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Couverture de La création des Relais & Châteaux en Ardèche

La création des Relais & Châteaux en Ardèche
Nelly Tilloy et Pierre Veyrenc

En préparation. 16x24 cm. Photos, documents. Environ 192pp.
L'histoire de "La Cardinale", située en Ardèche, et la création de la chaîne des Relais et Châteaux par Madame Nelly Tilloy, président d'honneur de cette châine.


Résumé

Introduction de Nelly Tilloy

Comment fut décidée la création des Relais & Châteaux

Nelly Tilloy dans sa jeunesse

La publicité originale et son commentaire

La reconnaissance

Nelly Tilloy aujourd'hui


Résumé

Il y a quatre points cardinaux et une seule Cardinale. Vénérable corps de pierre, celle-ci doit son titre au cardinal de Richelieu qui séjourna derrière ses murs épais en 1642.

Trois cent dix ans plus tard, en 1952, un couple d’artistes de music-hall, chassé de Paris par l’invasion allemande de 1940, ouvre en ces lieux une hôtellerie de prestige.

Cette reconversion, nullement envisagée lors de l’achat de la bâtisse en 1941, résulte des erreurs d’appréciation de l’époux, Marcel Tilloy qui engageait des paris à tout propos. Or, démontrant plus d’audace que de perspicacité dans ses engagements, c’est son épouse : Nelly Tilloy (Nelly Nell à la scène), qui acquittait les dettes d’honneur en accueillant à table les parieurs réjouis. Lasse de se prête à ces fantaisies, elle décida que, si convives il devait y avoir, ceux-ci paieraient leur écot.

Deux années plus tard, Marcel Tilloy fit preuve d’un sens plus aigu des réalités en proposant une formule originale de regroupement de sept hôteliers présents sur l’itinéraire Paris-Côte-d’Azur. Critère principal : offrir des prestations de qualités à l’écart des grandes métropoles. La Chaîne des Relais de Campagne était née. Au cours des ans, elle devait s’internationaliser sous la bannière des Relais de Campagne, puis des Relais et Châteaux, Relais Gourmands et rayonner sur les cinq continents parée du label de « plus belle chaîne du monde ».

C’est l’épanouissement de « La Cardinale », intimement lié à l’évolution de la Chaîne internationale, que nous rapporte avec tendresse, sincérité, humour, Nelly Tilloy, Présidente d’honneur des Relais et Châteaux.


Introduction de Nelly Tilloy

Il est dit : « l’amour n’a pas d’âge ». Que dire d’une passion ?

Par certains aspects, celle qui m’étreint — alors que je devrais avoir acquis la sagesse généralement reconnue aux personnes ayant fait ample moisson d’années — relève, vraisemblablement d’une affection qui pourrait être désignée : le démon DU midi. Car, c’est bien dans le sud de la France, au cœur d’une région qui flirte avec la Provence, que j’ai connu ce coup de foudre.

Pourtant, l’heure n’était pas à l’insouciance, à l’épanchement des bons sentiments. L’actualité était nourrie d’affrontements, de combats. L’incertitude du lendemain interdisait de rêver. Dans cette atmosphère lourde, inquiétante, était-il possible, raisonnable, d’esquisser quelque projet ? De faire échange de promesses ? La nécessité de bénéficier d’une relative sécurité, ou, à tout le moins, d’un peu d’apaisement, le désir de se situer ne faussaient-ils pas le jugement ? Il est des circonstances au cours desquelles il est malaisé de faire la part des choses. Il importe, avant tout, de ne pas tergiverser.

Tergiversations bien vite dissipées quand on est sous le charme d’un être, fut-il de pierre.

Indépendamment de sa désignation, de son histoire dont j’ignorais même les grandes lignes, la vaste demeure que je découvrais exerçait sur moi une espèce de fascination. Dès l’approche, elle présentait tous les agréments qu’il est logique d’énumérer quand on souhaite être bien chez soi. Fort caractère, élégance naturelle dévolue à la noblesse authentique, elle s’offrait sans retenue ni ostentation, dans l’ampleur de ses volumes et la discrétion d’une intimité sauvegardée. J’étais séduite, envoûtée. Sans vraiment percevoir toutes les incidences, immédiates ou future de cet élan irrésistible, je ressentais confusément que ma vie allait être transformée. Rien ne serait plus comme avant.


La création des Relais & Châteaux

Au-delà de toute considération d’ancienneté ou de modernisme, j’estime que s’il y a vraiment deux cuisines, il s’agit simplement de la bonne et de la mauvaise.

J’ignore la définition de la nouvelle cuisine, en revanche je suis tout à fait de l’avis de Raymond Oliver pour dire : « la bonne cuisine doit plaire à ceux qui ont faim et donner de l’appétit à ceux qui n’ont pas faim ».

Forte de cet axiome, et sans vanité aucune, je dois avouer que je réussis assez bien dans mes œuvres si j’en juge par les fins gourmets qui viennent fréquemment à La Cardinale : hauts fonctionnaires, industriels, hommes politiques, artistes de toutes disciplines, cinéastes... Plus que les flatteries gentiment délivrées par les amis ou membres de la famille c’est cette clientèle de connaisseurs qui, par sa fidélité, m’apporte les plus sérieux encouragements. La consécration viendra un peu plus tard avec l’attribution d’une étoile au guide Michelin.

Plus qu’un cadeau tombé du ciel, cette promotion qui récompense un travail acharné, une application de tous les instants, positionne La Cardinale, consolide sa place parmi les établissements ayant pour ambition d’être les ambassadeurs de la gastronomie française.

Avant même cette admission sur le seuil de la cour des Grands, l’onde de renommée de La Cardinale s’est largement propagée dans l’hexagone et a atteint Paris par le biais d’un projet de publicité. En effet, fin 1953 début 1954, nous envisageons la réservation d’une page annonce dans le journal Plaisirs de France. Cette éventualité retient d’autant plus notre attention que l’un des responsables de cette publication n’est autre que Monsieur Olivier Quéant, cousin de mon mari. L’étude plus approfondie révélera une impossibilité majeure : le coût élevé de l’insertion.

Nos disponibilités financières sont nettement insuffisantes pour assumer la dépense correspondante. À notre grand regret nous sommes d’accord sur la forme, mais non sur les fonds...

C’est alors que mon mari, qui, déjà, s’inquiétait de notre avenir du fait de notre isolement relatif, lequel ne manquerait pas d’être accentué par la création et le développement des autoroutes, a une idée lumineuse qui aéra un impact certain sur l’hôtellerie française et même mondiale.

Ne pouvant admettre d’être absent de la publication à grand tirage que représente Plaisir de France, il sollicite la participation de plusieurs hôteliers-restaurateurs amis. La sélection de ceux-ci s’effectue suivant des critères précis, qualité de l’établissement, présence sur l’axe Paris-Côte d’Azur, à l’écart des grandes villes.

Recomposant, sur le papier, l’itinéraire que nous empruntions lors de nos tournées de music-hall ou pour visiter notre parenté résidant à Nice, nous faisons apparaître sur ce tracé, véritable tronc commun, les rameaux où s’épanouissaient les fleurons du bon goût français. Fleurons dont nous avions humé le parfum et apprécié tous les agréments.


Nelly Tilloy dans sa jeunesse

Ce qui est appelé à devenir la première génération des Relais va donc être constitué de :

– « L’Auberge des Templiers » à Nogent-sur-Vernisson (45290) où officient madame et monsieur Dépée. Abondamment fleurie, la maison respirait la sérénité. Sérénité personnifiée par Madame Dépée qui accueillait les clients sourire aux lèvres, en amis. Le service était assuré par des jeunes filles ravissantes et je me souviens de l’une d’elles qui, un jour, m’avait fait cette confidence : « Vous savez, notre patron (Jacques Dépée) est licencié en Droit. »

– « L’Hôtellerie du moulin des Ruats » à quatre kilomètres d’Avallon. Admirable bâtisse bercée par le clapotis d’un cours d’eau. Cadre magnifique, bonté rayonnante de Madame Bertier.

– « L’Hôtellerie du chapeau rouge » à Feurs. Véritable bouquet tant par le site que par l’élégant agencement adopté à l’intérieur. L’établissement disposait d’un équipement ultra-moderne. L’avant-gardisme, présent partout, jusque dans les sanitaires, témoignait du souci de confort maximal qui habitait Madame et Monsieur Jean Péronnet.

– « L’Hôtellerie La Roseraie » à Civrieux-d’Azergues. Blottie dans la riante campagne de la vallée de l’Azergues, La Roseraie n’avait pas usurpé sa désignation. Ancrée dans les monts de l’ouest lyonnais, territoire giboyeux à souhait, elle offrit une savoureuse cuisine du terroir accompagnée d’un vin dont monsieur Gourdon ne cessait de vanter la renommée. Lui-même disait ne pas se lasser de « humer le Beaujolais ».

– « L’hôtellerie La Cardinale » à Baix, demeure envoûtante dont je ne me suis jamais détachée après y avoir vécu mes plus belles années.

– « La petite auberge » à Sauveterre (30). De nombreux liens nous unissent à Madame et Monsieur Robert Lalleman : un tronçon de la R.N.86, la proximité relative (85 km), la présence au fourneau de Madame Lalleman. Nos relations seront toujours empreintes de la plus parfaite amitié et je suis heureuse, aujourd’hui, de constater que leur fils André et son épouse Jacqueline, qui servent si bien notre profession à l’Auberge de Noves (13), prolongent cette chaleureuse sympathie qui m’est chère.

– « Le château de Meyrargues » (13). Enveloppé de toutes les senteurs et du savoureux accent de Provence l’établissement resplendissait de la douceur orangée de ses riantes façades. Serti dans un parc guilleret de fantaisies florales et d’originalités sylvestres, il était paré de toute la délicatesse et du rayonnement de madame et monsieur Segond.

– « L’hostellerie du monastère royal de l’abbaye de La Celle » à Brignoles (13). Propriété de Madame Fournier le domaine présentait une élégante architecture romane dans un site au riche passé historique. La sobriété de ton acquérait une expression flatteuse par le jeu de la superbe décoration obtenue par madame et monsieur André Bonnard. Brignoles devait s’entourer d’une résonance particulière lorsque j’appris que cette cité était la patrie de François Raynouard, auteur dramatique, philologue, historien dont l’une des œuvres s’intitulait : « Les Templiers ». J’ai perçu dans cet écho à la propriété de Jacques Dépée, aux Bézards, comme un heureux présage pour la réussite de notre association.

Les réponses ne se firent point trop attendre. Le consentement à notre initiative était général, exprimé sobrement ou complété par des suggestions fort judicieuses.

Robert Lalleman faisait part de la nécessité d’observer quelques principes essentiels : l’adhésion impliquait une meilleure connaissance entre tous, connaissance pour laquelle il proposait une rencontre dans un établissement qui ne soit pas à la charge de l’un de nous afin que, débarrassé de tout souci d’accueil, chacun puisse participer pleinement à la définition des objectifs communs.

Ces propositions, très pertinentes, ont subi une petite modification, les premiers contacts s’effectuant par regroupement géographique. En allégeant le nombre de participants il devenait possible de se réunir chez l’un d’entre nous. Les Relais Sud (Abbaye de La Celle, Château de Meyrargues, Petite Auberge de Sauveterre) se sont réunis à La Cardinale, les Relais Nord (La Roseraie, Le Chapeau Rouge, Le Moulin des Ruats) se sont réunis aux Templiers.

Cette approche a permis de préciser le projet ce qui devait bien vite donner à celui-ci une orientation dépassant le cadre d’un regroupement circonstanciel autour d’une annonce publicitaire. L’atmosphère toute de cordialité enregistrée au cours des travaux, l’identité de vues quant aux perspectives générales nous engageaient résolument vers une concertation générale et l’officialisation de notre union.

Conformément à l’idée de Robert Lalleman nous nous sommes donc retrouvés hors de chez nous, et c’est à Thoisssy (01) chez Paul Blanc, qu’a été scellé ce qui était principalement un pacte d’amitié. Les clauses les plus significatives faisaient référence à un haut degré de qualité dans tout ce qu’est en droit d’attendre la clientèle : accueil, confort, cuisine... Avait été adopté simultanément un genre de passeport pour la vie de Château. Les clients descendus chez nous se voyaient remettre une fiche spéciale, laquelle, présentée dans un autre établissement de la chaîne, attribuait une récompense de fidélité traduite par une libéralité substantielle.

Notre préoccupation essentielle étant d’offrir les prestations les plus affinées, aussi bien en hôtellerie qu’en restauration, et ceci dans un cadre épargné par le bruit, l’ensemble des maillons de la Chaîne constituait ce que nous avions désigné Les Relais de Campagne. Et pour bien marquer la caractéristique de nos établissements, ceux-ci étaient désignés : « Hôtels où l’on vend du calme ».

Cette notion de tranquillité figurait dès les premières lignes de présentation de notre Chaîne dans le modeste document que nous avions décidé d’éditer. Mais s’il est exact que nous étions tous ancrés dans des secteurs baignés par une ambiance paisible, il est non moins incontestable que la fondation de la Chaîne des Relais de Campagne allait m’imposer un surcroît d’activités. Car sa structuration avait conduit à la formation d’un bureau, restreint certes, au sein duquel par respect d’une simple logique mon mari avait été élu Président.

Tout dévoué à sa nouvelle mission, doté d’une soif insatiable d’innovations, mon mari va consacrer toujours plus de son temps aux Relais. Dès lors, il me revient d’assurer la compensation au bénéfice de La Cardinale qui, en 1954, doit encore confirmer sa notoriété naissante. Accaparée de toutes parts, à l’approvisionnement et au piano, un œil sur le service en salle, l’autre sur l’entretien général de la maison, il m’incombe aussi de compléter l’ameublement, de veiller à la décoration, de faire vibrer toutes les fibres de cette demeure dont la situation, la distribution et la dimension des pièces témoignent qu’elle a été conçue suivant un désir affirmé d’offrir un maximum de bien-être.


La publicité originale et son commentaire

La publicité qui créa les Relais & Châteaux

Inspirés par « Plaisirs de France » à l’occasion de son numéro spécial sur l’hôtellerie française, les Relais de Campagne répondent à une nécessité nouvelle. Le développement de l’automobile a augmenté considérablement, avec le bruit qui en découle, le désir légitime du touriste de trouver des coins tranquilles loin des anciennes étapes traditionnelles des villes. Dans des sites souvent inconnus, mais merveilleux, très près des routes à grand trafic, des hôteliers ont réalisé dans la campagne des installations dotées du plus grand confort. Le voyageur y goûte par dessus tout un délassement et un repos que la vie moderne lui refuse ailleurs.

Ces hôteliers, anciens châtelains eux-mêmes, ont mis non seulement leur demeure mais leur courtoisie au service du tourisme et ont à cœur de conserver les grandes traditions de l’hospitalité française. Ils ont adopté une charte très stricte, signée librement entre eux, et dont le but est la satisfaction totale de leurs hôtes. Les Relais de Campagne vous présentent une sélection sur la route de Paris à Nice de ces hôtelleries où le calme, le confort, la courtoisie vous attendant. Vous y trouverez dans de jolis sites une cuisine de classe et des vins généreux. C’est une sorte de route du bonheur que nous avons tracée pour vous. Il vous appartiendra d’accélérer avec modération pour en prendre largement votre part sur ce ruban de 1 000 kilomètres que vous parcourez souvent un peu trop hâtivement, ne croyez-vous pas ? Les Relais de Campagne vous attendent.


La reconnaissance

l’année 1994 sera, elle aussi, riche en temps forts vécus en assemblées ou partagés en petits groupes.

Le premier janvier je suis à nouveau dans « mon domaine ». Journée ensoleillée dans toute l’acception du terme que celle qui me conduit, en compagnie d’amis, à La Cardinale.

Aussitôt mis pied à terre je ressens fortement l’étreinte de cet environnement ami. Avant même d’avoir fait quelques pas, je m’enivre des senteurs caractéristiques de la saulaie ourlant les berges du Rhône alangui. Dès franchi le seuil de cette maison, que je n’ai jamais vraiment quittée, je ressens profondément qu’elle et moi vivons en étroite communion. Quelles que soient les modifications intervenues dans l’agencement, le mobilier, j’ai tôt fait de retrouver mes aises, en me gardant bien d’empiéter sur les prérogatives dévolues à ceux qui en ont la charge. Je connais là, dans cette demeure où, elle et moi vibrons à l’unisson, un contentement ineffable. D’autant qu’à l’immense plaisir d’être dans ce qui demeure mon inséparable univers, s’ajoute la gentillesse de tous, employés fidèles ou nouveaux responsables.

En ce premier jour de l’an Éric Sapet et sa brigade nous régalent d’un déjeuner digne d’une grande cérémonie. Bonheur intense de partager le contentement des nombreux convives. Enveloppée de cette atmosphère chaleureuse et distinguée La Cardinale rayonne pleinement. Incontestablement, elle est au nombre des lieux prédestinés aux agréments de la vie.

Il en est de même de l’auberge des Templiers, aux Bézards où la famille Dépée honore brillamment la tradition d’excellence reconnus aux établissements de la Chaîne. Éclatante démonstration en a été donnée le 25 avril 1994, lorsque nous nous sommes retrouvés entre pionniers pour fêter les quarante ans de notre première rencontre.

Placées sous le signe de la fidélité inaltérée ces retrouvailles n’étaient baignées d’aucune nostalgie. Il est plutôt réjouissant d’être à nouveau côte à côte après un parcours de quarante années. Parcours qui a vu les uns continuer dans la profession, y compris sous la bannière des Relais, tandis que d’autres ont baissé pavillon pour goûter à une reconversion tranquille ou à une retraite bien méritée.

En ce jour mémorable chacun a pu constater, avec ravissement, que l’accueil aux Templiers est toujours autant débordant d’attentions, de distinction sans préciosité. Merveilleuse maison où se perpétue avec naturel cet accueil raffiné qui a fait la renommée de la courtoisie française. Aux Templiers toutes les conditions sont réunies pour que l’étape soit parée des couleurs de la fête.

Dans ce cadre douillet orné d’un magnifique parterre floral, de par les salons ou autour de la table se sont pleinement réaffirmés de profonds sentiments d’amitié. Dans cet environnement empreint d’une sincère unité de tons comment ne pas percevoir au plus intime de soi l’expression de Jean de La Fontaine quand il déclarait en parlant de l’amitié : « Rien n’est plus commun que le nom, rien n’est plus rare que la chose » ? Insigne privilège que de bénéficier de cette rareté.

Conter par le détail cette journée inoubliable reviendrait à évoquer en priorité les délices du menu. Avant même d’en capter le fumet il était loisible d’en apprécier l’originalité par la décoration du carton de présentation. Celui-ci s’ouvrait sur une composition colorée dont la fantaisie n’enlevait rien à sa puissante symbolique. Un vaisseau, toute voilure déployée, voilure ornée du premier logo des Relais, avait rassemblé les huit timoniers du premier départ. Ceux-ci, qui ne pouvait s’en remettre au seul souffle d’Éole, devaient aussi donner de leur personne en s’activant aux avirons. Amusant clin d’œil d’André Claveau dont le sens de l’humour dans sa libre créativité n’altérait nullement ses talents de décorateur.

L’annonce prometteuse était savoureusement honorée à l’heure de la dégustation du déjeuner. En ce domaine, chez Dépée, on sait toujours créer la divine surprise tout en respectant scrupuleusement la devise bien connue : « tradition et qualité ». Devise à laquelle nous pourrions ajouter disponibilité totale car, contrairement à l’attitude adoptée en 1954 lors de la création du groupe des Huit, c’est l’un des nôtres qui était mis à contribution en cette journée anniversaire.

Je voudrais dire combien j’ai été heureuse de vivre cette réunion informelle, débordante de vive sympathie unanime. Étrange sentiment de se situer au premier matin. Il n’en faut pas davantage pour se sentir portée par un nouvel élan. Élan qui entretient une poussée bénéfique laquelle vous invite à regarder droit devant, avec confiance sinon avec détermination.


Nelly Tilloy aujourd'hui

D’ailleurs 1994 s’écoulera en un enchaînement quasi ininterrompu de rendez-vous d’exception.

En cette année du quarantième anniversaire, les Relais, qui se sont offert un nouveau guide, lequel, en 460 pages, format à l’Italienne, décline l’identité de chaque établissement en deux langues et sur une page entière pour chacun d’eux, ouvrent le congrès de la quatrième décennie accomplie. Paris accueille ce rassemblement annuel qui montre l’homogénéité de ce qui, désormais, apparaît comme une Institution, et ce, dans l’intégralité de sa définition synonyme de perfection.

Immense satisfaction d’être présente, aussi peu que ce soit, dans ce mouvement continu, fierté légitime de se savoir fondatrice de cette « Fédération » dont l’image, je le répète, demeure La référence, nourrit l’inflation des demandes d’adhésion, vivifiant plaisir de s’immerger dans ce foisonnement de dynamisme, d’actions spectaculaires, d’innovations d’envergure, de projets réalistes, bonheur indicible d’être là aux côtés des amis de longue date et de nouveaux compagnons.

Je goûte avec gourmandise le privilège d’être des deux côtés du miroir, en marge d’une activité professionnelle mobilisatrice au point de vous retrancher du monde dix-huit heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, et présente aux bons moments, parmi les membres de la grande famille réunie. Il y a dans ce brassage d’idées, dans cette multiplication des échanges, dans la diversité des interventions, toute la fécondité de la terre, le ferment même de la vie. Irremplaçable ressourcement.

Je me souviens que, lors du congrès du dixième anniversaire, en 1964, grâce aux relations personnelles d’André Bonnard et aux démarches effectuées par Madame Lepaute, nous avions obtenu que les monuments situés tout au long de la Seine soient illuminés. Dans cet écrin resplendissant notre promenade en bateau mouche a connu un vif éclat. Parallèlement, pendant les travaux, le drapeau des Relais flottait place de l’opéra.

Je n’insisterai jamais assez sur le rôle essentiel assumé pendant des décennies par Madame Chantal Lepaute. Dotée d’un esprit d’initiatives remarquable, animée par une volonté d’actions inaltérable et une puissance de travail peu commune, elle a été l’un des piliers de notre organisation. Son sens aigu des relations humaines, sa parfaite connaissance des pyramides administratives ont été déterminants, en maintes circonstances, pour obtenir un renseignement important, favoriser une rencontre décisive, conduire un travail de fond. Œuvrant avec l’enthousiasme caractéristique des personnes débordant d’activité, elle témoignait d’une faculté d’adaptation exceptionnelle. La tâche n’était pas des plus faciles.

Tout en étant en relation permanente avec Baix, qui demeurait le centre décisionnaire, il fallait répercuter les informations à tous les partenaires, traiter les questions générales, résoudre les problèmes particuliers, adapter l’organisation du service à l’évolution d’ensemble de la Chaîne... Admirable de patience et de ténacité, particulièrement méthodique dans l’organisation de son travail, elle parvenait à faire face, avec bonheur, aux situations les plus diverses comme les plus délicates.

Très à l’aise en tous domaines elle savait être efficace à tous les niveaux. Combien de seconds de cuisine, de maîtres d’hôtel, de sommeliers, de pâtissiers, de réceptionnaires ont eu recours à sa bienveillante autorité pour favoriser leur changement d’établissement, afin de se perfectionner au sein d’autres brigades ou auprès d’autres directions, ou pour réintégrer la Chaîne après un séjour sous d’autres horizons. Bien qu’elle ait toujours fait preuve d’une très grande discrétion, je sais la reconnaissance que lui vouent de nombreux professionnels ayant servi, ou qui servent encore, la renommée des Relais.

Pour le congrès du dixième anniversaire elle a su parfaitement concrétiser l’idée ambitieuse que j’avais suggérée à mon mari-Président.

Tout acquise à ce projet, dont elle perçut instantanément l’éclat qui résulterait de sa réalisation, elle a réussi à obtenir l’accord des hauts responsables et chefs de service de l’administration municipale et l’adhésion des commerçants et des propriétaires des enseignes prestigieuses pour que le pourtour de la place de l’opéra soit inondé de lumières et drapé des étendards portant logo des Relais. C’était féerique et les congressistes ont vivement apprécié.

Trente-et-un an plus tard je pense que l’oriflamme des Relais porte haut, sur les cinq continents, le symbole majeur de la convivialité sans frontières. Et je suis ravie, comblée de voir que la Chaîne est reconnue comme étant la plus belle du monde. Sublime couronnement qui n’était pas au nombre de mes préoccupations, en 1952, quand j’ai décidé de faire de La Cardinale une Hôtellerie haut de gamme.

Hôtellerie haut de gamme et d’accueil chaleureux où l’atmosphère de totale plénitude est encore au zénith en cette soirée du 31 décembre. Philippe Declerc, Éric Sapet et sa brigade, me font l’honneur d’être leur invitée en cette étape du saut de l’an, reflet de l’aboutissement et d’un nouveau départ, du passage du témoin pour une harmonieuse continuité.

La Cardinale en relais, la réalité est toute autre qu’un jeu de mots facile, qu’une image aussi flatteuse soit-elle. En cette nuit où la maison scintille de mille feux, étincelle sur les tables, brille dans les yeux des convives, illumine les cœurs, je vis des heures féeriques. Moments exceptionnels qui, par leur intensité, donnent pleine signification aux propos de Marcel Brion qui définissait la fête : « comme une ascension des sens, de l’esprit et du cœur ».

Sens supérieurement flattés avec subtilité et générosité par le menu où triomphent : Nage glacée d’écrevisses à la citronnelle, Gelée de caviar Sévruga aux pommes acidulées, râpée de truffes du Ventoux en salade de céleri et pommes de terre Rosevalt à l’huile d’olive de Maussane et quelques gouttes de vinaigre balsamique, bouchée de turbot et belons au thym citron accompagnée de beignets légers de salsifis au curry et compote de tomates épicées, steack d’oie rôti et foie gras poêlé, nashis confits au vieux maury et sauce corsée à l’armagnac, fromages affinés « Mère Richard » avec petits pains à la farine de châtaignes, macaron à la nougatine, crème citron et pralin accompagnée aux noisettes du piémont. Esprits non moins enchantés par la délicatesse de l’archer, la souplesse du clavier distillant quelques unes des plus belles mélodies que nous ont laissées les grands maîtres. Cœurs débordants de bonté, de joie, d’espérance par la magie des lieux, des gestes, de l’instant.

Instant renouvelé par la grâce des mêmes initiateurs, avec le concours des amis de longue date et d’un cercle d’artistes, au mois de janvier à l’occasion de cette journée, unique dans l’année, où chacun de nous franchit le cap qui ouvre sur une nouvelle annuité.

Débutée sous les meilleurs auspices, celle-ci se déroulera à un rythme accéléré jusqu’à offrir un très sympathique débordement, fin novembre. Car, c’est en Espagne, dans la capitale de la province de Catalogne, que les « Relaisiens-Châtelains » tiennent congrès. Je dois à la fidèle amitié de la famille Lalleman, de l’auberge de Noves, de pouvoir être présente à cette assemblée annuelle.

Plus encore que lors des précédentes retrouvailles, je ressens toute la chaleur qui se dégage de ce rassemblement international, extraordinaire vivier multiculturel à partir duquel se développe, se fortifie ce noble mouvement tout entier consacré à l’hôtellerie-restauration dans ce qu’elle peut exprimer de meilleur au plus haut niveau. Cette internationalisé, qui recèle un ferment irremplaçable, cette diversité qui me réjouis me confèrent une obligation particulière.

J’ai décidé d’adopter une conduite raisonnable. Il est temps ! J’estime qu’il est sage de rester en retrait. Non pas que je me désintéresse de la Chaîne, laquelle, tout comme La Cardinale, constituera, jusqu’à mon dernier souffle, l’un de mes centres principaux d’intérêt, mais je pense qu’il convient de mettre fin au rôle de figuration qui, fort logiquement, est le mien.

Je n’ai pas à imposer ma présence. Forts de quarante-et-une années d’existence les Relais sont majeurs. Ils affichent une belle santé.

Malgré les difficultés liées à la conjoncture l’avenir peut être appréhendé avec sérénité. Je dois donc prendre congé.

À l’issue du dîner de clôture, si je crée la surprise ce n’est pas en annonçant ma décision mais plutôt en exprimant les civilités d’usage. Car j’ai mis un point d’honneur à m’adresser aux représentants de chaque nation dans la langue propre à leur pays. Longtemps je serai poursuivie par le bourdonnement de l’ovation qui a fait écho à cette prestation multilingue.

Retentissant hommage, hommage à la vie. Par ce qu’elle nous permet d’entreprendre, de conduire et de goûter, de donner et de recevoir, de partager. Exaltante mission que celle dévolue à l’être humain dans l’accomplissement de sa destinée.

Chacun de nous, quelle que soit sa place, quel que soit son rang, a la possibilité de connaître le plein épanouissement. Dans l’exercice de sa profession ou de ses occupations de loisirs, sous les feux des projecteurs ou au plus profond de son intimité.

Un ami ayant connu une très belle réussite professionnelle aimait à dire : « la chance n’existe pas ». Et pour appuyer son affirmation, il développait le raisonnement suivant : « si je gagne à la loterie sans avoir acheté un seul billet, alors oui, je pourrais dire que j’ai de la chance, en revanche si je gagne après avoir misé sur un ou plusieurs billets, il est somme toute normal que je sois récompensé pour mon audace ».

En précisant sa pensée il voulait prouver qu’à la base de toute avancée il y a manifestation d’une volonté. Et même lorsque celle-ci ne permet pas d’obtenir les résultats escomptés il convient de ne pas se décourager. Les échecs peuvent être à l’origine d’éclatants succès.

Si mon époux avait gagné ses paris, Baix n’aurait jamais abrité le berceau des Relais et Châteaux, je n’aurais jamais emprunté la Route du Bonheur, je n’aurais jamais connu cette félicité de vivre intensément une passion Cardinale.


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