuner. En ce domaine, chez Dépée, on sait toujours créer la divine surprise tout en respectant scrupuleusement la devise bien connue : « tradition et qualité ». Devise à laquelle nous pourrions ajouter disponibilité totale car, contrairement à lattitude adoptée en 1954 lors de la création du groupe des Huit, cest lun des nôtres qui était mis à contribution en cette journée anniversaire.
Je voudrais dire combien jai été heureuse de vivre cette réunion informelle, débordante de vive sympathie unanime. Étrange sentiment de se situer au premier matin. Il nen faut pas davantage pour se sentir portée par un nouvel élan. Élan qui entretient une poussée bénéfique laquelle vous invite à regarder droit devant, avec confiance sinon avec détermination.
Nelly Tilloy aujourd'huiDailleurs 1994 sécoulera en un enchaînement quasi ininterrompu de rendez-vous dexception.
En cette année du quarantième anniversaire, les Relais, qui se sont offert un nouveau guide, lequel, en 460 pages, format à lItalienne, décline lidentité de chaque établissement en deux langues et sur une page entière pour chacun deux, ouvrent le congrès de la quatrième décennie accomplie. Paris accueille ce rassemblement annuel qui montre lhomogénéité de ce qui, désormais, apparaît comme une Institution, et ce, dans lintégralité de sa définition synonyme de perfection.
Immense satisfaction dêtre présente, aussi peu que ce soit, dans ce mouvement continu, fierté légitime de se savoir fondatrice de cette « Fédération » dont limage, je le répète, demeure La référence, nourrit linflation des demandes dadhésion, vivifiant plaisir de simmerger dans ce foisonnement de dynamisme, dactions spectaculaires, dinnovations denvergure, de projets réalistes, bonheur indicible dêtre là aux côtés des amis de longue date et de nouveaux compagnons.
Je goûte avec gourmandise le privilège dêtre des deux côtés du miroir, en marge dune activité professionnelle mobilisatrice au point de vous retrancher du monde dix-huit heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, et présente aux bons moments, parmi les membres de la grande famille réunie. Il y a dans ce brassage didées, dans cette multiplication des échanges, dans la diversité des interventions, toute la fécondité de la terre, le ferment même de la vie. Irremplaçable ressourcement.
Je me souviens que, lors du congrès du dixième anniversaire, en 1964, grâce aux relations personnelles dAndré Bonnard et aux démarches effectuées par Madame Lepaute, nous avions obtenu que les monuments situés tout au long de la Seine soient illuminés. Dans cet écrin resplendissant notre promenade en bateau mouche a connu un vif éclat. Parallèlement, pendant les travaux, le drapeau des Relais flottait place de lopéra.
Je ninsisterai jamais assez sur le rôle essentiel assumé pendant des décennies par Madame Chantal Lepaute. Dotée dun esprit dinitiatives remarquable, animée par une volonté dactions inaltérable et une puissance de travail peu commune, elle a été lun des piliers de notre organisation. Son sens aigu des relations humaines, sa parfaite connaissance des pyramides administratives ont été déterminants, en maintes circonstances, pour obtenir un renseignement important, favoriser une rencontre décisive, conduire un travail de fond. uvrant avec lenthousiasme caractéristique des personnes débordant dactivité, elle témoignait dune faculté dadaptation exceptionnelle. La tâche nétait pas des plus faciles.
Tout en étant en relation permanente avec Baix, qui demeurait le centre décisionnaire, il fallait répercuter les informations à tous les partenaires, traiter les questions générales, résoudre les problèmes particuliers, adapter lorganisation du service à lévolution densemble de la Chaîne... Admirable de patience et de ténacité, particulièrement méthodique dans lorganisation de son travail, elle parvenait à faire face, avec bonheur, aux situations les plus diverses comme les plus délicates.
Très à laise en tous domaines elle savait être efficace à tous les niveaux. Combien de seconds de cuisine, de maîtres dhôtel, de sommeliers, de pâtissiers, de réceptionnaires ont eu recours à sa bienveillante autorité pour favoriser leur changement détablissement, afin de se perfectionner au sein dautres brigades ou auprès dautres directions, ou pour réintégrer la Chaîne après un séjour sous dautres horizons. Bien quelle ait toujours fait preuve dune très grande discrétion, je sais la reconnaissance que lui vouent de nombreux professionnels ayant servi, ou qui servent encore, la renommée des Relais.
Pour le congrès du dixième anniversaire elle a su parfaitement concrétiser lidée ambitieuse que javais suggérée à mon mari-Président.
Tout acquise à ce projet, dont elle perçut instantanément léclat qui résulterait de sa réalisation, elle a réussi à obtenir laccord des hauts responsables et chefs de service de ladministration municipale et ladhésion des commerçants et des propriétaires des enseignes prestigieuses pour que le pourtour de la place de lopéra soit inondé de lumières et drapé des étendards portant logo des Relais. Cétait féerique et les congressistes ont vivement apprécié.
Trente-et-un an plus tard je pense que loriflamme des Relais porte haut, sur les cinq continents, le symbole majeur de la convivialité sans frontières. Et je suis ravie, comblée de voir que la Chaîne est reconnue comme étant la plus belle du monde. Sublime couronnement qui nétait pas au nombre de mes préoccupations, en 1952, quand jai décidé de faire de La Cardinale une Hôtellerie haut de gamme.
Hôtellerie haut de gamme et daccueil chaleureux où latmosphère de totale plénitude est encore au zénith en cette soirée du 31 décembre. Philippe Declerc, Éric Sapet et sa brigade, me font lhonneur dêtre leur invitée en cette étape du saut de lan, reflet de laboutissement et dun nouveau départ, du passage du témoin pour une harmonieuse continuité.
La Cardinale en relais, la réalité est toute autre quun jeu de mots facile, quune image aussi flatteuse soit-elle. En cette nuit où la maison scintille de mille feux, étincelle sur les tables, brille dans les yeux des convives, illumine les curs, je vis des heures féeriques. Moments exceptionnels qui, par leur intensité, donnent pleine signification aux propos de Marcel Brion qui définissait la fête : « comme une ascension des sens, de lesprit et du cur ».
Sens supérieurement flattés avec subtilité et générosité par le menu où triomphent : Nage glacée décrevisses à la citronnelle, Gelée de caviar Sévruga aux pommes acidulées, râpée de truffes du Ventoux en salade de céleri et pommes de terre Rosevalt à lhuile dolive de Maussane et quelques gouttes de vinaigre balsamique, bouchée de turbot et belons au thym citron accompagnée de beignets légers de salsifis au curry et compote de tomates épicées, steack doie rôti et foie gras poêlé, nashis confits au vieux maury et sauce corsée à larmagnac, fromages affinés « Mère Richard » avec petits pains à la farine de châtaignes, macaron à la nougatine, crème citron et pralin accompagnée aux noisettes du piémont. Esprits non moins enchantés par la délicatesse de larcher, la souplesse du clavier distillant quelques unes des plus belles mélodies que nous ont laissées les grands maîtres. Curs débordants de bonté, de joie, despérance par la magie des lieux, des gestes, de linstant.
Instant renouvelé par la grâce des mêmes initiateurs, avec le concours des amis de longue date et dun cercle dartistes, au mois de janvier à loccasion de cette journée, unique dans lannée, où chacun de nous franchit le cap qui ouvre sur une nouvelle annuité.
Débutée sous les meilleurs auspices, celle-ci se déroulera à un rythme accéléré jusquà offrir un très sympathique débordement, fin novembre. Car, cest en Espagne, dans la capitale de la province de Catalogne, que les « Relaisiens-Châtelains » tiennent congrès. Je dois à la fidèle amitié de la famille Lalleman, de lauberge de Noves, de pouvoir être présente à cette assemblée annuelle.
Plus encore que lors des précédentes retrouvailles, je ressens toute la chaleur qui se dégage de ce rassemblement international, extraordinaire vivier multiculturel à partir duquel se développe, se fortifie ce noble mouvement tout entier consacré à lhôtellerie-restauration dans ce quelle peut exprimer de meilleur au plus haut niveau. Cette internationalisé, qui recèle un ferment irremplaçable, cette diversité qui me réjouis me confèrent une obligation particulière.
Jai décidé dadopter une conduite raisonnable. Il est temps ! Jestime quil est sage de rester en retrait. Non pas que je me désintéresse de la Chaîne, laquelle, tout comme La Cardinale, constituera, jusquà mon dernier souffle, lun de mes centres principaux dintérêt, mais je pense quil convient de mettre fin au rôle de figuration qui, fort logiquement, est le mien.
Je nai pas à imposer ma présence. Forts de quarante-et-une années dexistence les Relais sont majeurs. Ils affichent une belle santé.
Malgré les difficultés liées à la conjoncture lavenir peut être appréhendé avec sérénité. Je dois donc prendre congé.
À lissue du dîner de clôture, si je crée la surprise ce nest pas en annonçant ma décision mais plutôt en exprimant les civilités dusage. Car jai mis un point dhonneur à madresser aux représentants de chaque nation dans la langue propre à leur pays. Longtemps je serai poursuivie par le bourdonnement de lovation qui a fait écho à cette prestation multilingue.
Retentissant hommage, hommage à la vie. Par ce quelle nous permet dentreprendre, de conduire et de goûter, de donner et de recevoir, de partager. Exaltante mission que celle dévolue à lêtre humain dans laccomplissement de sa destinée.
Chacun de nous, quelle que soit sa place, quel que soit son rang, a la possibilité de connaître le plein épanouissement. Dans lexercice de sa profession ou de ses occupations de loisirs, sous les feux des projecteurs ou au plus profond de son intimité.
Un ami ayant connu une très belle réussite professionnelle aimait à dire : « la chance nexiste pas ». Et pour appuyer son affirmation, il développait le raisonnement suivant : « si je gagne à la loterie sans avoir acheté un seul billet, alors oui, je pourrais dire que jai de la chance, en revanche si je gagne après avoir misé sur un ou plusieurs billets, il est somme toute normal que je sois récompensé pour mon audace ».
En précisant sa pensée il voulait prouver quà la base de toute avancée il y a manifestation dune volonté. Et même lorsque celle-ci ne permet pas dobtenir les résultats escomptés il convient de ne pas se décourager. Les échecs peuvent être à lorigine déclatants succès.
Si mon époux avait gagné ses paris, Baix naurait jamais abrité le berceau des Relais et Châteaux, je naurais jamais emprunté la Route du Bonheur, je naurais jamais connu cette félicité de vivre intensément une passion Cardinale.